La langue fait signer

Un «Point de vue» a paru dans le Monde du 30 septembre sous le titre «L’orthographe, un jardin à élaguer».

Ses douze signataires appellent l’Académie française à «poursuivre sa mission de régularisation». L’Académie française ? Oui : «Avec l’Académie, on assiste à la promotion d’un usage unique mais, par la suite, les Immortels ont constamment remanié leur propre norme, presque toujours dans le sens d’une régularisation : chaque édition de leur Dictionnaire — neuf au total — définit un nouvel état orthographique. Notre orthographe est donc une orthographe réformée et chaque usager est, qu’il le veuille ou non, un réformiste qui s’ignore.» Voilà qui étonnera plus d’un puriste.

Les signataires sont Bernard Cerquiglini, Jean-Claude Chevalier, Pierre Encrevé, André Goosse, Renée Honvault, Jean-Pierre Jaffré, Jean-Marie Klinkenberg, Gilbert Lazard, Michel Masson, Bernard Quemada, Henriette Walter et Viviane Youx.

La langue fait écrire

Logo, Charles Malo Melançon, mars 2021

Dans le Monde des livres d’aujourd’hui, le 2 octobre, donc d’hier, quatre comptes rendus de livres sur la langue : sur l’orthographe (Olivier Houdart et Sylvie Prioul), sur la ponctuation (Érik Orsenna), sur Bossuet (Jean-Michel Delacomptée), sur l’invention du «français littéraire» au XIXe et au XXe siècle (sous la direction de Gilles Philippe et Julien Piat).

Pour celui de demain, le 3, donc d’aujourd’hui, on annonce un dossier spécial de quatre pages : «Une langue meurt en moyenne tous les quinze jours. Une grande enquête sur ces langues menacées d’extinction.»

Ouf.

 

Références

Houdart, Olivier et Sylvie Prioul, la Grammaire, c’est pas de la tarte !, Paris, Seuil, 2009, 190 p.

Orsenna, Érik, Et si on dansait ?, Paris, Stock, 2009, 130 p.

Delacomptée, Jean-Michel, Langue morte. Bossuet, Paris, Gallimard, coll. «L’un et l’autre», 2009, 198 p.

Philippe, Gilles et Julien Piat (édit.), la Langue littéraire. Une histoire de la prose en France de Gustave Flaubert à Claude Simon, Paris, Fayard, 2009, 576 p.

Trekking linguistique

Il fut un temps où l’Oreille tendue fréquentait avec assiduité les rues de Paris. Elle y revient aujourd’hui, après une absence de cinq ans. Elle y est frappée par la présence massive de l’anglais.

Des films gardent leur titre original (Funny People). La publicité automobile vante «The Only One», le «Nouveau Mini One Clubman». Les boutiques s’appellent Cinebank, The Conran Shop, Bike in Paris ou Star Nails. Les bars offrent qui un «Happy Hour», qui un «Happy Diner». Comme les magasins d’alimentation («Simply Market»), les restaurants, y compris ceux qui vendent des «French Specialties», sont particulièrement touchés : Speed Rabbit Pizza, Coffee India. Et le favori de l’Oreille, pour des raisons qui seront évidentes dans quelques semaines :

Restaurant Spice and Wine, Paris, 1er octobre 2009

Est-ce cet engouement qui explique pareille petite annonce ?

Cours d’anglais, Paris, 1er octobre 2009

Peut-être…

De deux interprétations l’une. Ou l’Oreille avait oublié; ou les choses ont bel et bien changé. Quoi qu’il en soit, une chose est sûre : elle a parfois l’impression de se trouver à… Bruxelles.

Citation juste du jour

 Marina Yaguello, Catalogue des idées reçues sur la langue, 1988, couverture

«Celui qui s’érige en gardien de la langue exerce par là une forme d’abus de pouvoir qui va contre la nature et la réalité du langage. Le purisme linguistique, la volonté de conserver à la langue une forme immuable — identifiable en fait à une élite de lettrés — alors que tout l’appelle à changer, est une attitude à la fois irrationnelle et irréaliste.»

Marina Yaguello, Catalogue des idées reçues sur la langue, Paris, Seuil, coll. «Points», série «Point-virgule», V61, 1988, 157 p., p. 95-96.

Traquer le cliché

Hervé Laroche, Dictionnaire des clichés littéraires, 2003, couverture

La sortie du plus récent livre de Dan Brown, The Lost Symbol, fait beaucoup de bruit.

Le compte rendu du New Yorker (numéro du 28 septembre) est dévastateur, et spitant. Adam Gopnik y écrit notamment ceci : «The clichés line up outside the dust jacket and are whisked in pairs to a table down front […]

Mais comment reconnaître un cliché ? En consultant le Dictionnaire des clichés littéraires. Hervé Laroche y fait œuvre utile, et spitante, de «abandonner (s’)» à «zébrure». Tout ce qui concerne la poitrine féminine, par exemple, témoigne d’une attention fort soutenue : «Le front, les cuisses, les seins sont spécialement sujet au galbe. […] Pour les seins : éviter le galbe des globes» (p. 87). Les conseils sont en effet nombreux : parer — «Éviter : Elle parut, parée d’un paréo» (p. 129); pâtir — «À éviter si le héros est un pâtissier» (p. 130).

Après s’être amusé dans la nomenclature et avoir ri de la «logique littéraire» (p. 69), on admirera la concaténation des stéréotypes langagiers dans la «Mise en bouche» et on s’instruira à la lecture de l’excellente «Postface» : «Il faut une attention particulière pour repérer les clichés, et aussi une certaine énergie pour les éliminer» (p. 182). Oui.

Le mot de la fin ? Guise : «en guise de langue, du préfabriqué; en guise de poésie, des clichés» (p. 90).

 

[Complément du 9 septembre 2022]

Réjouissons-nous : une «deuxième édition augmentée» vient de paraître.

 

Références

Laroche, Hervé, Dictionnaire des clichés littéraires, Paris, Arléa, coll. «Arléa-poche», 80, 2003, 188 p. Édition originale : 2001.

Laroche, Hervé, Dictionnaire des clichés littéraires, Paris, Arléa, coll. «Arléa-poche», 80, 2022 (deuxième édition augmentée), 288 p.