Langue de campagne (20)

Au plus fort de la crise étudiante du printemps dernier au Québec, Line Beauchamp, qui était alors ministre de l’Éducation, avait déclaré à des journalistes que les demandes des étudiants avec lesquels elle négociait la laissaient «pantoite». Plusieurs en étaient restés pantois.

Lors d’un face-à-face télévisé avec la chef du Parti québécois, Pauline Marois, Jean Charest, du Parti libéral du Québec, l’a accusée de vouloir faire planer «un épée de Démoclès» sur la tête des électeurs québécois. On l’a beaucoup raillé pour cette double bourde, répétée dans une conférence de presse tenue immédiatement après ce face-à-face du 20 août.

Ces deux fautes ne sont pourtant pas exactement de même nature, et la première est particulièrement révélatrice du rapport à la langue des politiques au Québec.

Durant le face-à-face, Jean Charest a fait une faute, ce qui arrive à tout le monde, et personne de son entourage n’a probablement eu le temps de la lui indiquer avant la conférence de presse. En revanche, Line Beauchamp a commis sa faute le matin et elle continuait à la répéter en fin d’après-midi le même jour, notamment à la radio. Aucun des proches de la ministre n’a pu la corriger ? Aucun ne l’a voulu ?

Dans le même ordre d’idées, il y a pire.

Dans une publicité radiophonique tombée dans l’oreille de l’Oreille tendue le 27 août, Jean Charest employait un «lequel» où il aurait fallu «laquelle»; or il ne parlait pas en direct.

La Coalition avenir Québec de François Legault ne fait pas autre chose. Sa publicité, sans guère se soucier de la langue, ne dit-elle pas «On est les seuls qui doivent rien à personne. Nous, on va le faire» ? (Merci à @MarcCassivi pour la citation.)

Il y a donc des gens, quelque part, qui conçoivent des campagnes publicitaires et qui y tolèrent une langue fautive ou approximative. La pratique n’est pas nouvelle : durant la campagne électorale de 1989, les publicités du Parti libéral du Québec ne se gênaient pas pour scander «C’que l’Québec a besoin».

Comment expliquer ce mépris de la correction la plus élémentaire, dont il est difficile d’imaginer un équivalent ailleurs dans le monde ?

Une explication psychologique pourrait être avancée, mais elle ne saurait convaincre : certains membres de leur personnel politique hésiteraient à corriger leur patron, par exemple Line Beauchamp.

On pourrait aussi postuler que la faiblesse de la langue des politiques et de leur entourage n’est que le reflet de celle de la population en général. Le personnel politique parlerait aussi mal que le reste des électeurs, ou, pour le dire autrement, il ne parlerait pas plus mal. L’hypothèse serait cruelle.

Il y aurait plus cruel encore. Et si la langue avait tellement peu d’importance pour l’entourage des politiques et pour les politiques eux-mêmes que tous ces gens repéraient les fautes de leurs publicités, mais les laissaient volontairement passer ? Après tout, au Québec, qui pourrait s’offusquer de la mollesse de la langue des élus ? Cette hypothèse d’explication serait la plus cruelle, car la plus cynique.

Langue de campagne (18)

Les campagnes politiques sont faites pour attaquer ses adversaires. Au Québec, en 2012, de quoi s’accuse-t-on les uns les autres ? Les débats télévisés du mois d’août offrent quelques pistes de réflexion.

Le chef du Parti libéral trouve que celui de la Coalition avenir Québec change souvent d’idées. Pour Jean Charest, François Legault n’est «pas fiable».

Entre François Legault et Pauline Marois, la pomme de discorde est syndicale. Lui sur elle : elle a «les mains attachées avec les syndicats». Elle sur lui : «y haït les syndicats». En outre, le caquiste pratiquerait, si l’on en croit la péquiste, la «pensée magique». Inversement, elle représenterait le «statu quo»; pire, elle serait le chef des caribous.

