Les yeux de l’Oreille

En vacances, l’Oreille tendue ne se coupe pas complètement du monde. Elle se tient coite, du moins ici, mais elle goûte les découvertes des autres.

Leurs découvertes linguistiques 1 (merci à @IanikMarcil)

Batman et le conditionnel

Leurs découvertes linguistiques 2 (merci à @lasoiree)

Le français de Johanne Marcotte

Leurs découvertes extrêmes (merci à @machinaecrire)

Zone de préservation extrême

Leurs découvertes signalétiques 1 (merci à @PimpetteDunoyer)

Le cimetière électoral

Leurs découvertes signalétiques 2 (merci à @PimpetteDunoyer, bis)

La route et la gaufrette

Leurs découvertes typographiques (merci à @Languagelab)

L’art de la virgule

Révélation sportive

Achdé, les Canayens de Monroyal. Saison 3. Filet garni !, 2011, couverture

L’Oreille tendue a eu plusieurs occasions de parler de la bande dessinée sur le hockey au Québec (BDHQ). Ici même, c’était le 12 décembre 2011, le 23 décembre 2011 et le 28 décembre 2011. Il lui est aussi arrivé d’aborder le sujet à la radio.

Par conscience professionnelle, mais sachant qu’elle s’ennuierait, elle a donc lu la «saison 3» des Canayens de Montréal, la série d’Achdé, Filet garni ! (2011).

Cet album n’est pas plus drôle que les précédents, ce qui est ennuyeux pour une bande dessinée humoristique («Détente, rigolade, soleil assuré pour tout public !»).

De plus, il révèle quelque chose de troublant sur ses concepteurs. En effet, il n’y a pas d’«avant-centre» au hockey (p. 22), et les joueurs de défense et les attaquants ne sont pas des «joueurs de champ» (p. 34).

Ce ne serait quand même pas plus mal de connaître le vocabulaire du hockey quand on produit une série comme celle-là.

P.-S. — Et «soutien», évidemment, ne s’écrit pas «soutient» (p. 40).

 

[Complément du 2 juin 2016]

L’Oreille tendue vient de publier un article sur ce sujet :

Melançon, Benoît, «BDHQ : bande dessinée et hockey au Québec», dans Benoît Melançon et Michel Porret (édit.), Pucks en stock. Bande dessinée et sport, Chêne-Bourg (Suisse), Georg, coll. «L’Équinoxe. Collection de sciences humaines», 2016, p. 101-117. https://doi.org/1866/28749

 

Référence

Achdé, les Canayens de Monroyal. Saison 3. Filet garni !, Boomerang éditeur jeunesse, 2011, 46 p. Couleur : Mel.

L’Oreille tendue chez les Helvètes

L’Oreille tendue rentre d’un colloque, à Genève, sur Jean-Jacques Rousseau. Ci-dessous, notes dépareillées.

L’ami François Bon est frappé de l’utilisation endémique, en France, de voilà. La Suisse n’est pas moins touchée. (La remarque vaut autant pour pas de souci, opportunité, quelque part et morale citoyenne.)

Le français parlé sur les rives du lac Léman a ses particularités. Les mouettes y sont aquatiques, mais motorisées. Les cornets y sont en plastique. Bien sûr y tient lieu de oui.

Ça a beau être universitaire, mais ça ne sait pas la différence entre mettre à jour (actualiser) et mettre au jour (révéler). Et ça s’attarde à qui mieux mieux, même un instant.

Du groupie en sciences humaines : appeler Jean-Jacques Rousseau «Jean-Jacques». Personne ne dit pourtant «Denis» pour Diderot. Heureusement.

Au restaurant, on ne doit pas confondre le service (ce qui est remis au serveur pour son travail) et le pourboire (ce qui est remis au serveur pour son travail).

Quand, en colloque, l’Oreille entend parler d’«une personnalité remarquable mais trop peu étudiée», elle se dit toujours que ce silence de la critique est probablement justifié.

Mme X est «la future grande tante d’Alfred de Musset» ? Grand bien lui fasse.

Lui : «C’est une jeune femme, 20 ans peut-être.» Un autre : «Une retraitée d’environ 58 ans.» Ils parlent de la même personne. Il y en a un des deux que sa perspicacité honore.

Sur sa tombe, l’Oreille demande que soit gravé ceci : «Dans les colloques, il respectait scrupuleusement son temps de parole. R.I.P.»

Rassurez-la : dites à l’Oreille que ses présentations PowerPoint ne sont pas aussi nulles, car bavardes, que celles-là. Elle vous en implore.

Oxymores à éviter : «la convergence d’horizons antagonistes»; «une neutralité bienveillante».

Entre deux communications, il y a toujours la télé, et les joies de l’Euro(pe) : dans sa chambre d’hôtel, l’Oreille avait le même match de foot sur au moins huit chaînes. C’est pendant Suède-Angleterre qu’elle a découvert l’autogoal, soit le fait de marquer contre son propre camp (scorer dans son but). La télé n’est pas complètement inutile. (Le but suivant, comme il se doit, était «incroyable».)

«Vous tenez un blogue ? Vraiment ?» «Vous utilisez Twitter ? Pourquoi ?» L’avenir du numérique ne passe pas par le Siècle des lumières.

