Sexisme scolaire

Dans le Monde des livres du 30 septembre (p. 10), sous le titre «À quoi bon le féminisme ?», Louis-Georges Tin rend compte d’un collectif dirigé par Delphine Gardey, Le féminisme change-t-il nos vies ? (2011).

Il rappelle que les changements politiques ne se font pas en un jour. Pour cela, un exemple :

Ainsi, on explique aux élèves que, dans sa grande bonté, le général de Gaulle a «accordé» le droit de vote aux femmes à la fin de la seconde guerre mondiale. Or, quand on approfondit le sujet, on comprend en fait qu’après des décennies de combat acharné, les mouvements féministes ont finalement obtenu le droit de vote pour les femmes — ce qui constitue une histoire sensiblement différente.

Certains diraient «bien vu». Ici, on préférera «bien entendu».

Des nouvelles du modèle (québécois)

Dans notre Dictionnaire québécois instantané (2004), il était longuement question du modèle québécois, ce syntagme ô combien figé de la langue médiatique provinciale. Et aujourd’hui ?

C’était, selon l’Oreille tendue et son complice, la grande question du nouveau millénaire : «Exit le modèle québécois ?» (la Presse, 24 février 2003); «Un modèle à revoir ?» (la Presse, 14 juin 2003). Elle reste de mise : «Le modèle québécois tient-il encore la route ?» (la Presse, 27 novembre 2004, p. A33); «Allégé ou pas, le modèle québécois ?» (la Presse, 11 novembre 2010, cahier Affaires, p. 8); «Et si le modèle québécois était relégué aux oubliettes ?» (le Devoir, 1er et 2 mai 2010, p. I1). Il est vrai que ce modèle n’est pas sans risque : «Le modèle québécois rendrait les petits agressifs et anxieux» (la Presse, 2 février 2006, p. A1).

Plusieurs ne l’aimaient pas / plus. Les gens d’affaires : «Les manufacturiers du Québec souhaitent une révision du modèle québécois» (la Presse, 4 mai 2001). Le gouvernement libéral élu en avril 2003 : «Charest annonce un tout nouveau modèle québécois» (la Presse, 30 avril 2003); «Les libéraux réviseront le modèle québécois» (le Devoir, 17-18 mai 2003). La liste s’est allongée et des menaces planeraient sur lui : «Pour en finir avec le modèle québécois» (la Presse, 23 octobre 2010, cahier Plus, p. 8); «Le modèle québécois est menacé, estime le Bloc» (la Presse, 29 janvier 2010, p. A8). On monte même «À l’assaut du modèle québécois» (le Devoir, 31 mars 2010, p. A1).

L’expression continue à s’appliquer à toutes sortes de domaines. Marijuana : «Mari : Cauchon refuse le modèle québécois» (la Presse, 4 juin 2003). Culture : «En culture, le modèle québécois ne convient plus» (le Devoir, 28 février 2003). Théâtre : «Théâtre : remise en question du “modèle québécois”» (le Devoir, 29 janvier 2003). Commerce : Le commerce électronique. Y a-t-il un modèle québécois ? (Jean-Paul Lafrance et Pierre Brouillard, 2002). Gestion des immigrants : «Le modèle québécois d’intégration culturelle est à préserver» (le Devoir, 17 mai 2004, p. A7). Sport : «Constat d’échec pour le modèle sportif québécois» (la Presse, 21 décembre 2007, p. A16). Équitation : «le modèle québécois en matière d’initiation au cheval et à l’équitation» (la Presse, 29 mai 2004, p. A15). École : «le modèle québécois d’enseignement de la lecture» (la Presse, 1er septembre 2004, p. A19). Politique : Justice, démocratie et prospérité. L’avenir du modèle québécois (Michel Venne, 2003).

