L’universitaire dans la Cité

L’universaire et les médias, ouvrage collectif, 2013, couverture

Universitaire de son état, l’Oreille tendue dit rarement non à une demande d’intervention publique (radio, journaux, Internet). Le statut de l’intellectuel au Québec l’occupe périodiquement (voir ici et ). Elle se devait donc de lire l’ouvrage collectif que vient de diriger Alain Létourneau, l’Universitaire et les médias. Une collaboration risquée mais nécessaire (Montréal, Liber, 2013).

Le livre mêle témoignage (Michel Lacombe) et articles scientifiques (Raymond Corriveau; Serge Larivée, Carole Sénéchal et Françoys Gagné; André H. Caron, Catherine Mathys et Ninozka Marrder; Alain Létourneau). À mi-chemin, des textes parlent expertise politique (Jean-Herman Guay), parole sociologique (Corinne Gendron), et éthique (Sami Aoun; Armande Saint-Jean). La situation décrite est la québécoise.

Pour aller vite, les relations entre journalistes et universitaires peuvent être saisies soit comme une lutte («le combat du sens», p. 121), soit comme une collaboration («une construction commune d’opinion», p. 132). Que l’on choisisse une métaphore ou l’autre, il est indéniable que beaucoup de choses distinguent les travailleurs des médias des professeurs. Deux sont fréquemment rappelées par les collaborateurs de l’ouvrage.

Les modes de validation du travail scientifique des universitaires sont précisément encadrés par les processus d’évaluation par les pairs : les universitaires sont évalués par d’autres universitaires et ils connaissent les règles du jeu. Celles du monde journalistique ne sont évidemment pas les mêmes. Quand un universitaire parle à un journaliste, il ne s’adresse pas à un pair. Les lecteurs du journal, le spectateur de la télévision ou l’auditeur de la radio n’en sont pas non plus. La vulgarisation nécessite dès lors une série d’ajustements, auxquels on se prêtera plus ou moins volontiers, d’un côté comme de l’autre.

Plus profondément, ce qui distingue le scientifique du journaliste est le rapport au temps. Le second est souvent pressé par le temps et il doit faire bref. Le premier est non seulement habitué aux longues expositions, mais il a besoin de celles-ci pour présenter ses conclusions. Sur ce plan, il ne peut qu’être bousculé par les médias.

Malgré ces divergences profondes, les uns et les autres arrivent à trouver un terrain d’entente. C’est particulièrement vrai de Jean-Herman Guay (politique nord-américaine) et de Sami Aoun (politique internationale), qui sont des figures connues des médias québécois. Dans l’ensemble, le portrait que dessine l’Universitaire et les médias est optimiste, comme l’indique son sous-titre (Une collaboration risquée mais nécessaire). De toute façon, peut-on imaginer un monde public dont les scientifiques se retireraient ? «Lorsque l’universitaire se tait, écrit Raymond Corriveau, d’autres parlent, et très fort» (p. 23).

Le lecteur reste toutefois sur sa faim.

À l’exception d’Armande Saint-Jean, aucun des collaborateurs ne s’interroge sur l’histoire des rapports malaisés entre journalistes et universitaires : les situations décrites sont toutes immédiatement contemporaines, comme si elles n’étaient pas déterminées par une transformation dans la durée. De même, une réflexion historique aurait permis d’approfondir une question abordée beaucoup trop allusivement, celle de la distinction à établir entre les diverses figures de l’intervention dans la vie de la Cité : on ne demande pas la même chose à l’intellectuel, à l’expert et au professeur. Les bouleversements induits par le numérique sur la diffusion, généraliste et professionnelle, du savoir sont évoqués à quelques reprises, mais pas de façon soutenue; or, comme l’écrivent, André H. Caron, Catherine Mathys et Ninozka Marrder, «L’internet a passablement reconfiguré la diffusion des sciences et plus largement la diffusion de l’information» (p. 128). Dans le même ordre d’idées, Jean-Herman Guay va jusqu’à parler de «double tourmente» (p. 22), celle des journalistes et celle des scientifiques.

