L’art du portrait (de soi)

Éric Chevillard, Dino Egger, 2011, couverture

«Ma vie sentimentale est un cimetière sis dans un désert, au-delà de la mer de glace. Je n’ouvre plus un livre à l’exception des rébarbatifs registres de l’état civil. Les voyages que j’entreprends, tournés vers l’unique objet de mes recherches, ne me laissent aucun loisir pour le tourisme : je n’ai rien vu d’Amsterdam, de Lisbonne, de Chicago, d’Oulan-Bator. Je n’ai rien vu de Prague que les treize logements de Kafka auxquels me conduisit — donc — une fausse piste. On me dit qu’il y a des canaux à Venise, ah bon ? Mon toucher subtil m’attirait des compliments au tennis et au piano, j’ai dû renoncer à les pratiquer, aujourd’hui je les confonds un peu.»

Éric Chevillard, Dino Egger. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 2011, 153 p., p. 90.

Perplexité culinaire, bis

Soit la mention «Saveur simulée» sur les deux sacs ci-dessous.

Emballages de croustilles Lays, 2011

Le consommateur doit-il penser qu’il existe une telle chose qu’une saveur naturelle de chips au ketchup ou de chips aux cornichons à l’aneth ?

On serait étonné à moins.

P.-S. — La première «perplexité culinaire» de l’Oreille tendue date du 5 novembre 2009. Elle n’est pas moins troublante que celle-ci.

Sacrer au musée, tous sexes confondus

Affiche de l'exposition «Tabarnak. L’expo qui jure», 2011

L’Oreille tendue aime les jurons, et particulièrement tabarnak. La catégorie «Jurons» — plus bas, à droite — en est la preuve.

Elle ne peut donc qu’être attirée par «Tabarnak. L’expo qui jure», que présente le Musée des religions de Nicolet jusqu’au 2 septembre.

Trouvera-t-elle une réponse à la question, qui est dans l’air du temps, du juron féminin en société ? Josée Blanchette consacrait cette semaine une entrée de son blogue (Cause toujours) à la question. Dans un registre un brin différent, deux psychologues américains viennent de publier les résultats d’une étude intitulée «Naturalistically Observed Swearing, Emotional Support, and Depressive Symptoms in Women Coping With Illness». (Conclusion provisoire de l’étude : il y a plus efficace, pour une femme, que de jurer en public.)

Iront-ils tous au musée ? On le leur souhaite.

Ballon polysémique

Michael Connelly, The Fifth Witness, 2011, couverture

(ATTENTION : si vous vous apprêtez à lire le dernier Michael Connelly, ou si vous êtes en train de le lire, ce qui suit pourrait flinguer votre lecture.)

Dans ses polars, Michael Connelly aime semer de discrets indices, puis les reprendre au moment opportun. The Fifth Witness (2011), son plus récent roman, ne fait pas exception.

Au plaisir de la révélation découlant de ces indices s’ajoute celui de la langue, quand on voit des «balloons» — ces «ballons» qu’on gonfle — se mêler à des «balloon payments» — le roman porte sur la crise hypothécaire états-unienne, où ces paiements existent.

D’un ballon l’autre.

P.-S. — En français, dit le Grand dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue français, un «balloon payment» serait un «paiement gonflé» ou un «paiement ultime gonflé». Ce n’est pas aussi aérien.

 

Référence

Connelly, Michael, The Fifth Witness. A Lincoln Lawyer Novel, New York, Little, Brown and Company, 2011. Édition numérique.

Du jeu comme mode de vie

Quiconque suit l’excellente émission Place de la toile de France Culture a déjà entendu le mot gamification dans la bouche de son animateur, Xavier de la Porte (@xporte).

Gamification ?

Fabien Deglise (@fabiendeglise), dans le Devoir, parle de ludification (la traduction est bienvenue). Il s’agit de «l’art de transformer tout et rien en jeu», de l’assassinat d’Oussama ben Laden au viol dont est accusé Dominique Strauss-Kahn, cela afin «d’appréhender le complexe d’une époque en mutation». Ce phénomène répondrait «à la dictature de la mise à jour» et au «présentisme» — «l’incapacité à appréhender autre chose que l’instant présent, sans vision du futur ni perspective historique» — des réseaux sociaux (21-22 mai 2011, p. D4). À lire.