Existerait aussi en ontarien et en canadien, mais ça se discute. À Ottawa : «On ne se rend pas toujours compte qu’il existe un modèle canadien» (la Presse, 30 décembre 2000); «Un modèle canadien ?» (la Presse, 16 septembre 2002); «Le modèle canadien de Kymlicka» (le Devoir, 19-20 juillet 2003); «LE modèle canadien» (la Presse, 10 novembre 2007, cahier Plus, p. 4); «Le ministre français de la Réforme de l’État vient s’inspirer du modèle canadien» (le Devoir, 30-31 octobre 2004, p. A8); «Harper vante le “modèle canadien”» (la Presse, 22 septembre 2011, cahier Affaires, p. 6). À Toronto : «Le Québec s’intéresse au modèle ontarien» (la Presse, 10 novembre 2004, p. A3); «Le modèle ontarien ?» (la Presse, 21 mai 2004, p. A19); «Le modèle ontarien» (le Devoir, 19 mars 2007, p. A3); «Budget ontarien. L’autre modèle» (le Devoir, 29 mars 2010, p. A8).

S’exportait (a beau mentir qui vient de loin) : «Le “modèle québécois” intrigue le Maghreb» (le Devoir, 22 mai 2002); «Claude Blanchet vend le modèle québécois aux Brésiliens» (la Presse, 25 novembre 2003); «Le modèle québécois inspire le Mexique» (le Devoir, 29 novembre 2003). Ça ne se dément pas : «Ségolène Royal s’intéresse au modèle québécois» (la Presse, 18 septembre 2007, p. A24); «La Belgique tentée par le modèle québécois» (la Presse, 22 octobre 2009, p. A20); «Webtélé. Le modèle québécois plaît aux Français» (la Presse, 29 septembre 2010, cahier Arts et spectacles, p. 5). Le mot d’ordre est même lancé : «Salaires et inégalités : exportons le modèle québécois» (Métro, 18 août 2011); «Exporter le modèle québécois» (le Devoir, 5-6 février 2005, p. G4).

Quand le Québec ne suffit plus, on regarde ailleurs : «le modèle allemand» (la Presse, 4 septembre 2009, p. A14, et Predazzi et Vannuccini, p. 236); «Le modèle britannique qui inspire Ottawa a déjà du plomb dans l’aile» (le Devoir, 12 août 209, p. A3); «Grosse semaine pour… Le modèle irlandais» (la Presse, 11 décembre 2004, cahier Actuel, p. 3); «La fin du modèle néerlandais» (la Presse, 19 juin 2005, cahier Plus, p. 5); «Le modèle suédois» (la Presse, 25 janvier 2011, cahier Arts et spectacles», p. 2). Pour la Belgique, tout le monde n’est pas d’accord : «Le modèle belge» (le Devoir, 19-20 juin 2010, p. E3); «Le modèle belge ? Non merci !» (la Presse, 26 octobre 2004, p. A21).

Le modèle (québécois) est-il devenu un modèle ? Une chose est sûre : moins on le définit, plus on peut l’utiliser à toutes les sauces.

P.-S. — Un synonyme ? Bien sûr : «Appliquer la recette québécoise» (la Presse, 10 juin 2005, cahier Affaires, p. 5).

 

Références

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Predazzi, Francesca et Vanna Vannuccini, Petit voyage dans l’âme allemande, Paris, Grasset, 2007, 239 p. Traduction de Nathalie Bauer. Édition originale : 2004.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2004, couverture

Prière de ne pas déranger

La descendance de l’Oreille tendue est encore, et pour longtemps, sur les bancs d’école. Ladite Oreille ne risque pas manquer de grain à moudre.

Exemple récent.

Le mot «dérangeur»

Le «dérangeur» menacerait donc le «vivre ensemble». La «dérangeure» aussi. Ça ne s’invente pas, et pourtant quelqu’un l’a inventé.

Voyage de découverte en Notulie

Philippe Didion, Notules dominicales de culture domestique, 2008, couverture

[Le texte qui suit s’inscrit dans un projet de «médiation numérique» intitulé «Autour de Publie.net» et mis sur pied par les bibliothèques de Montréal.]

