Les zeugmes du dimanche matin et de Gabrielle Lisa Collard

Gabrielle Lisa Collard, la Mort de Roi, 2019, couverture

«J’oublie toujours combien ils sont cutes, avec leur peau bronzée, leurs camisoles en tissu léger pis leurs journées remplies de cours de yoga, de chats roux et de restos à brunchs concepts» (p. 80).

«Je me souviens d’avoir sauté à travers l’eau glacée qui sortait des gicleurs arrosant la pelouse, et de la couverture de mes livres de solfège» (p. 118).

«Les pelouses sont brunes et les arbres, gluants; l’air est rempli de promesses de cabane à sucre en famille et de particules de gastro» (p. 129).

Gabrielle Lisa Collard, la Mort de Roi. Roman, Montréal, Cheval d’août, 2019, 132 p.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

L’oreille tendue de… Arnaldur Indridason

Arnaldur Indridason, le Duel, 2014, couverture

«Albert tendit l’oreille. La radio diffusait une chanson américaine intitulée Sylvia’s mother, qu’on entendait depuis des semaines dans les émissions de variétés.»

Arnaldur Indridason, le Duel, Paris, Métailié, coll. «Métailié noir. Bibliothèque nordique», 2014, 308 p., p. 17. Traduction d’Éric Boury. Édition originale : 2011.

Autopromotion 463

Twitter, 24 mai 2019Illustration : @TFressin

 

Ces jours-ci, l’Oreille tendue corrige les épreuves de son prochain livre, à paraître chez Del Busso éditeur. Il sera en librairie le 27 janvier 2020.

De quoi s’agit-il ?

Titre

Nos Lumières
Les classiques au jour le jour

 

Quatrième de couverture

Vous vous souvenez d’une allusion à Candide dans Mad Men ? Que dit-on de Mme de Staël dans The Sopranos ? Qu’ont en commun Chuck Norris, Mike Tyson et Bill Lee ? Rousseau est-il, malgré les apparences, un auteur plus important que Voltaire dans le Québec d’aujourd’hui ? Pourquoi Donald Trump devrait-il lire l’Encyclopédie ? Que penser des mises en scène contemporaines des pièces du XVIIIe siècle ?

À partir d’exemples souvent étonnants, Benoît Melançon montre que, quoi qu’on en dise, le siècle des Lumières est toujours bien vivant.

Dix-huitiémiste, blogueur, professeur et éditeur, Benoît Melançon est l’auteur de plusieurs livres remarqués, dont Les yeux de Maurice Richard (2006), Le niveau baisse ! (2015) et L’Oreille tendue (2016). Il a reçu en 2012 le prix Georges-Émile-Lapalme, la plus haute distinction en matière de qualité et de rayonnement de la langue française remise par le gouvernement du Québec.

 

Table des matières

Avant-propos (PDF)

Voltaire, Rousseau et les autres, au Québec

Omniprésents arpents

Les autres Voltaire

La faute à l’un, la faute à l’autre

Rousseau penseur politique

Dire je

Rousseau, pourquoi ?

Sade ? Diderot ?

Médias

La fortune de Mme Geoffrin

Emmanuel Macron, Diderot et Sophie Volland

Chanter les Lumières

Pour une esthétique du ravage

La Révolution programmée

Mme de Staël et la mafia

Le jazz et Mme de Staël

Les Lumières de Mordecai Richler

La robe de chambre de Diderot

Moratoires titrologiques

Turpitude picturale

Quelques Marie-Antoinette

Donald Trump et l’Agneau de Scythie

Les vertus utopiques de l’encyclopédisme

Qui ? Le patriarche de Ferney ?

Périphrases

Le Numéro 6 cultive-t-il son jardin ?

Mad Men et Candide

Drame sadovoltairien chez Patrick Senécal

Habiter le Voltaire

Chuck Norris et Voltaire, même combat ?

Voltaire et Mike Tyson, même combat ?

Pierre Foglia, chroniqueur voltairien ?

Nécrologie voltérienne

Les manettes de François-Marie

Voltaire en bulles

Pauvre Evelyn Beatrice Hall

Voltaire et Charlie hebdo (I)

Voltaire et Charlie hebdo (II)

Scènes

Sade à l’ombre d’une prison

Diderot chez les francs-maçons

Moderniser les Lumières ?

Le choix du noir

Jouer Marivaux demain ?

Postface (HTML)

Sources

Notice

Remerciements

Bibliographie

 

Vidéo de présentation

 

Dans les médias

«Cette tradition du château de carnaval se poursuit, désormais au nom du royaume de l’auto. Dans Nos Lumières, un livre à paraître fin janvier, Benoît Melançon porte attention aux traces laissées par la pensée du siècle de Voltaire» (Jean-François Nadeau, le Devoir, 23 décembre 2019).

