L’oreille tendue de… Nicolas Langelier

Nouveau projet, numéro 29, printemps-été 2025, couverture

«Officiellement, le PQ [Parti québécois] garde la porte ouverte aux Québécois d’autres origines culturelles qui voudraient se joindre à la cause (l’éventuel référendum sera serré, on aura besoin de tous les votes), mais on sent bien que le projet de pays a une dimension ethnique qu’il n’avait pas eue depuis les beaux jours de Lionel Groulx. Tendez l’oreille et vous entendrez de manière de plus en plus insistante ce type de discours que le journaliste Jean-Charles Harvey — l’un des grands précurseurs de la modernité québécoise — appelait avec mépris le “cri de race”.»

Nicolas Langelier, «La nouvelle fatigue culturelle», Nouveau projet, 29, printemps-été 2025, p. 19-25, p. 22.

Autopromotion 850

Ken Dryden, The Class, éd. de 2024, couverture

L’Oreille tendue a déjà eu l’occasion de parler ici de deux des livres précédents de Ken Dryden : Scotty (2019) et The Series (2022).

Dans le Devoir de ce matin, elle en présente un troisième, The Class (2023), sous le titre «1947-2025. Le dernier Ken Dryden» (p. A7).

Ken Dryden vient de mourir, à 78 ans.

P.-S.—L’Oreille n’a cependant pas eu l’occasion de donner sa citation préférée de ce livre : «On the eve of the first game against Boston, I received a telegram from my father. It read : “Ruin the Bruins. Love, Dad.” After we’d beaten them in game seven, I telegrammed back : “Bruins ruined. Love, Ken“» (p. 248 n.). Traduction libre : «La veille du premier match contre Boston, j’ai reçu un télégramme de mon père. Ça disait : “Écrapoutis les Bruins. Je t’aime, Papa.” Après les avoir battus dans le septième match, je lui ai répondu, aussi par télégramme : “Bruins écrapoutis. Je t’aime, Ken”.»

 

Références

Dryden, Ken, Scotty. A Hockey Life Like no Other, Toronto, McClelland & Stewart, 2019, viii/383 p. Ill. Traduction : Scotty. Une vie de hockey d’exception, Montréal, Éditions de l’Homme, 2019, 439 p. Préface de Robert Charlebois.

Dryden, Ken, The Series. What I Remember, What it Felt Like, What it Feels Like Now, Toronto, McClelland & Stewart, 2022, 191 p. Ill. Traduction : la Série du siècle. Telle que je l’ai vécue, Montréal, Éditions de l’Homme, 2022, 204 p.

Dryden, Ken, The Class. A Memoir of a Place, a Time, and Us, Toronto, McClelland & Stewart, 2024, 479 p. Édition originale : 2023.

Où faire le pli ?

Albert Chartier, Onésime, août 1981, case comportant les mots «Ça m’fait pas un pli !»

Le français de référence connaît l’expression ne pas faire un pli : «être sûr, assuré ou fatal» (Larousse). Le français populaire du Québec propose un autre sens : «laisser complètement indifférent» (Usito).

Exemples du premier usage :

«Deviennent-ils insolents ? il est aisé d’y remédier. On leur donne quelques coups de bâton; on les paie, et on les renvoie : cela ne fait pas le moindre petit pli» (Fougeret de Monbron, Margot la ravaudeuse, p. 98-99).

«Mais quand même en cinquième maison, Vénus conjointe, en principe ça ne faisait pas un pli» (Jean Echenoz, l’Équipée malaise, p. 50).

Exemples du second usage :

«Ça ne lui fait pas un pli. C’est drôle, quand ça ne la concerne pas ça l’ennuie» (Réjean Ducharme, Dévadé, p. 96).

«Il aurait pu m’enduire la tête de morve de bison, ça ne m’aurait pas fait un pli» (Suzanne Myre, Humains aigres-doux, p. 152).

Compliquons un peu les choses. Le pli québécois peut toucher diverses parties du corps.

Le pis, s’agissant de vaches : «Qu’on leur pique leur lait pour l’envoyer chez Provigo plutôt que de le donner à leur veau, ça ne leur fait pas un pli sur le pis» (Pierre Foglia, «Un vrai job, enfin», la Presse, 16 octobre 2010, cahier Plus, p. 2).

Le ventre : «À bien y penser, il n’est pas un restaurant dans Manhattan, in ou pas, où Lafleur ne pourrait pas dîner en paix avec sa femme, sans que son voisin de table ne se doute une seconde de qui il est et s’en douterait-il que ça ne lui ferait probablement pas un pli sur le ventre» (Pierre Foglia, «Flower Loves New York», la Presse, 22 octobre 1988).

