V comme dans Victoire

16 avril 1953. Au Forum de Montréal, les Canadiens — c’est du hockey — remportent 1 à 0 leur match contre les Bruins de Boston, et avec lui la coupe Stanley. Elmer Lach marque le but gagnant tôt au cours de la première période de prolongation (à 1 minute 22 secondes), sur une passe de Maurice Rocket Richard.

Le photographe Roger Saint-Jean rate le but, mais sa photo de Lach et Richard s’envolant pour s’étreindre et se féliciter deviendra célèbre. Que font leurs bâtons ? Ils tracent le V de la victoire. Leurs adversaires sont écrasés par ce qui leur arrive. (Pour la petite histoire, on rappellera que Richard avait cassé le nez de Lach en lui sautant dans les bras.)

 

Elmer Lach et Maurice Richard, photographie de Roger Saint-Jean, 16 avril 1953

La photo est reprise par un fabricant de casse-tête (de puzzles).

Elmer Lach et Maurice Richard, casse-tête

Dans leur bande dessinée Gangs de rue (2011), Marc Beaudet et Luc Boily se souviennent de la photo de Saint-Jean, mais le maillot des Nordiques de Québec remplace celui des Bruins.

Bande dessinée Gangs de rue (2011), Marc Beaudet et Luc Boily

Quand le quotidien le Devoir choisit huit photos «connues par la grande majorité des Québécois» et consacre à chacune un article dans sa série «Une photo en mille mots», la première retenue, les 25-26 septembre 1999, est celle de Saint-Jean. À la mort de Richard, en mai 2000, le journal reproduit, toujours en première page, la même photo et le même article.

On la retrouve dans la Presse+ d’aujourd’hui. Il est vrai que la vieille rivalité Montréal / Boston sera relancée ce soir lors du premier match de la série opposant les deux équipes. À qui le «V» ?

P.-S. — Ce n’est pas la seule photo célèbre de Maurice Richard avec un joueur des Bruins. Il y a aussi celle du 8 avril 1952.

 

[Complément du 3 mai 2014]

Sur Twitter, hier, @NieDesrochers mettait en parallèle la photo du 16 avril 1953 et une photo de Francis Bouillon et de P.K. Subban prise durant le match remporté par les Canadiens contre les Bruins de Boston le 1er mai.

Francis Bouillon et P.K. Subban, 1er mai 2014, photo de Bernard Brault

Quelques heures plus tard, @BernardBrault, le journaliste de la Presse qui a pris la photo de Bouillon et Subban, écrivait : «J’y avais même pensé. Un classique de Roger St-Jean…»

 

[Complément du 6 mai 2013]

Michel Beaulieu a consacré un poème à ce but.

 

[Complément du 11 juin 2022]

L’Oreille tendue vient de publier un article sur cette photo :

Melançon, Benoît, «16 avril 1953 : la photo qui n’aurait pas dû être prise. Histoire d’une image de Roger St-Jean», Focales, 6, 2022. https://doi.org/10.4000/focales.1430

 

Le texte ci-dessus reprend des recherches déjà publiées par l’Oreille tendue, notamment dans son livre les Yeux de Maurice Richard (2006).

 

Références

Beaudet, Marc et Luc Boily, Gangs de rue. Les Rouges contre les Bleus, Brossard, Un monde différent, 2011, 49 p. Bande dessinée.

Desrosiers, Éric, «Une malchance transformée en bénédiction», le Devoir, 25-26 septembre 1999, p. A1 et A14. Repris dans le Devoir, 30 mai 2000, p. A1 et A8.

Melançon, Benoît, les Yeux de Maurice Richard. Une histoire culturelle, Montréal, Fides, 2006, 279 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Nouvelle édition, revue et augmentée : Montréal, Fides, 2008, 312 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Préface d’Antoine Del Busso. Traduction : The Rocket. A Cultural History of Maurice Richard, Vancouver, Toronto et Berkeley, Greystone Books, D&M Publishers Inc., 2009, 304 p. 26 illustrations en couleurs; 27 illustrations en noir et blanc. Traduction de Fred A. Reed. Préface de Roy MacGregor. Postface de Jean Béliveau. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2012, 312 p. 42 illustrations en noir et blanc. Préface de Guylaine Girard.

Les Yeux de Maurice Richard, édition de 2012, couverture

Divergences transatlantiques 031

L’Oreille tendue dispose d’un réseau international (pour ne pas dire plus) d’informateurs à l’oreille tendue.

Il y a peu, un de ces informateurs attirait son attention sur l’utilisation du mot lunatique au Québec.

Le Trésor de la langue française informatisé donne du substantif lunatique un sens général — «Celui, celle qui est influencé(e) par la lune, qui présente des caractères rappelant certains aspects de la lune ou de son influence» — et trois sens particuliers — «Personne atteinte de folie», «Personne atteinte d’épilepsie, possédée du démon» (dans l’Évangile), «Personne fantasque, capricieuse, d’humeur changeante».