Notulie. n.f. Pays littéraire. Il s’étend aux quatre coins d’Internet. Cap. Épinal. Langue off. Français. Hab. Notulographe et notuliens, notuliens et notuliennes. Climat. Tempéré. Hist. Indépendante dès son origine, la Notulie est fondée en mars 2001. Pol. Le créateur de la Notulie est Philippe Didion, dit «Le notulographe». Il a des ambassadeurs plénipotentiaires dans quelques pays (au Canada, cet ambassadeur est H.). Fête nat. 7 mars, date de la naissance de Georges Perec. Industr. Outre les Notules dominicales de culture domestique, la production de la Notulie est faite de chantiers (interminables) : Mémoire louvrière (œuvres commentées du musée du Louvre), Itinéraire patriotique départemental (descriptions de monuments aux morts régionaux), Invent’Hair (collection d’enseignes de figaros surtout français), Atlas de la Série noire, Films vus à la télévision et au cinéma, Déplacements de 1998 (pays, départements, villes, rues), Souvenirs quotidiens (avant le 4 mars 1997).

Comment accède-t-on à la Notulie ?

On peut s’abonner à la livraison électronique (quasi) hebdomadaire : sur le coup de midi — heure hexagonale —, le dimanche — «le dimanche, c’est […] le jour des notules» —, dans votre boîte de courriel, tombent les Notules dominicales de culture domestique. On dit alors que «les Notules sont servies». Pour les recevoir — et devenir «notulien de base» —, il faut en faire la demande : «les notuliens sont des victimes consentantes».

On peut consulter le site de leur auteur, Philipppe Didion, et lire les nouvelles livraisons au fur et à mesure qu’elles paraissent, de même que les plus anciennes. (Le titre du site est légèrement différent : s’y ajoute «(et de villégiature exotique)»).

On peut enfin lire le recueil qu’a publié publie.net en 2008 — puis, si on n’est pas déjà un abonné, le devenir ou aller visiter le site.

Peu importe : tous les chemins devraient mener à la Notulie.

La mission du notulographe tient en quelques mots :

Recension critique hebdomadaire des livres lus pendant la semaine, accompagnée d’un aperçu sur certains chantiers en cours et de quelques considérations plus ou moins inintéressantes sur ma trépidante existence.

Voilà qui paraît simple : livres lus, chantiers en cours, considérations autobiographiques. Mais l’est-ce (simple) ? Allons voir le recueil.

Philippe Didion y a sélectionné des textes parus entre 2001 et 2007, qu’il publie en ordre chronologique (chaque entrée est titrée, numérotée, datée). Ils sont de longueurs très variables. Exemple (radical) : «Samedi. (Bâillements). (no 284, 3 décembre 2006).» D’autres entrées font quelques pages.

Listes à l’appui, on y découvre ses goûts littéraires et cinématographiques : le roman policier, l’Oulipo (Ouvroir de littérature potentielle), les finalistes du prix René-Fallet (il est du jury), les films français de série B; en ces domaines, l’érudition (primesautière) est constante. Sans être un grand défenseur du sport professionnel, le notulographe est pourtant fort attaché à son club de football, le SAS Épinal. Ses marottes reviennent au fil des pages : il ne mange pas — il croûte; il ne prend pas le métro — il métrotte. Il est plus porté sur le train que sur la voiture (ce qui, si l’on se fie à ses récits, est un choix judicieux). En matière de chasse à l’aptonyme, il n’a de leçon à recevoir de personne, pas même d’Antoine Robitaille.

Professeur de collège, il n’est pas toujours d’accord avec les autorités ni les programmes officiels. En société, il a un idéal — la transparence — et un ennemi — le chauffeur de bus. De-ci de-là, on apprend des choses sur sa santé : il a été grand brûlé, il est abstinent par obligation, il ne multiplie pas les exploits musculaires, il fume, il est adepte de la sieste («ma présence est indispensable at home, personne ne peut faire la sieste à ma place»). Plus jeune, il a fait son service militaire et joué dans le groupe musical Garlamb’Hic. Sa famille est fréquemment mise en scène : à l’officine, Caroline; leurs filles, Alice la cadette et Lucie l’aînée (on peut mesurer l’évolution de son diabète sous la rubrique «Vie merdicale»). On suit ce quatuor spinalien, «la Didionnée», en villégiature, où le pater familias aligne les triomphes halieutiques. Quelques passages plus sombres racontent des deuils. Philippe Didion est un homme d’habitudes, mais aussi de fidélités.