La différence : «C’est juste que ma mère dit qu’il existe deux types de monde dans le monde : les ceuses qui se sentent solidaires avec un fugitif juste parce qu’il a échappé aux bœufs, même si c’est un criminel ou s’il a blessé ou volé du monde, pis les ceuses pour qui ça fait pas un pli sur la différence» (William S. Messier, Dixie, p. 136).

La poche : «Je pense à tous les astres en chute libre vers leur étoile et que ça ne fait pas un pli sur la poche à personne» (Marie-Andrée Gill, Uashtenamu, p. 16); «“Ça m’fait pas un pli su’a poche” / ça veut dire que quelque chose ne nous dérange / ne nous perturbe pas» (Fabien Cloutier, Trouve-toi une vie, p. 70).

À votre service.

P.-S.—Rappelons la polysémie québécoise de la poche.

P.-P.-S.—L’Oreille tendue a présenté Dixie en 2015 et Trouve-toi une vie en 2016.

 

Illustration : Albert Chartier, Onésime, août 1981 (éd. de 2011, p. 216)

 

Références

Chartier, Albert, Onésime. Les meilleures pages, Montréal, Les 400 coups, 2011, 262 p. Publié sous la direction de Michel Viau. Préface de Rosaire Fontaine.

Cloutier, Fabien, Trouve-toi une vie. Chroniques et sautes d’humeur, Montréal, Lux éditeur, 2016, 140 p. Dessins de Samuel Cantin.

Ducharme, Réjean, Dévadé. Roman, Paris et Montréal, Gallimard et Lacombe, 1990, 257 p.

Echenoz, Jean, l’Équipée malaise. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 1986, 251 p.

Fougeret de Monbron, Margot la ravaudeuse, Cadeilhan, Zulma, coll. «Dix-huit», 1992, 119 p. Édition originale : 1750. Présentation de Michel Delon.

Gill, Marie-Andrée Gill, Uashtenamu. Allumer quelque chose, Saguenay, La Peuplade, 2025, 102 p.

Messier, William S., Dixie. Roman, Montréal, Marchand de feuilles, 2013, 157 p. Ill.

Myre, Suzanne, Humains aigres-doux. Nouvelles, Montréal, Marchand de feuilles, 2004, 157 p.

Lectures sous contrainte

Page de garde avec la signature de Benoît Melançon, juillet 1980

La retraite permet de se livrer à des expériences imprévues. Au cours des dernières semaines, l’Oreille tendue, par exemple, a décidé de ne lire que des livres de sa bibliothèque achetés il y a plus de quarante ans et jamais lus / achevés, ou complètement oubliés. (Elle en possède quelques-uns.)

Bilan d’étape.

Beaucoup de ces livres procurent des bonheurs de lecture, indûment reportés : Gustave Flaubert, la Tentation de saint Antoine (1874); Alain-Fournier, le Grand Meaulnes (1913); Blaise Cendrars, Bourlinguer (1948); Gabrielle Roy, Rue Deschambault (1955 — mais le premier texte choque fort aujourd’hui, bikôse le mot en n-); Franz Kafka, la Métamorphose (1955); Samuel Beckett, Fin de partie (1957); Claude Roy, Défense de la littérature (1968); Nathalie Sarraute, Entre la vie et la mort (1968); Jacques Ferron, le Saint-Élias (1972).

Certains se laissent lire, sans plus, aussitôt refermés aussitôt presque oubliés : Honoré de Balzac, Une fille d’Ève (1839); Alain Robbe-Grillet, Dans le labyrinthe (1959); Heinrich Böll, l’Honneur perdu de Katharine Blum ou Comment peut naître la violence et où elle peut conduire (1975); Peter Handke, la Femme gauchère (1976).

Mais il y a aussi des daubes : Raymond Radiguet, le Diable au corps (1923); André Malraux, la Voie royale (1930, le pire de tous).

À suivre ?

Assassinat critique du jour

Claude Roy, Défense de la littérature, éd. de 1979, couverture

«Vauvenargues excelle à ces profondeurs vagues. Ses maximes et réflexions sont souvent des monuments de marbre en mou de veau, une guimauve qui imite l’airain. Il est bien brave, mais bien flou.»

Claude Roy, Défense de la littérature, Paris, Gallimard, coll. «Idées», 161, 1979, 187 p., p. 166-167. Édition originale : 1968.

P.-S.—On ne peut rien vous cacher : à une époque de sa vie, l’Oreille tendue a écrit quelques comptes rendus de livres de Claude Roy. Ça se retrouve ici.