Le Petit Robert (édition numérique de 2014) est conscient d’un particularisme local. Après les définitions «VIEUX Soumis aux influences de la lune et, de ce fait, atteint de folie périodique» et «MOD. Qui a l’humeur changeante, déconcertante», on y trouve en effet celle-ci : «RÉGIONAL (Canada) Distrait (cf. Dans la lune*).» C’est juste, mais peut-être insuffisant.

Prenons un texte paru le 16 février dernier dans la Presse+ sur la bande dessinée Peanuts et son rapport au sport. On y lit ceci :

Charlie Brown, éternel perdant terriblement seul sur son monticule [l’endroit d’où on lance au baseball], est le capitaine de la pire équipe de baseball junior [?] des États-Unis, formée de lunatiques, de joueurs récalcitrants ou trop sensibles et même d’un chien, Snoopy, qui s’avère le meilleur joueur, ce qui en dit long sur les performances du groupe.

Lunatiques désigne-t-il uniquement des joueurs distraits ? Non. Il y a certes de la distraction dans le substantif lunatique au Québec, mais aussi de la bizarrerie — c’est le cas des coéquipiers de Charlie Brown —, voire un brin de folie. L’emploi québécois de lunatique rejoint par là un de ses sens anciens, peut-être par contamination de l’anglais («“Lunatic” is an informal term referring to people who are considered mentally ill, dangerous, foolish or unpredictable», dit Wikipedia).

Un mot en cache souvent plusieurs autres.

Autopromotion 084

Revue Épistolaire, no 39, 2103, couverture

Depuis des temps immémoriaux, l’Oreille tendue collabore à Épistolaire, la revue de l’Association interdisciplinaire de recherche sur l’épistolaire. Elle y tient notamment la chronique des «Curiosités épistolaires». (Elle les a rassemblées en 2011 dans l’ouvrage Écrire au pape et au Père Noël. Cabinet de curiosités épistolaires.)

La 39e livraison de la revue a paru à la fin de 2013. L’Oreille y parle lettres anonymes dans la bande dessinée, au cinéma, chez les écrivains.

Table des matières

Haroche-Bouzinac, Geneviève, «Avant-propos», p. 5.

«La lettre et l’histoire»

Diaz, Brigitte et Françoise Simonet-Tenant, «La lettre & l’histoire», p. 9-14.

Veyssière, Laurent, «Bougainville au Canada (1756-1760) : ambitions multiples et stratégies d’écriture», p. 15-25.

Coudreuse, Anne, «Présence de l’histoire dans la correspondance de Marie-Antoinette», p. 27-37.

Meier, Franziska, «L’histoire politique dans la correspondance de Benjamin Constant de 1788 à 1795», p. 39-48.

Hennequin-Lecomte, Laure, «Le “cœur français” d’Octavie de Stein», p. 49-58.

Doria, Corinne, «La correspondance politique de Pierre Paul Royer-Collard (1763-1845)», p. 59-67.

Grossir, Claudine, «La révolution de 1848 au miroir de la correspondance de George Sand», p. 69-81.

Poitrenaud-Lamesi, Brigitte, «Lettres de guerre d’un conteur : Carlo Lorenzini (1826-1890)», p. 83-97.

Genevray, Françoise, «Correspondre par temps d’orage : Herzen épistolier (1847-1852)», p. 99-108.

Manin, Lise, «De la lettre à l’histoire, parcours d’une femme auteur : Amélie Bosquet», p. 109-118.

Brodziak, Sylvie, «Fin d’empire et débuts de république : l’histoire scandée par la correspondance de Georges Clemenceau», p. 119-129.

Ceugnart, Camille, «La lettre de Simone Weil à Georges Bernanos ou l’impact d’un témoignage historique», p. 131-141.

Giovaninetti, Marc, «Courriers personnels entre dirigeants et cadres du Parti communiste français», p. 143-153.

«Perspectives épistolaires»

Gretchanaïa, Elena, «“Je fuis le grand monde, et suis toujours mondain” : lettres inédites du comte Grigori Tchernychev», p. 157-168.

Allorant, Pierre, «La lettre, la femme et l’ingénieur. Les tribulations d’une correspondance familiale bourgeoise au XIXe siècle», p. 169-183.

Klein, Élisabeth, «“La lyre et l’encre”, une correspondance de Paul-Jean Toulet et d’Augustine Bulteau (1901-1904)», p. 185-193.

«Chroniques»

Hontebeyrie, Micheline, «État de la question. La correspondance de Paul Valéry», p. 197-217.

Melançon, Benoît, «Le cabinet des curiosités épistolaires», p. 219-221. Sur les lettres anonymes.

Charrier-Vozel, Marianne, «Vie de l’épistolaire», p. 223-228.

«Recherche»

«Comptes rendus», p. 231-288.

Écrire au pape et au Père Noël, 2011, couverture

Non, beaucoup, très

Soit la phrase suivante, tirée du Devoir du 23 décembre 2013 : «Pas de souci, ça électrise en titi […]» (p. B8).

En titi ?

On trouvait deux fois la même expression dans le deuxième tome de Motel Galactic (2012), la bande dessinée de Francis Desharnais et Pierre Bouchard, dont une fois sur une pancarte (p. 9; voir aussi p. 8).