François Legault a deux obsessions : les mains et la gêne. Contrairement aux autres, il n’a pas, lui, les mains «attachées» : les siennes sont «libres» et «propres». Il trouve que ses adversaires devraient se sentir mal de ce qu’ils ont fait ou dit : «Vous êtes pas gênée» (à Pauline Marois, le 19 août et le 22 août); «Vous êtes pas gênée» (à Françoise David, de Québec solidaire, le 22 août); «Vous devriez être gêné» (à Jean Charest, plusieurs fois, le 21 août); «C’est gênant, c’que vous faites» (à Pauline Marois, le 22 août).

Jean Charest se méfie, entre autres choses, de la cruauté de sa vis-à-vis du Parti québécois. Ses positions sur la santé, en effet, «ça donne des frissons à du monde».

Le «bon sens» paraît être une qualité enviable. Pauline Marois, Jean Charest et François Legault accusent leurs adversaires, individuellement ou collectivement, d’en manquer. De la même manière, il y aurait, quelque part, une «vraie vie»; c’est du moins la position de Jean Charest. Certains l’ignoreraient (à François Legault : «Ça marche pas comme ça la vie»).

Y a-t-il un ennemi commun à tous ? Évidemment : «la chicane». Personne ne la souhaite, et tous accusent l’autre de la fomenter. Ce sont des élections bien québécoises.

P.-S. — Ces attaques et insultes sont évidemment réversibles. François Legault a renvoyé son insulte («pas fiable») à Jean Charest et Pauline Marois l’a utilisée à l’égard de François Legault (la Presse, 29 août 2012, p. A1). Elle a aussi traité le chef de la Coalition avenir Québec de «presque caribou» (radio de Radio-Canada, 30 août 2012). On peut parfois s’y perdre.

Langue de campagne (16)

Un des points forts de la campagne électorale actuelle au Québec a été — ou aurait dû être, c’est selon — les rencontres télévisées entre les chefs des principaux partis politiques.

Le débat diffusé par la télévision publique (Radio-Canada, Télé-Québec, TV5) le 19 août était presque complètement exempt de langue populaire. Jean Charest (Parti libéral), Françoise David (Québec solidaire), François Legault (Coalition avenir Québec) et Pauline Marois (Parti québécois) s’étaient mis sur leur trente-six. Des exceptions ? Françoise David : «plate». François Legault : «se payer la traite», «tanné» (deux fois). Pauline Marois : «à soir» (deux fois), «cenne», «bein» (pour «bien»). Jean Charest : «J’peux-tu juste vous rappeler ?», «du monde qui font rien». Guère plus.

Les trois soirs suivants, le débat à quatre fut remplacé par des face-à-face (JC/PM, JC/FL, FL/PM), présentés sur les ondes d’une chaîne privée, TVA. La langue populaire s’est alors faite de plus en plus présente, surtout chez Pauline Marois : «trois mois de temps», «bein» (encore), «piasses», «Y a toujours bein un bout», «donner un break», «cenne», «fèque», «c’est plate à dire», «j’trouve ça pas pire», «à matin», «la djobbe», «y haït les syndicats» (s’agissant de François Legault), etc. Ses adversaires n’étaient cependant pas totalement en reste : «les djobbes dans l’nord, c’est des djobbes dans l’sud» (Jean Charest), «pis» (François Legault, deux fois), «J’peux-tu répondre» (Jean Charest, deux fois).

Sur Twitter, le soir du 20 août, @titocurtis se posait la question suivante : «Marois using some joual. Is it a coincidence that the debate’s on TVA ?» Peut-on, en effet, lier l’emploi de la langue populaire (le «joual», pour reprendre le terme de Curtis, tout contestable qu’il est) et la présence sur une chaîne commerciale ? D’autres raisons peuvent expliquer cette modification du lexique de la chef du Parti québécois (volonté de paraître moins «hautaine», cadre différent pour les échanges, etc.), mais la question mérite d’être soulevée.