En Notulie, plusieurs qualités sont essentielles : le plaisir de dire je, la qualité du regard, une mémoire fertile, le sens de l’humour («Il y a décidément plus de pédophiles chez les instituteurs que chez les gérontologues»), le refus de l’esprit de sérieux («j’ai des convictions, auxquelles je n’hésite d’ailleurs pas à tordre le cou dès que ça m’arrange»), une bonne dose d’autodérision («Nous faisons un tour dans la ville, d’abord austère mais pas dépourvue de charme. Un peu comme moi, quoi»).

Philippe Didion a beau dire de son «aventure» qu’elle est «modeste et artisanale», ses lecteurs reviennent de Notulie la besace pleine. On pourrait dire de lui ce qu’il écrit de Jean-Claude Bourdais :

À cause aussi de l’empathie qui finit par se créer avec l’homme. Non que celui-ci déploie des trésors de séduction mais parce que, c’est le propre de ces ouvrages quand ils sont réussis, on finit par l’accepter comme un compagnon de sa propre vie, on s’attache à lui et parce que la manque d’indulgence dont il fait preuve pour lui-même vous renvoie à votre propre médiocrité.

Bienvenue en Notulie.

P.-S. — On l’aura compris : il existe un vocabulaire de la Notulie. On le trouve dans la livraison du 10 janvier 2010.

 

[Complément du 16 décembre 2012]

Notulographe et notuliens sont tous embarqués à bord du même navire, le Notulus (livraison du 9 décembre 2012).

 

[Complément du 14 octobre 2018]

Les archives de la Notulie sont disponibles en ligne sur deux sites.

Archives 2001-2011 : http://pdidion.free.fr/

Archives 2011-2018 : https://notulesdominicalesblog.wordpress.com/

 

[Complément du 13 mars 2023]

Sur Twitter, Bibliomancienne «vote pour une notulocratie plus représentative des notuliennes». Dont acte : voir la correction ci-dessus. Elle propose aussi de parler de «notulosphère». Dont acte, bis.

 

[Complément du 17 décembre 2023]

En 2023, le Notulographe présentait son travail sur les ondes de Radio Cristal, «La radio au cœur des Vosges». Ça s’écoute ici.

 

Référence

Didion, Philippe, Notules dominicales de culture domestique, Saint-Cyr sur Loire, publie.net, coll. «Temps réel», 2008, 355 p. Édition numérique.

Citation notulienne du jour

Philippe Didion, Notules dominicales de culture domestique, 2008, couverture

«Vie scolaire. Premier conseil de classe. À nouvelle direction nouvelle mise en scène : le principal a fait installer dans la salle un ordinateur relié à un téléviseur sur lequel on peut voir (il ne dit pas “voir”, bien sûr, il dit “visualiser”, comme il dit cadrer ou cibler pour définir, optimiser pour améliorer, affiner pour préciser et dysfonctionnement pour couille dans le potage) les résultats des élèves et leur évolution sous forme de graphiques riches en courbes colorées. L’école du XXIe siècle est en marche, seulement, comme j’ai pour ma part conservé mon acuité visuelle du XXe, tout ce que je distingue de ma place est un vague halo multicolore, une sorte de vision de la façade de Beaubourg sans verres correcteurs. Je ne m’en sens pas démesurément frustré. (n° 89, 15 décembre 2002).»

Philippe Didion, Notules dominicales de culture domestique, Saint-Cyr sur Loire, publie.net, coll. «Temps réel», 2008, 355 p., p. 53. Édition numérique.