Le zeugme du dimanche matin et de François Hébert

Les Mohawks «ne connaissent pas le vertige ! Si une trentaine d’entre eux sont tombés dans le fleuve en 1907 lors de la construction du pont de Québec, ce n’est pas pour avoir perdu l’équilibre : c’est toute la structure qui s’est effondrée. Ils reposent en terre et en paix à Kahnawaké, sous des croix faites des poutres d’acier du pont.»

François Hébert, Signé Montréal, Montréal, Pointe-à-Callière. Musée d’archéologie et d’histoire de Montréal, 2010, 159 p., p. 80. Moment Factory : visuels. Avec la collaboration de Sylvie Dufresne, Paul-André Linteau et Raymond Montpetit.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

La reconnaissance du pion

Comment reconnaître un pion ?

Vous faites lire au sujet concerné la publicité suivante :

Les propriétaires de la Parisienne voulaient monnayer la valeur de leur entreprise sans que leur équipe de direction ne doive plier bagage. Roynat s’est occupée du montage financier (la Presse, 28 septembre 2011, cahier Affaires, p. 9).

Si le sujet concerné se met à tressaillir à la lecture du «ne explétif» utilisé avec «sans», vous avez affaire à un pion.

Il arrive à l’Oreille tendue d’avoir des réflexes de pion.

P.-S. — C’est sa bible, le Girodet, qui le dit : «Sans que. Toujours suivi du subjonctif. Après sans que, on évitera d’employer le ne explétif […]» (p. 701).

 

Référence

Girodet, Jean, Dictionnaire Bordas. Pièges et difficultés de la langue française, Paris, Bordas, coll. «Les référents», 1988, 896 p. Troisième édition.

Les joies de la poste

Gilles Duceppe n’est plus chef du Bloc québécois, le parti souverainiste du Québec qui siège au gouvernement fédéral du Canada (ce serait un peu long à expliquer). Maria Mourani veut l’être à sa place.

Pour des raisons que l’Oreille tendue ne s’explique pas, Mme Mourani vient de lui écrire pour lui annoncer la nouvelle.

Courriel de Maria Mourani, 2011

Les destinataires de ce courriel sont invités à lire sa déclaration de candidature. Malheureusement, il n’y est pas question du statut de la langue française dans le monde numérique. Il y a un «mailman», celui de quebec-hebergement.com, qui s’en tire à bon compte.

Viagra littéraire

Jacques Poulin, l’Homme de la Saskatchewan, 2011, couverture

Dans le plus récent roman de Jacques Poulin, l’Homme de la Saskatchewan (2011), Jack Waterman — c’est un nom de plume — est engagé comme nègre pour écrire l’autobiographie d’un jeune gardien de but métis, Isidore Dumont, né à Batoche en Saskatchewan, descendant de Gabriel Dumont («le Che Guevara de la Saskatchewan», p. 63), qui joue encore dans la Ligue américaine en attendant de passer dans la Ligue nationale de hockey. Trop occupé, Jack confie ce contrat à son jeune frère, Francis, qui est «lecteur public» (p. 23) ou «lecteur professionnel» (p. 118) de son état. Francis sera aidé par la Grande Sauterelle, elle-même métis, mais du Québec.

À la suite d’une orchidectomie, ce «petit frère» s’est fait installer un «stimulateur» (p. 16), aux fins que l’on imagine; pour mettre en marche cette «prothèse spéciale» (p. 65), il se récite ses lectures érotiques familières, «une demi-douzaine de passages» appris par cœur (p. 16). Sur une échelle de l’érection de 1 à 5, Anne Hébert (Kamouraska) vaut «un numéro 4» (p. 17), Saint-John Perse (Amers) «un numéro 5» (p. 42-43), Alain Grandbois (Lettres à Lucienne) «un numéro 5», mais qui avait commencé en «numéro 3» (p. 77-78).

Au moment de faire l’amour avec la Grande Sauterelle, Francis hésitera entre, d’une part, Grandbois et Saint-John Perse, déjà éprouvés, et, d’autre part, Hubert Aquin et Hemingway, «à cause de la vigueur de son style» (p. 114). Ça ne sera finalement pas nécessaire :

La marée de plaisir était si puissante que, contrairement au pronostic du spécialiste qui m’avait enlevé la noisette du côté droit, je constatai tout à coup, sans m’être concentré sur le texte de monsieur Hemingway, que j’avais quelque chose qui ne pouvait être qu’un numéro 5. Et voilà que ce numéro 5, tout naturellement, se glissait dans l’intimité de la Grande Sauterelle (p. 117).

Jean M. Goulemot l’avait déjà démontré en 1991 dans une brillante étude, Ces livres qu’on ne lit que d’une main : la lecture mène à tout.

 

Références

Goulemot, Jean M., Ces livres qu’on ne lit que d’une main. Lecture et lecteurs de livres pornographiques au XVIIIe siècle, Paris, Minerve, 1994 (deuxième édition revue, augmentée et corrigée), 182 p. Ill.

Poulin, Jacques, l’Homme de la Saskatchewan. Roman, Montréal et Arles, Leméac et Actes Sud, 2011, 120 p. Ill.