P.-S. — L’Oreille tendue avoue ne pas trop savoir quoi faire d’une déclaration de Jean Charest le 19 août : «Quand y a des coches mal taillées, on les répare.» Comment peut-on «réparer» une «coche mal taillée» ? Langue populaire ou approximative ?

Langue de campagne (15)

Les chefs politiques québécois ont-ils le sens de la formule qui fait mouche et qui marque les consciences ? Dont les auditeurs — en l’occurrence ceux des débats télévisés d’août 2012 au Québec — vont se souvenir ?

Guère.

François Legault, le chef de la Coalition avenir Québec, le soir du 19 août, a lancé un «Pendant que les Québécois marchent, les autres courent» bien senti, et il l’a répété.

Le même soir, Françoise David, de Québec solidaire, a eu une fort piquante réplique pour le premier ministre et chef du Parti libéral : «À votre place, Monsieur Charest, je ne fanfaronnerais pas.» N’ayant pas été invitée aux face-à-face des jours suivants, elle n’a pas eu l’occasion de la marteler.

Il faut probablement être épistologue, comme l’Oreille tendue, pour apprécier l’accusation de Pauline Marois, du Parti québécois, envers le même Jean Charest : «On pratique, chez Monsieur Charest, le fédéralisme de correspondance.» L’actuel premier ministre provincial aimerait bien écrire à ses homologues fédéraux, qui ne lui répondraient pas. Joli.

Pour la phrase qui tue, donc, on repassera.

P.-S. — L’Oreille tendue s’en voudrait de ne pas souligner le franc-parler de Catherine Dorion, la candidate d’Option nationale dans la circonscription de Taschereau. Que dit-elle de la plateforme de son parti ? Que c’est «la plus bandante». Rien de moins.

Langue de campagne (13)

La plupart des commentateurs s’entendent pour dire que la révélation du débat électoral télévisé du 19 août 2012 entre Jean Charest (Parti libéral), François Legault (Coalition avenir Québec), Pauline Marois (Parti québécois) et Françoise David (Québec solidaire) a été cette dernière.

Que dire de la langue de Françoise David ?

On ne pouvait qu’être frappé par le naturel de son expression. Loin des tics de ceux qu’elle appelait ses «collègue», elle ne passait pas son temps à reprendre des expressions toutes faites. De même, elle n’hésitait pas à utiliser, par exemple, «han» en fin de phrase, comme le font des masses de ses compatriotes.

Son sens de la répartie tranchait sur les répliques de ses adversaires politiques : «Franchement !», «Laissez-moi une p’tite chance» (à François Legault), «Je prends beaucoup l’autobus et je peux vous dire qu’il n’y a pas de bataille dans l’autobus» (à François Legault, encore, qui ne doit pas le prendre souvent).

Le «Je n’en disconviens pas» qu’elle a utilisé à un moment lui a valu des éloges sur Twitter. (L’Oreille tendue se réjouit de voir employée publiquement une expression qu’elle affectionne.)

C’est surtout à Françoise David que revient une des piques les plus justes de la soirée. S’agissant de la question de la corruption au Québec, elle avait un conseil pour le premier ministre : «À votre place, Monsieur Charest, je ne fanfaronnerais pas.»

Elle aurait pu verser dans le populisme : «À votre place, Monsieur Charest, je ne f’rais pas mon smatte.» Ou dans le rare : «À votre place, Monsieur Charest, je ne plastronnerais pas.» Elle a choisi le verbe le mieux calibré.

Est-ce cela, faire de la politique «autrement» ?

P.-S. — Québec solidaire oblige, Françoise David parle aussi d’«assemblée citoyenne» et elle se sert de l’adjectif «métissé». On n’en attendait pas moins d’un parti de gauche.

P.-P.-S. — Sur le blogue de Québec solidaire, aujourd’hui, sa co-porte-parole préfère «menterie» à «mensonge». Cela n’étonne pas, venant d’elle.