L’art de bien commencer

Marcello Vitali-Rosati, Éloge du bug, 2024, couverture

À une époque pas trop lointaine, Marcello Vitali-Rosati et l’Oreille tendue étaient collègues. Ils sont néanmoins restés amis.

Le premier vient de faire paraître le livre Éloge du bug. Être libre à l’époque du numérique; la seconde le lit avec avidité et bonheur.

L’ex-jeune collègue de l’Oreille est doué pour les entrées en matière. Deux exemples :

«Un matin au réveil, attrapant machinalement son iPhone posé sur la table de chevet, Gregor Samsa constata que son téléphone s’était métamorphosé en un infâme appareil plein de bugs» (chapitre «Il faut que ça marche»).

«Un soir de l’année 416 avant J.-C., Socrate se met sur son trente-et-un pour se rendre à une fête. Lui qui, habituellement, va toujours nu-pieds et n’est jamais soucieux de son apparence, est propre, bien habillé et chausse même des sandales» (chapitre «Le monde des bugs»).

Joli !

P.-S.—Vous avez bonne mémoire : l’Oreille a déjà rêvé de donner un cours sur l’art de l’incipit.

 

Référence

Vitali-Rosati, Marcello, Éloge du bug. Être libre à l’époque du numérique, Paris, Éditions Zones, 2024, 208 p. PapierHTMLPDF

S & S

Boîte de Spic and Span

Pas plus tard qu’hier, l’Oreille tendue s’est surprise à utiliser une expression venue de son lointain passé linguistique : fallait-il ou pas laisser les lieux «spic and span» ? Cette expression, dans le français populaire du Québec, renvoie à la forme ultime de la propreté : il n’y a rien au-delà.

Le produit nettoyant qui porte ce nom existe toujours, mais l’Oreille n’y avait pas pensé depuis des décennies.

Ça ne la rajeunit pas.

 

[Complément du jour]

L’étymologie de spic(k) and span ? Par ici.

Des exemples romanesques ? À votre service, avec deux graphies.

«Et ma maison a beau être spick and span, l’odeur du corps qui pourrit dans le garde-robe risquerait d’alerter les visiteurs» (Autour d’elle, p. 33).

«Dans son abasourdissement, il avait, savon de graisse et brosse à crin, lavé tout ce qu’il y avait de fenêtres dans la maison, les carreaux des lucarnes, l’œil-de-bœuf, jusqu’à ce que tout fût spic and span» (la Bête creuse, p. 537).

 

[Complément du 9 décembre 2024]

Parmi les figures québécoises associées à la propreté, outre le spic and span, il y a Mme Blancheville, comme chez Chloë Rolland :

La poussière s’accumulait, des cernes de vin s’incrustait dans les meubles, la fumée imprégnait les rideaux. Mat, qui avait toujours été plutôt Blancheville, commençait à négliger la pharmacie, le hall, dont il était responsable depuis toujours. Il avait abandonné sa routine (p. 72).

Ça ne rajeunit pas l’Oreille non plus.

 

Références

Bernard, Christophe, la Bête creuse. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 14, 2017, 716 p.

Bienvenu, Sophie, Autour d’elle. Roman, Montréal, Le Cheval d’août, 2016, 206 p.

Rolland, Chloë, C’est ton carnage, Simone. Roman, Montréal, Del Busso éditeur, 2024, 181 p.

La clinique des phrases (120)

La clinique des phrases, Charles Malo Melançon, logo, 2020

(À l’occasion, tout à fait bénévolement, l’Oreille tendue essaie de soigner des phrases malades. C’est cela, la «Clinique des phrases».)

Soit les deux phrases suivantes, dans un article tiré de la presse québécoise :

Les médias sociaux sont-ils devenus les nouveaux boucs émissaires ? Ils sont la plupart du temps dénoncés comme étant responsables de la montée de l’intolérance dans nos sociétés et même comme étant à la source de la crise démocratique que nous vivons.

Plus l’Oreille tendue vieillit — et elle vieillit —, moins elle comprend à quoi peut bien servir l’expression «comme étant». La preuve que l’Oreille vieillit ? Sur ce sujet, comme sur d’autres, elle radote.

Allons-y quand même :

Les médias sociaux sont-ils devenus les nouveaux boucs émissaires ? Ils sont la plupart du temps dénoncés comme responsables de la montée de l’intolérance dans nos sociétés et même comme source de la crise démocratique que nous vivons.

À votre service.

La clinique des phrases (119)

La clinique des phrases, Charles Malo Melançon, logo, 2020

(À l’occasion, tout à fait bénévolement, l’Oreille tendue essaie de soigner des phrases malades. C’est cela, la «Clinique des phrases».)

Soit la phrase suivante, en incipit d’un article publié dans la presse québécoise :

Il faudra abandonner le cliché d’une frilosité des Québécois à l’égard de la polémique.

Comme le savent ses fidèles bénéficiaires, l’Oreille tendue est souvent prosaïque. Devant pareil emploi du futur, elle se demande immédiatement «Quand ? À quel moment faudra-t-il abandonner ce cliché ?»

Le recours à ce temps verbal est évidemment rhétorique. La personne qui signe ce texte pense que le temps est venu, mais, par prudence (universitaire), elle feint d’hésiter, elle tergiverse, elle zigonne, au lieu d’affirmer.

Donc :

Il faut abandonner le cliché d’une frilosité des Québécois à l’égard de la polémique.

À votre service.

P.-S.—Quiconque fréquente les plumes universitaires le sait : ce faux futur leur procure une jouissance indicible.

P.-P.-S.—Oui, bien sûr, ce n’est pas la première plume timide que nous croisons en ces lieux. Il y en avait une pas plus tard que la semaine dernière.