Le titre parle de «l’universitaire», mais le livre laisse de côté un pan complet de l’Université, le secteur des lettres (les sciences humaines sont à peine mieux traitées) : les spécialistes de ces disciplines sont pourtant présents sur diverses tribunes. Le mot «médias» pose aussi problème : les cadres d’intervention des universitaires peuvent être fort différents les uns des autres et il aurait été bon de distinguer plus souvent que cela n’a été fait le «clip» sonore de l’entrevue de fond, le texte d’opinion de la chronique. Cette absence de précision est d’autant plus étonnante qu’un texte comme celui de Caron, Mathys et Marrder montre combien la communication scientifique est tributaire des conditions concrètes de son énonciation (qui parle à qui dans quel cadre).

Au fil des pages, quelques écueils de la collaboration journalistes-universitaires apparaissent. Jean-Herman Guay se méfie du populisme (p. 16-17). Sami Aoun énumère cinq «risques» : «désir de plaire», «vedettariat», «personnification de l’analyse», volonté de jouer à «l’intellectuel rebelle», «penchant médiatique pour le spectaculaire et le catastrophique» (p. 41). Corinne Gendron décrit «trois types de pièges : l’opinion à chaud, la mise en scène conflictuelle, et le vedettariat» (p. 71).

Il est un écueil plus dangereux : une mauvaise «recherche» ne donnera jamais un bon reportage. Le texte de Serge Larivée, Carole Sénéchal et Françoys Gagné, «Scientifiques et journalistes : condamnés à collaborer» (p. 49-63), en est un malheureux exemple. Les auteurs collent bout à bout des remarques sur l’état des connaissances psychologiques dans la société, cela d’une façon particulièrement cavalière. Deux exemples devraient suffire à le faire voir. À la note 6 de la p. 54, on lit : «Nous avons recensé quarante-trois ouvrages en français et cent treize en anglais — dont huit contemporains de Freud — qui soutiennent soit que le père de la psychanalyse a fraudé, soit que la psychanalyse est à certains égards une imposture, soit qu’elle n’est pas une science.» Cela est-il une preuve ? De quoi ? Peut-on tirer quelque conclusion que ce soit de pareille arithmétique ? À la p. 60, les auteurs ouvrent une section de leur texte par ceci : «La déclaration du Dr Mailloux à la télévision de Radio-Canada, lors de l’émission Tout le monde en parle du 25 septembre 2005, a suscité toutes sortes de réactions dans les médias, principalement au cours de la semaine suivante.» Quelle est cette déclaration ? On ne le dit pas.

Les relations entre les universitaires et les médias peuvent être difficiles. À la lecture de pareil texte, on comprend mieux pourquoi.

P.-S. — Non, Jean-François Lisée n’était pas professeur à l’Université de Montréal (p. 136).

P.-P.-S. — Myriam Daguzan Bernier et Valérie Levée ont rendu compte de l’ouvrage.

 

Référence

Létourneau, Alain (édit.), l’Universitaire et les médias. Une collaboration risquée mais nécessaire, Montréal, Liber, 2013, 154 p.

Proses de la puck

Simon Grondin, le Hockey vu du divan, 2012, couverture

Il y a toutes sortes de façons d’écrire sur le hockey.

Les (auto)biographies de joueurs et d’entraîneurs ne manquent pas, par exemple celles de Guy Lafleur ou de Jacques Demers. Nombre de romanciers ont mis en scène un des deux sports nationaux du Canada (l’autre étant, bien sûr, la crosse). Des journalistes regroupent leurs textes. L’Oreille tendue elle-même a pratiqué l’«histoire culturelle», celle d’un joueur mythique des Canadiens de Montréal, Maurice Richard.

Simon Grondin a une approche différente de celles-là.

Le Hockey vu du divan, qu’il faisait paraître l’an dernier, présente quelques-uns de ses souvenirs de joueur dans une «ligue de garage» et d’«amateur de mauvaise foi» (p. 66) — il aime encore et toujours Jean Béliveau, «le meilleur» (p. 181) —, mais, surtout, il témoigne à la fois d’un devoir de mémoire et d’une ouverture sur l’avenir du sport.

