La langue en vidéos

C’est comme ça : l’Oreille n’est pas souvent tendue vers YouTube. Elle sait qu’on y trouve des masses de choses bien faites — à côté d’insondables niaiseries —, mais elle n’a pas le réflexe d’y aller voir. (Pour ses fils, ce serait plutôt le contraire.)

Cela étant, elle fait maintenant des visites régulières sur la chaîne Linguisticæ. Depuis janvier 2014, avec humour, Romain Filstroff souhaite y «rendre la linguistique un peu plus accessible à tous tout en comblant ceux qui en sont férus».

Exemple (sur la sociolinguistique).

(Merci à @revi_redac pour le tuyau.)

Accouplements 37

Plusieurs générations de disquettes

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux textes d’horizons éloignés.)

Sur son blogue, l’excellent @machinaecrire, informaticien de son état, a une série de textes rassemblés sous le titre «Passé simple». Le plus récent est «Le monde perdu». Il se termine ainsi :

Les montres numériques affichaient l’heure à l’aide de diodes électroluminescentes rouges. Je sauvegardais mes premiers programmes sur des cassettes quatre pistes. Je les écrivais en BASIC sur un ordinateur branché à une télé. J’ai connu de mon vivant plusieurs révolutions technologiques.

Comment, lisant cela, ne pas penser à l’Autobiographie des objets (2012) de l’ami François Bon ?

J’ai vu la fin de ce monde (p. 219).

L’année dernière, l’Oreille tendue publiait un article dans la revue Études françaises. On lui a demandé une note biobibliographique. On y lit ceci :

Dix-huitiémiste de formation, il travaille actuellement surtout sur les questions de langue au Québec et sur les rapports entre culture et sport. Son intérêt pour le numérique est ancien : il a utilisé au moins quatre formats de disquettes.

Nos objets, même disparus, nous définissent.

 

Références

Bon, François, Autobiographie des objets, Paris, Seuil, coll. «Fiction & Cie», 2012, 244 p.

Melançon, Benoît, «Éditer des revues savantes. Le point de vue des presses universitaires», Études françaises, 50, 3, 2014, p. 105-111. https://doi.org/10.7202/1027192ar

Plus ça change…

Raymond Joly a longtemps été professeur à l’Université Laval, où il enseignait notamment la littérature française du XVIIIe siècle. Les questions de langue importaient pour lui (euphémisme).

En 1979 s’est tenu à Québec le colloque «La qualité de la langue… après la loi 101». Raymond Joly a été le «rédacteur des débats» de ce colloque, dont les Actes ont été publiés l’année suivante. Il y est question de la qualité de la langue et de ses diverses formes : dans l’enseignement, la publicité, l’Administration, les médias écrits.

À lire «Synthèse et commentaires», deux choses frappent.

Raymond Joly avait du style, là comme ailleurs. Voici le début de sa présentation des discussions sur la langue des publicitaires :

Un mort ne peut rien vendre. Le premier soin du publicitaire doit donc être de ne pas se faire tuer. Les conférenciers l’avaient fort bien compris, et ils usèrent d’une stratégie impeccable. Il dirent tant de mal d’eux-mêmes, avouèrent si franchement que le profit était leur critère suprême, qu’il aurait été de la dernière indélicatesse d’y revenir. Bilan positif à deux titres : d’abord, la discussion sur la qualité de la langue put avoir lieu; et le public apprécia ce réalisme; on sut gré aux conférenciers d’avoir abordé avec netteté, et d’une façon extrêmement instructive, des problèmes concrets.

Les questions abordées durant ce colloque de 1979 pourraient être posées de nouveau, le plus souvent dans les mêmes termes. L’interrogation (rhétorique) suivante aurait pu être formulée hier : «ne faudrait-il pas exiger de ceux qui veulent entrer dans l’enseignement une connaissance solide de ce qui sera, leur carrière durant, leur principal outil de travail ?» C’est un exemple parmi tant d’autres. Comme l’Oreille tendue a voulu le montrer dans un livre récent, parler de langue, au Québec, est une de nos plus anciennes habitudes.

 

Références

Joly, Raymond, «Synthèse et commentaires», dans Actes du colloque «La qualité de la langue… après la loi 101», Québec, 30 septembre-3 octobre 1979, Québec, Gouvernement du Québec, Conseil de la langue française, Direction des études et recherches, coll. «Documentation du Conseil de la langue française», 3, 1980. http://www.cslf.gouv.qc.ca/publications/pubd103/d103-iv.html#v

Melançon, Benoît, Le niveau baisse ! (et autres idées reçues sur la langue), Montréal, Del Busso éditeur, 2015, 118 p. Ill.

Benoît Melançon, Le niveau baisse !, 2015, couverture

Le sexe des langues ?

Raymond Bock, Atavismes. Histoires, 2011, couverture

Hier, l’Oreille tendue tombe sur ceci :

Le subjonctif
se fait
traiter
de fif

C’est de Francis Monty, dans le spectacle collectif la Fête sauvage (2015, p. 39).

Cela lui a fait penser à cette (fine) définition du (malheureux) Dictionnaire de la langue québécoise de Léandre Bergeron :

Étudiant en lettres n.m — Homosexuel (1980, p. 215).