Entretien radiophonique avec Marie-Louise Arsenault à l’émission Plus on est de fous, plus on lit ! (Société Radio-Canada, Montréal), 24 février 2020

«Discours politique, pédagogie, littérature, théâtre, chanson, presse, cinéma, télévision, bande dessinée, Web, publicité, jeux vidéo : mis à toutes les sauces, le présentisme des Lumières banalise maintes radicalités libératrices. Marquant le Web, qui n’est pas l’actuelle Encyclopédie Diderot et d’Alembert, l’“ouï dire” culturel (Calvino) est intenable pour penser notre monde prévient l’avisé Melançon, homme des Lumières, intellectuel fidèle à la lettre et à l’esprit de l’œuvre» (Michel Porret, blogue la Ligne de mire [Genève], 30 mai 2020).

Sauvé, Mathieu-Robert, «Benoît Melançon s’intéresse à la présence du passé», udemnouvelles, 12 novembre 2020.

 

Benoît Melançon, Nos Lumières, 2020, couverture

Quatre remarques sur le style de Ronan Farrow

Ronan Farrow, Catch and Kill, 2019, couverture

Dans Catch and Kill. Lies, Spies, and a Conspiracy to Protect Predators (2019), le journaliste Ronan Farrow fait le récit de son difficile travail d’enquête sur les prédateurs sexuels dans le milieu états-unien du cinéma (Harvey Weinstein) et de la télévision (Matt Lauer), entre autres criminels.

Arrêtons-nous sur sa façon de raconter.

Comment caractériser un personnage ? Farrow accord une très grande importance aux accents, qu’il classe en deux familles.

Certains sont faciles à reconnaître : «her Italian accent» (p. 56); «He had a warm, avuncular voice, with an accent that knew its way around the Long Island Expressway» (p. 81); «in an Albanian accent» (p. 156); «a crisp English accent» (p. 160); «the deeper of the two Israeli-accented voices» (p. 312); «a straight, uncomplicated inflection and a Latin American accent» (p. 340); «a thick Ukrainian accent» (p. 359); «a Russian accent» (p. 364).

D’autres, moins : «he couldn’t quite place this one» (p. 13); «accents he couldn’t quite place. Eastern European, maybe» (p. 43); «a heavy accent» (p. 91); «an elegant accent McGowan couldn’t place» (p. 96); «a heavily accented voice» (p. 181); «a refined, indeterminate accent» (p. 243); «an elegant, hard-to-place accent» (p. 256). Dis-moi comment tu prononces, je te dirai, ou pas, qui tu es.

Les articles de Farrow paraissent dans le magazine The New Yorker; on y est friand des descriptions du physique des protagonistes. Catch and Kill en contient donc plusieurs. Aucune, cependant, ne mérite de figurer dans la galerie des portraits de l’Oreille tendue. Pire, Farrow utilise l’expression «square-jawed» (p. 156), cliché d’entre les clichés. La preuve ? De mémoire, Dan Brown y a recours dans The Da Vinci Code.

Mia Farrow, la mère de Ronan, quand elle le voit mouillé de pied en cap, déclare : «Wet’s always in. It’s classic» (p. 93). L’auteur vit à New York et, s’il faut l’en croire, il y pleut beaucoup. Il est sensible au temps qu’il fait et il le fait savoir. Souvent.

Le point de vue est personnel, ce qui n’est pas étonnant : le narrateur raconte comment le réseau télévisuel où il travaillait, NBC, a refusé de divulger les résultats dévastateurs de son enquête; on le voit se battre pour se faire entendre. Le point de vue est aussi intime, et doublement.

D’une part, Dylan, la sœur de Ronan, accuse depuis plusieurs années leur père, Woody Allen, de l’avoir agressée sexuellement quand elle était enfant. Recueillir le témoignage des victimes de Weinstein et de Lauer oblige l’auteur à revenir sur sa propre histoire familiale. Cela est douloureux (p. 190, p. 401).

D’autre part, sur une note plus légère, Ronan Farrow est capable d’auto-anayse et d’humour, notamment lorsqu’il est question de sa vie de couple : «I tried Jonathan, then tried him again. He was increasingly busy with work, and I was increasingly needy and annoying» (p. 264); «Jonathan already got a dedication and he’s quoted throughout these pages. How much more attention does he need ?» (p. 419)

Ce que raconte un livre est important; sa façon de raconter ne l’est pas moins.