Le devoir de mémoire s’incarne dans une époustouflante érudition hockeyistique. L’auteur, psychologue de son état, aligne sans désarmer statistiques sur statistiques, records sur anecdotes. S’il est vrai qu’il parvient à bien mettre en lumière ce que révèlent (et masquent) les chiffres, le lecteur ne peut qu’avoir le tournis devant pareille accumulation. Certaines figures ressortent de la masse, Eric Lindros (Simon Grondin enseigne à l’Université Laval…) et Wayne Gretzky (par le caractère exceptionnel de ses exploits sur la glace), mais non sans mal.

Cette érudition est essentiellement sportive, on le notera. Qui s’intéresse à la dimension culturelle ou sociopolitique du sport aura intérêt à regarder ailleurs.

L’ouverture sur l’avenir, elle, passe par une série de propositions pour modifier la façon actuelle de pratiquer le hockey. Pourquoi ne pas changer les règles actuelles de la prolongation ? Du format des séries éliminatoires ? Des punitions ? Comment se débarrasser de la violence, notamment des bagarres ? Sur cette question, une citation est à goûter :

[Le fait de tolérer les bagarres] permettrait […], au besoin, «de changer l’allure du match». Pourquoi cette stratégie serait-elle réservée au seul hockey sur glace ? Et puisque les bagarres ne sont apparemment pas dangereuses, elles devraient aussi être permises lors des débats sur le hockey, à la télévision ou dans la cour d’école. Cela permettrait de «changer l’allure des débats»… (p. 68)

Ce ne sont pas les pistes de réflexion qui manquent, certaines étant beaucoup plus improbables que d’autres, ce que l’auteur est le premier à reconnaître.

Simon Grondin fait clairement la preuve qu’on peut être féru de la tradition, tout en étant ouvert à l’évolution. Les puristes hurleront.

Son livre aurait été plus facile à apprécier si langue en avait été plus soignée. Il compte nombre d’anglicismes : «assumer» (p. 12, p. 37), «focaliser» (p. 18), «psychoanalytique» (p. 59), «prendre» un tir de pénalité (p. 104), «appeler» des infractions (passim). Au football, on ne parle pas de «toucher», mais de «touché» (p. 32). Que veut dire «indisposant» (p. 63) ? L’emploi de «soi-disant» avec un inanimé est parfois critiqué; c’est pire quand on écrit «soit disant» (p. 107). Que l’auteur ne soit pas un styliste, passe encore; pas l’absence de correction.

P.-S. — L’ouvrage est découpé en trois périodes, précédées d’un «Échauffement» et suivies d’une «Prolongation» et d’un «Après-match». L’Oreille tendue propose d’imposer un moratoire sur les livres de hockey découpés en périodes.

 

Référence

Grondin, Simon, le Hockey vu du divan, Sainte-Foy (Québec), Presses de l’Université Laval, 2012, xvi/214 p. Ill.

S’indigner devant le Printemps érable

Paul Chamberland, les Pantins de la destruction, 2012, couverture

[Septième texte d’une série sur les livres du Printemps érable. Pour une liste de ces textes, voyez ici.]

Les Pantins de la destruction, l’essai qu’a publié Paul Chamberland en septembre de l’année dernière, n’est pas à proprement parler un livre sur ce que l’on appelle maintenant le Printemps érable. Seul le premier de ses trois chapitres, «Croc à phynances et carré rouge» (p. 9-32), aborde explicitement ce qui s’est passé au Québec en 2012. Au mieux, la «crise étudiante» est la «toile de fond» de l’ouvrage (quatrième de couverture).

De quoi est-il question alors dans ce livre ? De «la Destruction en cours» du monde dans lequel nous vivons, sous la poussée de divers courants mortifères : Nécronomie, Némocratie, thanatocratie, nécrodictature, etc. (L’auteur aime les néologismes et les majuscules.)

En un (rare) passage synthétique, les incarnations de Thanatos, la pulsion de mort, sont décrites :

Colossales et conjuguées, trois vagues de fond, trois forces de destruction massive emportent désormais le cours du monde. La première résulte de l’exploitation effrénée et irresponsable des ressources de la biosphère, provoquant du coup la dégradation du milieu qui forme la niche de l’espèce humaine. La deuxième doit sa malfaisance à la voracité mondialisée, et sévissant en toute impunité, de l’oligarchie des superprédateurs financiers, à qui les chefs d’État «démocratiques» donnent le champ libre au détriment des peuples. La troisième investit toute la vie en société grâce au dispositif de gestion technocratique et biopolitique des populations de manière à codifier et à «normaliser» l’ensemble des comportements selon une logique instrumentale tout à fait indifférente aux aspirations qui donnent son sens proprement humain à une vie digne d’être vécue (p. 83-84).