À ceci encore, chez André Belleau, en 1981, dans «Parle(r)(z) de la France» :

Il ne faut pas oublier qu’il existe au Canada un courant de haine envers nous (il y a plusieurs courants au Canada) qui se nourrit de la conviction que nous avons quelque chose de français. Lors de la guérilla linguistique à Saint-Léonard [en 1969], un groupe d’anglophones marcha sur Ottawa. Ils furent reçus par le ministre Gérard Pelletier. Une photo en page trois de la Presse le montrait souriant, détendu, devant des porteurs de pancartes dont l’une, au tout premier plan, disait : “NO FLOWERY FRENCH, ENGLISH THE LANGUAGE OF MEN !” Le français, notre langue, une langue de tapette… (éd. de 1986, p. 35-36).

À cette déclaration d’un personnage d’Atavismes de Raymond Bock :

une moumoune pas à peu près qui lisait des livres et qui enseignait des affaires niaiseuses et inutiles (2011, p. 130).

Et enfin à ceci, du grand Réjean Ducharme :

La poésie et tous ces fifis qui en font, il ne bavera plus dessus (Gros mots, 1999, p. 186-187).

Fif, homosexuel, tapette, moumoune, fifi : décidément, il y en a qui ont du mal, et depuis longtemps, avec la langue et les lettres.

P.-S. — Le texte de Belleau a déjà été évoqué ici.

 

[Complément du 23 novembre 2015]

Dans son essai la Leçon de Jérusalem (2015), Monique Larue évoque son enseignement du français au cégep :

Je me souviens du cours de langue orale dans lequel il fallait observer un niveau dit «soutenu» dans un exposé formel. Je demandais par exemple à mes étudiants qu’ils suppriment complètement l’expression faque et s’exercent à prononcer «ce qui fait que». […]
Articuler quatre syllabes au lieu de deux ne requiert aucun effort mesurable, mais mon défi gênait tant mes élèves qu’ils préféraient perdre des points, eux pourtant si attachés à leur classement. Impossible de se passer de ce faque dans la ponctuation de leur laïus. […] Les garçons avaient peur de passer pour efféminés face aux filles, et les filles pour hautaines face aux garçons (p. 139).

Efféminé.

 

Références

Belleau, André, «Parle (r)(z) la France», Liberté, 138 (23, 6), novembre-décembre 1981, p. 29-34; repris, sous le titre «Parle(r)(z) la France», dans Y a-t-il un intellectuel dans la salle ? Essais, Montréal, Primeur, coll. «L’échiquier», 1984, p. 45-47; repris, sous le titre «Parle(r)(z) de la France», dans Surprendre les voix. Essais, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 1986, p. 33-38; repris, sous le titre «Parle(r)(z) de la France», dans Surprendre les voix. Essais, Montréal, Boréal, coll. «Boréal compact», 286, 2016, p. 33-38. https://id.erudit.org/iderudit/60322ac

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

Bock, Raymond, Atavismes. Histoires, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 03, 2011, 230 p.

Côté, Véronique et un collectif d’auteurs, la Fête sauvage, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 06, 2015, 125 p. Ill.

Ducharme, Réjean, Gros mots. Roman, Paris, Gallimard, 1999, 310 p.

LaRue, Monique, la Leçon de Jérusalem, Montréal, Boréal, 2015, 297 p.

Troubles du sommeil

L’Oreille tendue est de celles qui peuvent dormir partout : en voiture, sur la chaise du dentiste, au théâtre — voire dans son lit. Pour elle, le sommeil est généralement réparateur.

C’est à cela qu’elle pensait devant cette publicité du métro de Montréal :

Publicité, métro de Montréal, novembre 2015

 

Le personnage en robe de chambre, contrairement à l’Oreille, a manifestement passé une mauvaise nuit : il a dormi sur la corde à linge. La preuve : le matin venu, il y est encore accroché, le café à la main, l’air peu fringant.

On lui souhaite de connaître de meilleurs dodos, et, surtout, bien sûr, que la «literie biologique» y contribue.

 

[Complément du 22 septembre 2017]

Exemple romanesque emprunté au Michel Tremblay de la Grande Mêlée (2011) :

Elles n’avaient pas vieilli d’un seul jour alors que lui, il en était conscient, s’était détérioré au fil des années à cause des abus qu’il avait infligés à son corps — la boisson, d’innombrables nuits sur la corde à linge, les femmes faciles, le laudanum et même un peu d’absinthe, le poison des poètes, en fait tout ce que la grande ville peut offrir à un homme qui souffre et qui veut oublier (éd. de 2017, p. 673).

 

[Complément du 29 mai 2020]

Hypothèse étymologique :

 

[Complément du 19 septembre 2020]

Dès 1904, pourtant, sous la plume de Rodolphe Girard, dans le roman Marie Calumet, on pouvait lire : «Ne m’en parle pas. Je me sens les cheveux à pic comme des clous, et les côtes sur le long comme si j’avais dormi sur la corde à linge» (éd. de 2020, p. 33).

 

Références

Girard, Rodolphe, Marie Calumet. Roman, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 142, 2020, 305 p. Édition, postface & chronologie par Jean-Philippe Chabot. Édition originale : 1904.

Tremblay, Michel, la Grande Mêlée, dans la Diaspora des Desrosiers, préface de Pierre Filion, Montréal et Arles, Leméac et Actes sud, coll. «Thesaurus», 2017, 1393 p., p. 659-836. Édition originale : 2011.