Les interlocuteurs de l’Oreille avaient presque tous suivi le «printemps érable» dans les médias européens, sans y comprendre grand-chose. Manifestement, ces derniers n’ont guère fait leur travail.

Les voyages, particulièrement en avion, ne font pas ressortir ce que l’humanité a de meilleur. (L’Oreille ne s’exclut pas de l’humanité.)

Du temps où il y descendait (Hergé, l’Affaire Tournesol, p. 17-19), Tryphon Tournesol devait-il parler anglais pour se faire comprendre des employés de l’Hôtel Cornavin, dont certains baragouinent à peine le français ?

Quoi qu’on puisse en penser, l’Oreille est casanière. Elle n’aime pas trop être dépaysée. La preuve.

P.-S. — Dans le même ordre d’idées, l’Oreille a déjà publié quelques «Scènes de la vie de colloque» (en PDF ici).

 

Référence

Melançon, Benoît, «Scènes de la vie de colloque (extraits)», le Pied (journal de l’Association des étudiants du Département des littérature de langue française de l’Université de Montréal), 4, 29 février 2008, p. 12-13. Repris dans la Vie et l’œuvre du professeur P. Sotie, Montréal, À l’enseigne de l’Oreille tendue, 2022, p. 43-48. https://doi.org/1866/13167

Dix-septième article d’un dictionnaire personnel de rhétorique

Ellipse

Définition

«Suppression de mots qui seraient nécessaires à la plénitude de la construction, mais que ceux qui sont exprimés font assez entendre pour qu’il ne reste ni obscurité ni incertitude» (Gradus, éd. de 1980, p. 173).

Exemple

«Il prend la jeune fille dans ses bras, elle se débat, ne veut pas, rien n’y fait, ni ses pleurs ni ses supplications, les vêtements sont arrachés. Le corps, fragile et blanc, est poussé sur la couche, il lui déboutonne sa (ellipse). Elle n’a plus que ses yeux pour pleurer ce qu’elle vient de perdre. Ses yeux sont rouges de chagrin, ceux du bandit sont rouges de la cruauté qui l’habite» (l’ABC du gothique, p. 38-39).

Remarque

Toutes les ellipses ne sont pas aussi patentes que celle-là.

 

[Complément du 9 février 2018]

Autre exemple, chez Arturo Pérez-Reverte (2017), qui va dans le même sens : «Par conséquent, je décidai de recourir à une ellipse — celle dans laquelle nous sommes — qui allait me permettre de soulager le texte des quatre-vingt-cinq lieues suivantes — la longue semaine de route qui pour la berline des académiciens séparait alors Poitiers de la capitale de la France» (p. 156-157).

 

[Complément du 25 juin 2018]

Sur Twitter, @PhDidi1713 donne cet exemple d’ellipse, tiré de Lucile, ou Les progrès de la vertu (1768) de Rétif de la Bretonne.

Ellipse tirée de Lucile, ou Les progrès de la vertu, de Rétif de la Bretonne, 1768

 

[Complément du 18 août 2021]

Laurent Vassilian (textes) et Nicolas Tabary (dessin) s’amusent avec l’ellipse dans leur album De père en fils !, le trentième tome de la série «Iznogoud» (2015).

Il y a d’abord une explication (p. 18) :

Laurent Vassilian et Nicolas Tabary, De père en fils !, 2015, p. 18, détail

Dans la même planche, Iznogoud semble prendre l’ellipse pour un moyen de transport (p. 18) :

Laurent Vassilian et Nicolas Tabary, De père en fils !, 2015, p. 18, détail

À la page suivante, il se réjouit de la rapidité que permet cette figure de style (p. 19) :

Laurent Vassilian et Nicolas Tabary, De père en fils !, 2015, p. 19, détail

Tout ne va pourtant pas pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles (p. 21) :

Laurent Vassilian et Nicolas Tabary, De père en fils !, 2015, p. 21, détail

Reconnaissons à celui qui veut «être calife à la place du calife» d’avoir compris le principe d’économie qui caractérise l’ellipse.

 

[Complément du 18 décembre 2023]

Jean-Philippe Toussaint, dans l’Échiquier (2023, p. 162-163) :

Je revois Madeleine, très belle en cet hiver berlinois de 1993, emmitouflée dans une chaude veste en laine blanche moelleuse au col noir. Madeleine avait bien un peu froid quand nous sortions de l’appartement par moins dix degrés sous zéro et que nous allions nous promener sur les pelouses enneigées de Halensee, mais je lui frictionnais le dos et les épaules sur la rive pour la réchauffer, et, neuf mois plus tard, en novembre 1993, naissait notre fille, Anna, on appréciera la pudeur de l’ellipse.

 

Références

Dupriez, Bernard, Gradus. Les procédés littéraires (Dictionnaire), Paris, Union générale d’éditions, coll. «10/18», 1370, 1980, 541 p.

Pérez-Reverte, Arturo, Deux hommes de bien. Roman, Paris, Seuil, 2017, 501 p. Traduction de Gabriel Iaculli. Édition originale : 2015.

Régniez, Emmanuel, l’ABC du gothique. Fiction, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 50, 2012, 184 p.

Toussaint, Jean-Philippe, l’Échiquier, Paris, Éditions de Minuit, 2023, 244 p. Ill.

Vassilian, Laurent et Nicolas Tabary, De père en fils !, Paris, Imav Éditions, série «Iznogoud», 30, 2015, 44 p.