Si tant est qu’un lien clair puisse être établi entre les trois forces de ce «système globalitaire» (p. 84) et les événements de 2012, il faudrait probablement le chercher du côté de la deuxième et, surtout, de la troisième. Un ancien premier ministre du Québec («Grossevoix Lucien Bouchard», p. 13), un ancien ministre des finances («Ubu-Bachand», passim) et des financiers («les Paul Desmarais de ce monde, père et fils», p. 19) feraient partie de ces «pantins» toujours prêts à écraser les autres sans se rendre compte que la logique du monde tel qu’il va a programmé qu’ils seront eux aussi écrasés à leur tour. La situation québécoise ne serait qu’une manifestation de plus d’une déréliction généralisée, un exemple de plus parmi ceux que Chamberland empile les uns sur les autres tout au long du deuxième chapitre.

S’il n’évoque les grèves étudiantes de 2012 qu’allusivement, les Pantins de la destruction permet néanmoins de poser une question à l’ensemble des textes les abordant : pourquoi écrire sur elles ?

Certains se contenteront de rapporter, presque sur le vif, ce qui a été vécu. D’autres voudront prendre du recul et essayer de comprendre ce qui s’est passé, voire de proposer des pistes de solution. D’autres, enfin, utiliseront la fiction pour problématiser la crise sociale. Ceux-là postulent l’existence d’un interlocuteur : à interpeler, à convaincre, à séduire — à qui s’adresser.

Pendant les 100 premières pages de l’essai de Paul Chamberland (qui en compte 109), il n’en va pas de même. Le lecteur est placé devant un soliloque. La basse continue de ce «véritable manifeste citoyen» (quatrième de couverture) est l’indignation contre la situation du monde. Y est postulée une fin inéluctable. Un point de comparaison est sans cesse présent : le nazisme. Que répondre à une phrase comme «Les puissants d’aujourd’hui, puisqu’ils en ont les moyens, entendent assujettir à leur règne l’humanité entière» (p. 57) ? Ce cri est à prendre ou à laisser.

Il faut attendre le troisième chapitre, et tardivement dans ce chapitre, pour voir se dessiner quelque chose de l’ordre de la sortie de l’état de crise. Un «Nous» apparaît (p. 100-101), auquel une forme de «résistance» est proposée. Personne n’est à même de mettre un frein aux forces de Thanatos, mais des choix éthiques s’offrent tout de même à ceux qui refusent «l’avancée de l’inhumain» (p. 85).

Pareille position est parfaitement légitime. Elle confine néanmoins au solipsisme.

 

Référence

Chamberland, Paul, les Pantins de la destruction, Montréal, Poètes de brousse, coll. «Essai libre», 2012, 109 p.

Dans son livre à lui

Sébastien Raymond, Bâton élevé, mises en échec verbales et slapshots philosophiques, 2012, couverture

«On a tous notre heure de gloire
On a tous écrit une page
Du grand livre d’histoire
D’une ligue de garage»
Éric Lapointe, «Rocket (On est tous des Maurice Richard)», 1998

 

Bâton élevé, mises en échec verbales et slapshots philosophiques, qu’a publié récemment Sébastien Raymond, fait se rejoindre deux façons de concevoir le hockey de plus en plus visibles dans la société québécoise.

Depuis quelques années, on a étudié le «sport national» à partir de la théologie (Bauer et Barrot, 2008; Bauer, 2011), de l’histoire culturelle (l’Oreille tendue, 2006), de la psychologie (Grondin, 2012), des sciences humaines en général (Laurin-Lamothe et Moreau, 2011) — et de la philosophie (Baillargeon et Boissinot, 2009).

Dans le même temps, il a été beaucoup question, notamment dans la culture populaire, des ligues de garage. Le meilleur exemple de cela est la série de films, puis d’émissions de télévision, les Boys.

