Capitales régionales

«Trois-Rivières, capitale de l’estampe», La Presse+, 10 août 2015

 

L’Oreille tendue, on le sait, aime rassembler les capitales. Spontanément, ses compatriotes, quand ils entendent le mot capitale, peuvent penser Montréal, voire Québec. Ils se trompent. Démonstration.

«Ottawa, capitale du dressage de chiens policiers» (@MathieuGohier).

Sainte-Anne-de-la-Pérade, «Capitale mondiale des petits poissons des chenaux» (@mcgilles).

«Sherbrooke la capitale du café de l’hémisphère nord» (@RadioCanadaInfo).

«Victoriaville, capitale québécoise du quadriporteur» (@MatthieuDugal).

Hamaderies

Sam Hamad, ministre du ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale du gouvernement du Québec Le 10 novembre 2015, Sam Hamad, le ministre du ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale du gouvernement du Québec, tenait une conférence de presse :

Hamad : Alors, j’ai… Mesdames et messieurs, bon après-midi. J’ai présenté aujourd’hui le projet de loi n° 70 qui contient trois éléments importants. Le premier, c’est la création d’un nouveau programme d’aide sociale, il s’appelle Objectif emploi; le deuxième, c’est la formation… la loi sur la formation professionnelle, la loi 1 %, et la loi aussi sur le développement des compétences; et le troisième élément dans ce projet de loi, c’est l’exclusion des revenus de succession pour les personnes à la solidarité sociale. […]

Lessard (Denis) [de la Presse] : Quand vous parlez d’emploi convenable, c’est un emploi que la personne est capable de faire. Si on a un cas, je ne sais pas, moi, quelqu’un qui a une maîtrise en littérature, puis on lui offre un poste de commis au Provigo, il est tenu de l’accepter ?

Hamad : Non, mais on va regarder sa situation. Peut-être, à la limite, on dit : Bon, mais actuellement, dans ta connaissance…

Lessard (Denis) : C’est un emploi convenable, il est capable de le faire.

Hamad : Pardon ?

Lessard (Denis) : C’est un emploi convenable, puis il est capable de le faire.

Hamad : Oui, convenable, il est… c’est sûr, mais on ne veut pas non plus, là, obliger les gens à défavoriser leurs connaissances puis leurs compétences. En fait, là, ça se peut que cette personne-là, à la limite, on lui offre des formations additionnelles pour améliorer ses compétences puis aller plus loin (source).

Le même ministre a récemment fait les deux déclarations suivantes : «On vient pas d’inventer la roue à trois boutons»; «Le conseil des ministres, c’est la prérogatoire du premier ministre.»

Sans exiger du ministre qu’il fasse une maîtrise en littérature et qu’il «défavorise» ses «connaissances», puis ses «compétences», pourrait-on respectueusement lui offrir «des formations additionnelles pour améliorer ses compétences puis aller plus loin» (le plus loin possible) ?

Onomastique brassicole

En 2001, l’Oreille tendue cosignait, avec Pierre Popovic, le Village québécois d’aujourd’hui. Glossaire. Trois ans plus tard paraissait sa deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée, le Dictionnaire québécois instantané. Dans un cas comme dans l’autre, il avait fallu inventer une bière : ce fut La Môsus, puis La Torrieuse. C’était faire preuve d’une bien piètre imagination.

C’est du moins la réflexion qu’on peut se faire devant l’excellente chronique de Jean-François Nadeau parue dans le Devoir de ce lundi. On y découvre l’existence de noms de bière aussi subtils que La Diable au corps, L’Obscur Désir, L’Affranchie, La Libertine, La Désérables, La Noire Sœur, La Chipie, La Matante, La Joufflue, La Ciboire, La Valkyrie. Conclusion du chroniqueur ? «Le marketing de la bière, y compris dans sa variante micro-domestique pseudo-cool, continue de mettre en scène comme avant un vieil imaginaire parfaitement réactionnaire destiné aux hommes de demain.»

La Môsus et La Torrieuse avaient, au final, bien meilleur goût.

 

Références

Melançon, Benoît et Pierre Popovic, le Village québécois d’aujourd’hui. Glossaire, Montréal, Fides, 2001, 147 p.

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Nadeau, Jean-François, «En bière», le Devoir, 25 janvier 2016, p. A3.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2004, couverture

Exercices de reconnaissance

Jean Echenoz, Envoyée spéciale, 2016, couverture

Ça vient de paraître, ça s’appelle Envoyée spéciale et c’est incontestablement du Jean Echenoz.

