Vingt-quatrième article d’un dictionnaire personnel de rhétorique

Panneau «Interdit de klaxonner»

Antonomase

Définition

«Une antonomase est une figure de style ou un trope, dans lequel un nom propre ou bien une périphrase énonçant sa qualité essentielle, est utilisé comme nom commun, ou inversement, quand un nom commun est employé pour signifier un nom propre. Certaines antonomases courantes finissent par se lexicaliser et figurent dans les dictionnaires usuels (“une poubelle”, “une silhouette”, “un don Juan”, “un harpagon”, “un bordeaux”, “le roquefort”, “le macadam”, “le gavroche”, etc.)» (Wikipédia).

Exemples, en trois tweets

«Station Villa-Maria : entendre un coup de klaxon puis voir passer un métro vide, qui ne s’arrête pas. Étrangeté de la vie souterraine de Mtl» (@benoitmelancon).

«au fait, @benoitmelancon, savais-tu que klaxon est une antonomase ? http://fr.wikipedia.org/wiki/Avertisseur_sonore» (@david_turgeon).

«@benoitmelancon @david_turgeon Surprenant ! Klaxon dans le même ensemble que Frigidaire, Jell-O et Post-it !» (@Lectodome).

Remarque

Twitter est (aussi) un formidable observatoire linguistique.

Spin ta langue

Au Québec (et au-delà), on a beaucoup entendu parler ces derniers jours du zèle de quelques fonctionnaires de l’Office québécois de la langue française. (On se prend parfois à penser que l’OQLF est l’Office québécois de la langue fantasmée.)

Il a d’abord été question d’un restaurateur auquel on reprochait d’avoir, pour parler de cuisine italienne, utilisé le mot «pasta». (Voilà pourquoi la levée de boucliers qui a suivi l’annonce de cet écart linguistique s’est appelée le «pastagate».) Un autre, a-t-on appris depuis, dans sa brasserie d’inspiration parisienne, avait désigné ses toilettes par «W.-C.» (pour le parisianisme «water-closets») et ses steaks par… «steaks» (au lieu de «biftecks»); cela n’a pas été apprécié. Pas plus, chez un troisième, que le fait de trouver le mot «exit» sur une décoration murale.

Le zèle des fonctionnaires concernés a été condamné par tous, y compris par l’OQLF et par la ministre responsable de la Charte de la langue française, Diane De Courcy.

En revanche, sauf erreur, on n’a pas entendu la ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport, Marie Malavoy, rabrouer les fonctionnaires qui ont autorisé au moins une école montréalaise à participer au programme «SPIN ton stress». Elle aurait dû.

Le recours à l’anglais et au tutoiement intempestif, à l’école, est bien plus déplorable que la présence d’un mot italien sur le menu d’un restaurant italien.

Marguerite Blais, députée de la circonscription Saint-Henri-Sainte-Anne

Prémonition ?

Le Sommet sur l’enseignement supérieur du gouvernement du Québec s’est terminé tout à l’heure. Qu’aura-t-il enfanté, outre un mécontentement généralisé ? Des chantiers.

En 2004, on pouvait lire ceci dans le Dictionnaire québécois instantané, à l’article «chantier» : «Forme conviviale du sommet. Chantier sur l’éducation» (p. 38).

Plus ça change, moins c’est différent.

 

Référence

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2004, couverture

Le fondement du monde contemporain

On ne le dira jamais assez : la vie moderne est une affaire de boulons dont il fau(drai)t se défaire.

Des exemples ? Ils pleuvent.

Dans les piédestaux, il y a des boulons : «Pour déboulonner le piédestal de Mère Thérésa» (@RobertBlondin).

Dans les clichés, il y a des boulons : «Binyanga Wainaina déboulonne les clichés perpétrés par les étrangers qui écrivent à propos de l’Afrique» (@plusonlit).