Qu’est-ce qu’une ligue de garage ? La définition suivante est proposée par un des ailiers droits du Patriote de la Vieille Capitale, par ailleurs fidèle lecteur de l’Oreille tendue :

une organisation dont les équipes sont formées de mécaniciens (d’où vient son nom, je suppose), de travailleurs de la construction, de couvreurs, d’électriciens, de commis bancaires, de profs de français ou de philo. Trois particularités dans ce genre d’organisation : les noms d’équipes anglais y sont légion (c’est plus sérieux… encore que Angry Beavers), les matchs ont lieu à des heures impossibles et il faut payer pour y jouer (les lock-out sont peu probables).

Il n’est dès lors pas très étonnant de voir aujourd’hui paraître un ouvrage cherchant, dans ce type de hockey, des «slapshots philosophiques». (Slap Shot n’est seulement un titre de film; c’est aussi un type de lancer, le «lancer frappé».)

En quatrième de couverture, on dit de l’ouvrage qu’il «s’intéresse à l’un des aspects les plus emblématiques de la société québécoise» et qu’il est constitué «de citations glanées dans les chambres de joueurs» et de «photographies originales». Il s’agirait de poser «un regard artistique et plein d’humour sur l’univers des ligues de garage», de montrer comment «la testostérone et la philosophie font bon ménage».

L’entreprise est cependant bien décevante. Sauf exception («Moi, je me considère en bonne forme, malgré que je sois petit pour mon âge»), les «textes» restent au ras des pâquerettes et beaucoup de photos souffrent de leur composition sur deux pages (le lecteur n’arrive pas à voir le centre de l’image). D’autres sont sous-éclairées ou floues.

Les joueurs cités ou photographiés seront peut-être contents du livre. Les autres, pas. L’analyse philosophique des ligues de garage reste à faire. (Il est vrai que ce n’était pas le but de Sébastien Raymond.)

P.-S. — Interrogation linguistique. Dans la phrase «À 5’9” et 175 livres mouillées, tu rentres pas trop fort dans le lard d’un gars qui pèse 50 livres de plus que toi et à qui tu passes en dessous des épaules…», l’accord de «mouillées» attire le regard. Des «livres mouillées» ? L’Oreille tendue aurait préféré le masculin singulier : c’est le joueur dont il est question implicitement qui est «mouillé», pas les livres qu’il pèse.

 

Références

Baillargeon, Normand et Christian Boissinot (édit.), la Vraie Dureté du mental. Hockey et philosophie, Sainte-Foy (Québec), Presses de l’Université Laval, coll. «Quand la philosophie fait pop !», 2009, xiii/262 p. Ill. Préface de Jean Dion.

Bauer, Olivier et Jean-Marc Barreau (édit.), la Religion du Canadien de Montréal, Montréal, Fides, 2008, 182 p. Ill.

Bauer, Olivier, Une théologie du Canadien de Montréal, Montréal, Bayard Canada, coll. «Religions et société», 2011, 214 p. Ill.

Grondin, Simon, le Hockey vu du divan, Sainte-Foy (Québec), Presses de l’Université Laval, 2012, 214 p. Ill.

Laurin-Lamothe, Audrey et Nicolas Moreau (édit.), le Canadien de Montréal. Une légende repensée, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2011, 144 p.

Melançon, Benoît, les Yeux de Maurice Richard. Une histoire culturelle, Montréal, Fides, 2006, 279 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Nouvelle édition, revue et augmentée : Montréal, Fides, 2008, 312 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Préface d’Antoine Del Busso. Traduction : The Rocket. A Cultural History of Maurice Richard, Vancouver, Toronto et Berkeley, Greystone Books, D&M Publishers Inc., 2009, 304 p. 26 illustrations en couleurs; 27 illustrations en noir et blanc. Traduction de Fred A. Reed. Préface de Roy MacGregor. Postface de Jean Béliveau. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2012, 312 p. 42 illustrations en noir et blanc. Préface de Guylaine Girard.

Raymond, Sébastien, Bâton élevé, mises en échec verbales et slapshots philosophiques, Montréal, Les 400 coups, 2012, [n. p.]. Ill.

Les Yeux de Maurice Richard, édition de 2012, couverture

Raconter le Printemps érable, bis

Collectif, Printemps spécial, 2012, couverture

[Sixième texte d’une série sur les livres du Printemps érable. Pour une liste de ces textes, voyez ici.]