 

Référence

Farrow, Ronan, Catch and Kill. Lies, Spies, and a Conspiracy to Protect Predators, New York, Little, Brown and Company, 2019, xvi/448 p.

(S’)enfarger

À quelques reprises, l’Oreille tendue a utilisé ici le verbe (s’)enfarger sans se donner la peine de le définir. Elle en a pris conscience devant ce tweet de Mathieu Avanzi :

Sa réponse immédiate ? «Et “s’enfarger” au Québec», où il a le sens de faire tomber, de trébucher, de se prendre les pieds dans, d’être entravé.

Corrigeons la situation pendant qu’il en est encore temps.

Le verbe peut être transitif : «on enfargeait des vieilles», disait Yvon Deschamps en 1968, cité dans le dictionnaire numérique Usito. (On voit aussi, dans le même sens, donner ou faire une jambette.)

Il est souvent pronominal, comme chez les poètes François Hébert :

sur mes deux jambes
laquelle devant laquelle après laquelle
sans m’enfarger (Où aller, p. 43)

et Patrice Desbiens :

William Carlos
Williams
viens chercher

ta brouette
rouge

On est
tannés

de s’enfarger
dedans

câlisse («WCW»)

Les prosateurs ne sont pas en reste, qu’il s’agisse de Nicolas Guay :

Je n’ai pas découvert dans le bois du Séminaire une entrée dérobée menant à un vaste système de cavernes, où j’aurais fait de la spéléologie avec des amis et les moyens du bord et où, alors que nous aurions été pourchassés par une mystérieuse créature troglodyte et sanguinaire, je me serais enfargé dans une stalagmite retorse, ce qui m’aurait fait faire une chute de plusieurs mètres (blogue le Machin à écrire, 18 juillet 2018; oui, il y a un zeugme dans cette phrase).

ou de William S. Messier :

Bon, Landquist vient de s’enfarger dans le juge de ligne, maudit sacrament de gnochon, pardonnez-moi mon Père (Townships, p. 38).

Si la personne qui s’enfarge bute généralement sur quelque chose qui risque de la faire choir, il peut arriver, étrangement, que cette chose soit sans relief. C’est le cas, pour le dire avec Jean Dion, quand un joueur de hockey s’enfarge «dans la ligne bleue» (le Devoir, 14 janvier 2017).

Au sens figuré, les possibilités sont nombreuses. Ainsi que le note Serge Quérin sur Twitter, qui s’enfarge «dans les fleurs du tapis» s’arrête «à de petits détails». Un ancien ministre, il y a quelques années, avait refusé de «s’enfarger dans un débat de sémantique» avec «cet universitaire-là», en l’occurrence l’Oreille. Pour le romancier Jean-Philippe Chabot, on peut s’enfarger dans un récit :

Les âmes sensibles comme les héros d’un livre dont vous êtes le héros seront libres de prétendre qu’ils ne chient pas et de passer au chapitre suivant sans s’enfarger dans ce que Luc Larouche du rang d’Anjou décida de conter, ce soir de février là, autour de la truie chaude dans laquelle allaient se consumer, tout au long de l’hiver, autant de cordes de bois que d’histoires douteuses (le Livre de bois, p. 94-95; oui, c’est encore un zeugme).

Qui est entravé dans son mouvement, enfin, peut avoir recours au verbe :

Puis je me penchai sur le contrat, gribouillai une signature, puis deux, m’enfargeai dans mon numéro d’assurance sociale, oubliai une minute mon code postal, remis enfin un exemplaire à mon nouvel employeur, qui le rangea dans un classeur métallique (le Continent de plastique, p. 16).

Vous êtes prévenu.e.s.

P.-S.—Les amateurs d’histoire de la langue n’oublieront pas que George Sand connaît enfarger pour entraver une bête, mettre les enfarges.

 

Références

Chabot, Jean-Philippe, le Livre de bois. Roman canadien-français, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 114, 2017, 135 p.

Desbiens, Patrice, «WCW», dans Un pépin de pomme sur un poêle à bois, Sudbury, Prise de Parole, 1995, p. 69.

Guay, Nicolas, «Passé simple (77) — Comment je ne me suis pas cassé la jambe», blogue le Machin à écrire, 18 juillet 2018.

Hébert, François, Où aller, Montréal, L’Hexagone, coll. «L’appel des mots», 2013, 89 p.

Messier, William S., Townships. Récits d’origine, Montréal, Marchands de feuilles, 2009, 111 p.

Turgeon, David, le Continent de plastique. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Écho», 16, 2017, 298 p. Édition originale : 2016.