L’insuffisance du moderne

Certains ont l’œil; ce n’est pas le cas de l’Oreille tendue. Cela étant, celle-ci ne désespère pas, un jour, peut-être, de comprendre quelque chose à la peinture. Elle va donc à l’occasion au musée, histoire de ne pas rester complètement sourde picturalement.

Hier, elle était au Musée des beaux-arts de Montréal pour l’exposition la Couleur du jazz. Une modernité des années 1920. Montréal, le Groupe de Beaver Hall. Elle y a (re)vu les scènes urbaines d’Adrien Hébert, un autoportrait de Lilias Torrance Newton (1931), un étonnant nu de Prudence Heward, Jeune femme sous un arbre (1931).

Lui est aussi revenue une des grandes vérités adverbiales : moderne, c’est plouc; résolument moderne, c’est mieux.

Exemples (il y en avait peut-être d’autres).

Exposition la Couleur du jazz. Une modernité des années 1920. Montréal, le Groupe de Beaver HallExposition la Couleur du jazz. Une modernité des années 1920. Montréal, le Groupe de Beaver HallExposition la Couleur du jazz. Une modernité des années 1920. Montréal, le Groupe de Beaver Hall

Un adverbe vous manquerait et tout serait dépeuplé.

P.-S. — Ce n’est pas la première fois que l’Oreille est résolument attirée par cet adverbe. Voir ici.

 

[Complément du 27 janvier 2016]

Le sport aussi peut être «résolument moderne», dixit la Presse+ du jour.

Résolument moderne, dit la Presse+ du 27 janvier 2016

 

[Complément du 4 mars 2018]

Une cuisine ? Une cuisine, dixit la Presse+ d’hier.

Une cuisine «résolument moderne», la Presse+, 3 mars 2018

 

[Complément du 1er septembre 2019]

Musée du jour : Pointe-à-Callières et son exposition «À table ! Le repas français se raconte». Surprise ! On était déjà «résolument moderne» au XVIIIe siècle !

Exposition «À table !», Montréal, 2019

 

[Complément du 22 juin 2020]

Le mal n’est pas tout récent si on se fie à un polar de 1968, Chauffé à blanc : «Le blanc et le bordeaux dominaient dans la pièce au mobilier résolument moderne» (p. 58).

 

[Complément du 18 septembre 2022]

Plus fort que le «résolument moderne» ? La Presse+ d’hier proposait «résolument très moderne».

«résolument très moderne», la Presse+, 17 septembre 2022

 

Référence

Coe, Tucker, Chauffé à blanc, Paris, Gallimard, coll. «Série noire», 1176, 1968, 250 p. Traduction de M. Elfvik.

Le niveau baisse ! (1922)

Joseph Dumais, le Parler de chez nous, 1922, couverture

(«Le niveau baisse !» est une rubrique dans laquelle l’Oreille tendue collectionne les citations sur le déclin [supposé] de la langue. Les suggestions sont bienvenues.)

 

«Chez nous, l’adoption de mots étrangers appauvrit la langue. L’usage fréquent de mots anglais démontre d’abord l’indigence de notre vocabulaire français et ensuite le peu de respect que nous avons de notre langue maternelle. Enrichissons donc notre vocabulaire d’un plus grand nombre de mots français, au moins des mots usuels, afin d’être plus en mesure de résister aux dangers qui nous menacent. Qu’on le veuille ou non, nous subissons une métamorphose dont il ne faut pas trop se glorifier. Nos traditions s’en vont, notre mentalité se déforme, nos mœurs se vicient et le bon goût, qualité française, se meurt. Que reste-t-il du bel héritage de nos pères ! Que sont devenues les coutumes familiales, l’autorité des parents sur leurs enfants, les habitudes de respect et d’obéissance de la part de ceux-ci, la franchise, la politesse, la cordialité, la simplicité, la confiance entre amis, entre voisins, l’hospitalité courtoise et sincère, le respect de la parole donnée, la rigidité des principes dans toutes les questions où l’honneur est en jeu et combien d’autres belles vertus ancestrales !»

Source : Joseph Dumais, le Parler de chez nous. Conférence donnée à l’Hôtel de ville de Québec, sous le patronage de la Société des arts, sciences et lettres, par M. Joseph Dumais. Professeur de diction française, directeur du Conservatoire de Québec, membre de la Société des auteurs canadiens et de la Société des arts, sciences et lettres, Québec, Chez l’auteur, 1922, ii/41 p., p. 34-35. Préface d’Alphonse Désilets.

P.-S. — Cette citation inaugure une nouvelle rubrique du blogue, «Le niveau baisse !»

 

Pour en savoir plus sur cette question :

Melançon, Benoît, Le niveau baisse ! (et autres idées reçues sur la langue), Montréal, Del Busso éditeur, 2015, 118 p. Ill.

Benoît Melançon, Le niveau baisse !, 2015, couverture