Printemps spécial. Fictions a été achevé d’imprimer le 17 septembre 2012. Les douze collaborateurs de l’ouvrage, tous romanciers publiés aux éditions Héliotrope, ont donc écrit dans l’urgence sur ce qu’on a appelé le «printemps québécois» (p. 19, p. 24 et p. 66) ou le «printemps érable» (p. 31 et p. 38), les grèves étudiantes qui ont secoué le Québec tout au long de 2012 et qui n’étaient pas terminées au moment d’aller sous presse. «Leurs textes ici ne visent pas l’analyse, ils ne cherchent pas à convaincre non plus. Ils sont l’expression tour à tour lyrique, ironique, admirative ou mélancolique d’un printemps à nul autre pareil» (p. 4).

Cette proximité avec les événements pose au moins deux questions aux auteurs de fiction. Que peut la littérature devant une révolte comme celle-là ? Où se situer, dedans (avec les grévistes et manifestants) ou dehors (à distance) ?

Le réflexe d’un écrivain est de s’accrocher aux mots, et le Québec de 2012 en a fourni plusieurs aux auteurs de Printemps spécial : «rue» (p. 19, p. 67 et p. 68), «belle vie» (p. 32), «majorité silencieuse» (p. 32), «néolibéral» (p. 37, p. 52 et p. 58), «violence» (p. 40), «intimidation» (p. 40), «indignés» (p. 59-60, p. 68 et p. 111), «enfants-rois» (p. 78), «juste part» (p. 32). C’est ce «juste part» qui, à la toute fin de «La jeune fille et les porcs» de Nicolas Chalifour (p. 15), sauve un texte autrement englué dans le mépris. Photos et textes rappellent les slogans des manifestants : «La loi spéciale, on s’en câlisse !» (p. 67). La littérature est à l’écoute.

Plusieurs auteurs de Printemps spécial écrivent hors du «bourbier montréalais» (p. 90) : de Berlin (André Marois), de New York et de «Occupy Wall Street» (Gail Scott), de Paris (Patrice Lessard, Michèle Lesbre). Le texte de Gabriel Anctil, «La révolte», ne dit strictement rien de plus que les discours médiatiques, même s’il s’ouvre sur une mise à distance : «Le silence qui flotte sur l’étage est mortuaire, comme si cette révolte populaire se déroulait à l’autre bout du monde et non à quelques pas d’ici» (p. 64). Faut-il s’éloigner pour dire quelque chose de neuf ?

Comment situer ce qui se passe au Québec dans un cadre plus large ? Le personnage de Martine Delvaux («Autoportrait en militante») est prudent : «Tu sursautes quand on établit des parallèles entre le printemps érable et le printemps arabe, entre le Québec et la Russie, entre la brutalité policière et les crimes que l’État commet au même moment en Syrie» (p. 31). Ni André Marois («J’ai l’impression que je vais débarquer en terre étrangère, dans une Hongrie de 1956», p. 37) ni Gabriel Anctil (p. 69) n’ont sa retenue.

Chez Catherine Mavrikakis, Simon Paquet et Olga Duhamel-Noyer, l’extériorité est paradoxalement proche et ce choix esthétique fait entrer du trouble dans les discours tout faits. La première, dans «À la casserole», met en scène un personnage venu du passé de la narratrice, Hervé, un clochard sourd aux bruits de la contestation. Le deuxième montre par l’ironie combien il peut être difficile de s’intégrer aux manifestants quand on arrive d’ailleurs, géographiquement et socialement («L’inactiviste»). La dernière, dans le texte le plus fort du recueil, «La corde», imagine une femme victime de violence pendant que passe une manifestation à côté de l’appartement où elle est ligotée, yeux bandés, entourée de gens qu’elle ne peut qu’entendre («Ils commentent des images», p. 102). Ni l’agression ni la manifestation ne paraissent avoir de sens, sans que naisse pour autant l’inquiétude. La fiction sert à montrer cela aussi.

Saisir les mots de la grève est important. Réussir à la déranger est autrement plus difficile, et nécessaire.

 

Référence

Printemps spécial. Fictions, Montréal, Héliotrope, «série K», 2012, 113 p. Ill.