Francis Desharnais et Pierre Bouchard, Motel Galactic, 2012, p. 9.

On l’entendait également dans une publicité télévisée récente d’une chaîne de restaurants. Une mère la suggérait à son jeune fils, qui était horrifié à l’idée de l’utiliser.

Son sens ? Le contraire du (pe)ti(t) : beaucoup, très, et voire même très beaucoup.

On comprend le jeune garçon : l’expression est bien faible en terre de sacres. (Elle est faible en titi.)

P.-S. — Le Petit Robert (édition numérique de 2014) connaît cette «locution adverbiale» régionale («Canada»), mais pas son étymologie. Il paraît peu plausible de la chercher du côté du «nom masculin» titi, «Gamin déluré et malicieux», d’essence parisien.

 

[Complément du 2 janvier 2014]

Débat animé sur Twitter l’autre jour au sujet de l’origine de l’expression en titi. Tous s’entendaient pour dire qu’il s’agit d’un superlatif et d’une euphémisation — mais de quoi ?

@PimpetteDunoyer, dans les commentaires ci-dessous, penchait pour «en estie», forme elle-même euphémisée de «en hostie». @beloamig_ cita le Dictionnaire québécois-français. Mieux se comprendre entre francophones de Lionel Meney : «ce serait une variété atténuée de “en maudit”» (p. 1739). Appuyée sur la tradition familiale, Anne Marie Messier, aussi dans les commentaires, proposait «en sapristi», expression venue, elle, de «sacristi», sans «e» (le Petit Robert, édition numérique de 2014).

(Sur un registre plus léger, @Voluuu évoquait «en ouistiti» et @desrosiers_j, «Nefertiti».)

Cela mène à d’autres interrogations. Utiliser un euphémisme à la place de «en estie» peut se comprendre. C’était peut-être vrai aussi, mais à une autre époque, de «en maudit». Mais on ne voit guère pourquoi un euphémisme serait nécessaire à la place de «en sapristi».

Au risque de la répétition : tant de questions existentielles, si peu d’heures.

 

Références

Desharnais, Francis et Pierre Bouchard, Motel Galactic. 2. Le folklore contre-attaque, Montréal, Éditions Pow Pow, 2012, 101 p.

Meney, Lionel, Dictionnaire québécois-français. Mieux se comprendre entre francophones, Montréal, 1999 et 2003.

La bibliothèque idéale de l’amateur de hockey

Jeff Lemire, Essex County, 2009, couverture

Quels livres l’amateur de hockey devrait-il impérativement avoir dans sa bibliothèque ? Voici cinq suggestions de l’Oreille tendue, par ordre alphabétique d’auteur.

Ken Dryden, The Game (1983).

Un Canadien anglais en visite ethnographique chez les Québécois. Un cérébral du côté du corps.

Ce livre a été traduit en français sous le titre l’Enjeu (1983), puis sous le titre le Match (2008). Les (ré)éditions anglaises pullulent.

Ken Dryden, qui a été gardien de but pour les Canadiens de Montréal, a aussi écrit la préface à la pièce de théâtre les Canadiens de Rick Salutin (1977) et collaboré à un ouvrage avec Roy MacGregor, Home Game. Hockey and Life in Canada (1989), entre autres publications (livres, articles, etc.).

François Gravel, le Match des étoiles (1996).

François Gravel est un auteur prolifique, pour les jeunes et les autres. Plusieurs de ses livres portent sur le hockey. Le Match des étoiles est le plus fin, le moins appuyé.

Jeff Lemire, Essex County (2009).

La meilleure bande dessinée sur le hockey. En anglais.

Roy MacGregor, The Last Season (1983).

L’auteur est journaliste et l’auteur de plusieurs livres sur le hockey, seul ou avec d’autres. Il a notamment signé la série de romans pour la jeunesse «Screech Owls»; certains ont été traduits en français dans la collection «Carcajous» (Boréal).

The Last Season raconte la dernière saison d’un goon, Felix Batterinski, et bien plus encore.

(Roy MacGregor a préfacé la traduction anglaise d’un livre de l’Oreille.)

Marc Robitaille, Des histoires d’hiver, avec des rues, des écoles et du hockey. Récit (1987); nouvelle édition sous le titre Des histoires d’hiver avec encore plus de rues, d’écoles et de hocke. Roman (2013).

C’est un roman (la couverture le dit), sous la forme de souvenirs d’enfance (l’année scolaire et la saison de hockey 1966-1967 au Québec). Le hasard fait que ce pourraient être, en bonne partie, ceux de l’Oreille.

L’iconographie, en 2013 mieux encore qu’en 1987, est somptueuse.

Voir aussi le film qu’en a tiré François Bouvier en 1998, Histoires d’hiver.

Quelle serait la liste des lecteurs de l’Oreille ? Propositions bienvenues.

 

[Complément du 27 octobre 2014]

L’Oreille tendue, dans son panthéon, fera dorénavant place à Numéro six d’Hervé Bouchard (2014). Pourquoi ? Voyez ici.