Les variations sur l’incise, sentencie l’Oreille tendue, sont toujours aussi roboratives. Les noms des personnages restent toujours aussi improbables, ce qui fait que le lecteur se met à douter de tous les noms propres du roman (personne réelle ? ou pas ?). Comme il se doit, on croise Bruce Lee et Tancrède Synave, Georges Marchais et Didier Super. Ce vrai-faux roman de genre (d’espionnage) évoque des œuvres précédentes d’Echenoz comme le Méridien de Greenwich (1979), Cherokee (1983), l’Équipée malaise (1986) ou Lac (1989). Qui raconte ? Ce n’est pas de la première clarté : «nous ne comprenons pas non plus, malgré notre omniscience», accorde le narrateur (p. 270). La ronde des personnages donne le tournis : Nadine Alcover laisse son emploi auprès d’Hubert Coste pour devenir la compagne du frère de celui-ci, Lou Tausk (c’est un pseudonyme), avant de le quitter à son tour pour épouser le général Georges Bourgeaud du Lieul de Thû, ce dernier faisant chanter Lou, ci-devant compositeur du mégatube planétaire «Excessif», devenu le compagnon de Charlotte Guglielmi, l’assistante qui a remplacé Nadine Alcover auprès d’Hubert, avant qu’il ne soit jeté en prison. L’intrigue (façon de parler) dure un an, comme dans Un an (1997).

Sur le plan lexical, on est en territoire connu. Les adjectifs étonnent mais convainquent : une autoroute «sans échangeurs ni bretelles ni la moindre aire de repos» est dite «de structure autiste» (p. 249). Il en va de même des pronoms : Echenoz préfère souvent quoi à lequel (sur quoi). Un nourrisson pleure dans le métro ? Il faut, dit l’auteur, ce maître du verbe, «l’obturer au moyen d’une tétine» (p. 43).

Il y a l’habituelle récolte de zeugmes — «[…] Tausk va et vient sans but dans son peignoir et son appartement» (p. 68); le reste, ce sera pour dimanche prochain, désolé — et de portraits :

Massif et bedonnant, grosse tête poupine ovale homothétique à un gros buste ovale — œuf de cane sur œuf d’autruche sans aucun cou pour faire le joint —, [Kim Jong-un] avançait d’un pas buté, emprunté, compensant sa petite taille comme son cher leader de père par d’épaisses talonnettes sur lesquelles il marchait en balançant les bras loin du corps. […] Il souriait la plupart du temps, la seule alternative à ce sourire étant un regard monobloc mais composite où s’entrelaçaient méfiance, envie, colère, menace, bouderie, comme si son expression faciale ignorait tout état intermédiaire (p. 250 et p. 251-252).

C’est du Echenoz, et ce n’est pas tout à fait le Echenoz auquel on s’est habitués. Certes, ça tuait dans les Grandes Blondes (1995) et dans Je m’en vais (1999), ça s’écharpait et ça mourait dans 14 (2012), mais, dans Envoyée spéciale, il y a changement d’échelle. Autour de Constance (qui n’en est pas l’incarnation, du moins en amour), on se suicide (dans le métro), on se fait rétrécir (amputation, démembrement, décapitation — pas du même personnage), on se fait tirer dessus (au revolver, au fusil d’assaut), on se fait torturer («plâtrer», en l’occurrence), on se fait manger (c’est, probablement, le sort du beagle Biscuit, nom prédestiné, alias Faust) ou broyer (un papillon). D’autres scènes frappent par leur violence, sexuelle (en prison), sociale (avec un mendiant, encore dans le métro) ou géopolitique (pourquoi tolérer la Corée du Nord ?). La fin du roman n’est pas du meilleur augure pour son héroïne (façon de parler).

Et pourtant, c’est du Echenoz : cela rend heureux, vertu du style grand.

P.-S. — «Sentencie» ? Comme dans «L’aveugle se doit d’être un peu muet, sentencia Russel» (le Méridien de Greenwich, p. 32).

 

[Complément du 6 janvier 2018]

Où, en janvier 2018, classe-t-on la traduction anglaise du plus récent Echenoz, Envoyée spéciale, chez McNally Jackson Books, à New York ?

Envoyée spéciale au rayon Espionnage de McNally Jackson Books, New York, janvier 2018

 

Références

Echenoz, Jean, le Méridien de Greenwich. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 1979, 255 p.

Echenoz, Jean, Envoyée spéciale. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 2016, 312 p.