Lecture de lit

Prévost, Histoire d’une Grecque moderne, éd. de 1990, couverture

«Il me vint à l’esprit que si j’avois des lumières certaines à espérer, c’étoit au lit même de Théophé, qui étoit encore en désordre. Je saisis avidement cette pensée. Je m’en rapprochai avec un redoublement de crainte, comme si j’eusse touché à des éclaircissemens qui emportoient la dernière conviction. J’observai jusqu’aux moindres circonstances, la figure du lit, l’état des draps et des couvertures. J’allai jusqu’à mesurer la place qui suffisoit à Théophé, et à chercher si rien ne paraissoit foulé hors des bornes que je donnois à sa taille. Je n’aurois pu m’y tromper; et quoique je fisse réfléxion que dans une grande chaleur elle pouvoit s’être agitée pendant le sommeil, il me sembloit que rien n’étoit capable de me faire méconnoitre ses traces. Cette étude, qui dura longtems, produisit un effet que j’étois fort éloigné de prévoir. N’aiant rien découvert qui n’eût servi par dégrés à me rendre plus tranquille, la vue du lieu où ma chère Théophé venoit de reposer, sa forme que j’y voyois imprimée, un reste de chaleur que j’y trouvois encore, les esprits qui s’étoient exhalés d’elle par une douce transpiration, m’attendrirent jusqu’à me faire baiser mille fois tous les endroits qu’elle avoit touchés. Fatigué comme j’étois d’avoir veillé toute la nuit, je m’oubliai si entièrement dans cette agréable occupation, que le sommeil s’étant emparé de mes sens, je demeurai profondément endormi dans la place même qu’elle avoit occupée.»

Abbé Prévost, Histoire d’une Grecque moderne, édition établie par Alan J. Singerman, Paris, GF-Flammarion, coll. «GF», 612, 1990, 345 p., p. 254-255. Édition originale : 1740.

Autopromotion 473

Galerie du Palais de justice, Paris, gravure de Noël Le Mire, d’après Hubert François Gravelot, 1774 (?),

La 402e livraison de XVIIIe siècle, la bibliographie de l’Oreille tendue, est servie.

La bibliographie existe depuis le 16 mai 1992. Elle compte 46 701 titres.

Illustration : Galerie du Palais de justice, Paris, gravure de Noël Le Mire, d’après Hubert François Gravelot, 1774 (?), Rijksmuseum, Amsterdam

Feu d’artifice (presque) précoïtal

Mme de Villeneuve, la Belle et la Bête, éd. de 2010, couverture

«La Bête la remercia laconiquement, après quoi, voulant prendre congé d’elle, elle lui demanda à son ordinaire, si elle voulait qu’elle couchât avec elle. La Belle fut quelque temps sans répondre, mais prenant enfin son parti, elle lui dit en tremblant : “Oui, la Bête, je le veux bien, pourvu que vous me donniez votre foi, et que vous receviez la mienne. — Je vous la donne, reprit la Bête, et vous promets de n’avoir jamais d’autre épouse… — Et moi, répliqua la Belle, je vous reçois pour mon époux, et vous jure un amour tendre et fidèle.”

À peine eut-elle prononcé ces mots, qu’une décharge d’artillerie se fit entendre; et pour qu’elle ne doutât pas que ce ne fût en signe de réjouissance, elle vit de ses fenêtres l’air tout en feu par l’illumination de plus de vingt mille fusées, qui se renouvelèrent pendant trois heures. Elles formaient des lacs d’amour : des cartouches galants représentaient les chiffres de la Belle, et on lisait en lettres bien marquées, VIVE LA BELLE ET SON ÉPOUX. Ce charmant spectacle ayant suffisamment duré, la Bête témoigna à sa nouvelle épouse qu’il était temps de se mettre au lit.»

Madame de Villeneuve, la Belle et la Bête, édition établie et présentée par Martine Reid, Paris, Gallimard, coll. «Folio 2 €», série «Femmes de lettres», 5068, 2010, 141 p., p. 86-87. Édition originale : 1740.

Citons François Blais

Lettres québécoises, 176, hiver 2019, couverture

Si elle en croit son logiciel de blogue (WordPress) — et elle le croit —, l’Oreille tendue a parlé ici une trentaine de fois de l’écrivain François Blais.

Elle a donc été intéressée par le dossier que vient de lui consacrer la revue Lettres québécoises (176, hiver 2019).

Elle en retient deux citations :

«Le livre qui fait partie intégrante de l’écrivain que je suis ? The Life and Opinions of Tristram Shandy, Gentleman, de Laurence Sterne» (p. 18).

«Par contre, je suis fier de dire que je n’ai jamais eu de période Bukowski. Je n’ai même jamais été capable de terminer un livre de Bukowski» (p. 21).

Comment ne pas être d’accord ?