Dans les idées reçues, il y a des boulons : «Idées reçues déboulonnées» (la Presse, 23 janvier 2013, cahier Affaires, p. 7); «Quels mythes entourent la participation cultur. des jeunes à MTL ? Une nvlle étude déboulonne les idées reçues» (@CultureMontreal).

Dans les perceptions, il y a des boulons : «déboulonner cette perception» (le Devoir, 10-11 novembre 2012, p. A12).

Dans les préjugés, il y a des boulons : «Il y a beaucoup de préjugés à déboulonner en fonction de notre image publique» (le Quotidien, 22 février 2013, p. 18).

Dans la figure du père, il y a des boulons : «Son but, qu’il ne rate surtout pas : déboulonner la figure du père» (le Devoir, 16-17 février 2013, p. F4).

Dans les thèses, il y a des boulons : «Paul McRae a créé des liens vers une vingtaine d’articles et documentaires déboulonnant la thèse du réchauffement de la planète» (le Droit, 16 février 2013, p. 6).

Dans les symboles, il y a des boulons : «plusieurs nouvelles déboulonnent les symboles de la religion catholique» (le Soleil, 16 février 2013, p. 35).

Dans les argumentaires, il y a des boulons : «stipule Pétrolia, tentant de déboulonner l’argumentaire du maire de Gaspé» (le Devoir, 6 février 2013, p. B1).

Dans la gouvernance, il y a des boulons : «une gouvernance mieux boulonnée» (le Devoir, 23-24 février 2013, p. A7).

Dans les mythes — surtout dans les mythes —, il y a des boulons : «@CultureMontreal déboulonne les mythes. Le 1er : Les jeunes ne lisent plus !» (@jouimette); «Le mythe de la prima donna déboulonné» (la Presse, 8 août 2012, cahier Affaires, p. 7).

À vos clés !

 

[Complément du 25 janvier 2023]

Il arrive à l’Oreille tendue d’oublier qu’elle a déjà écrit sur un sujet; c’est le cas ici.

Tombeau d’Ella (6) : diction

Ella Fitzgerald en 1975[Ce texte s’inscrit dans la série Tombeau d’Ella. On en trouvera la table des matières ici.]

On s’entend généralement sur le fait que, dans la bouche d’Ella Fitzgerald, les phonèmes naissent et demeurent égaux en droits. Pour le dire banalement : sa diction serait parfaite. Un exemple parmi mille ? «Don’t Fence Me In» (1956).

À cette vérité générale, on ne peut opposer que d’exceptionnels contre-exemples.

Dans un des passages en français de «Dites-moi» (1963), un mot est incompréhensible : «Dites-moi pourquoi / Chère Mademoiselle / Est-ce que / Parce que / Vous m’[?????].» Encore : «Blues in the Night» (1961). C’est tout.

Il est aussi un mot plus beau que les autres chez Ella Fitzgerald : «adore». Réécoutez «I Am in Love» (1956), «Blue Moon» (1956), «Easy to Love» (1956), «Let’s Fall in Love» (1961), «This Time the Dream’s on Me» (1964). Certains phonèmes sont plus égaux que d’autres. C’est comme ça.

 

[Complément du 16 mars 2017]

Ella Fitzgerald a beaucoup chanté Cole Porter. Norman Granz, son agent, présente le Cole Porter Songbook (1956) au compositeur. «Porter écoute et dit : — “Quelle diction !” On ne saura jamais si, de sa part, il s’agissait d’un compliment sincère ou d’une politesse protocolaire.» C’est Alain Lacombe qui rapporte l’anecdote dans son livre de 1988 (p. 133).

 

Référence

Lacombe, Alain, Ella Fitzgerald, Montpellier, Éditions du limon, coll. «Mood indigo», 1988, 206 p. Ill.

[Les dates entre parenthèses devraient être celles des enregistrements. Elles ne sont pas toujours fiables.]

Illustration : Ella Fitzgerald, 1975, photo déposée sur Wikimedia Commons