Accouplements 211

«Deux hommes penchés sur un vélo sur une route de Pontoise», photographie attribuée à Delizy, 1897

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

À la fin des années 1990, l’émission de télévision française les Guignols de l’info attribue au coureur cycliste dopé Richard Virenque une expression qu’il n’a pas dite, mais qui lui colle encore à la peau : «à l’insu de mon plein gré» (voir le Wiktionnaire).

Il faut connaître cette expression apocryphe pour comprendre une phrase du roman Ne tirez pas sur le pianiste ! de Frédéric Lenormand : «Il fallait donc qu’on l’eût occis au détriment de son plein gré.»

Il faut encore la connaître devant tel jeu de mot du spitant Fabrizio Bucella : «Que ce soit à l’insu de son plein gré ou à l’ingré de son plein su.»

L’édition 2023 du Tour de France vient de commencer.

 

Référence

Lenormand, Frédéric, Ne tirez pas sur le philosophe ! Roman, Paris, JC Lattès, série «Voltaire mène l’enquête», 2017, 280 p., chapitre seizième Édition numérique.

Le zeugme du dimanche matin et de Simenon

Simenon, le Suspect, éd. de 1938, couverture

«Chave osait à peine le regarder. Ce n’était plus le Robert qu’il connaissait, mais un Robert qu’on avait soûlé de méfiance et de haine en même temps que d’alcool. Il était là, en bretelles, assis sur son lit défait et ses yeux avaient une telle expression que Chave était forcé de détourner la tête.»

Georges Simenon, le Suspect, dans Tout Simenon 21, Paris et Montréal, Presses de la Cité et Libre expression, coll. «Omnibus», 1992, p. 89-174, p. 161. Édition originale : 1938.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Très longue citation de circonstance : déménageons !

Kevin Lambert, Que notre joie demeure, 2022, couverture

«Le premier juillet, Parc-Extension eut l’air d’une zone de guerre. Des commodes, des lits étaient abandonnés sur les trottoirs parce que les camions étaient trop pleins. Des nouveaux locataires engueulaient ceux qui n’avaient pas encore libéré le logement. On se commandait de la pizza en français ou en anglais, téléphonait au restaurant du coin en hindi ou en grec, s’inquiétait du retard des déménageurs en espagnol, en mandarin et en arabe, disait adieu aux voisins en vietnamien, en italien, s’échangeait son numéro de téléphone en créole, en pendjabi, en bengali ou en tamoul. On se promettait de garder contact, on quittait avec plaisir des voisins détestables, trop bruyants ou trop intolérants au moindre son. La télévision et la radio promettaient que c’était le dernier été à porter le masque, on vaccinait au Campus MIL et ailleurs, la fatigue et la chaleur rendaient irritable et impatient. Des familles parfois nombreuses bougeaient de rue en rue, de quartier en quartier dans des voitures pleines; on gagnait la périphérie, le nord-est ou l’ouest. On aurait près de deux heures de transport à faire matin et soir pour le travail. Les enfants voulaient savoir s’ils retourneraient à la même école, les parents répondaient qu’on verrait plus tard. Les tantes, les cousines, les grands-parents et les amis mettaient la main à la pâte et se passaient des boîtes trop pleines, aux fonds fragiles. On devait parfois laisser la mère ou le petit surveiller les possessions de la famille en attendant le deuxième voyage. Une pluie tiède corsa l’après-midi et détrempa le carton mou, noya plusieurs livres, quelques ordinateurs. Les nouveaux habitants entrèrent dans leur logement en saluant les anciens, se disant qu’il faudrait tout repeindre en espérant que cela couvre l’odeur de nourriture. Plusieurs logements restèrent vacants en attendant qu’une propriétaire débordée les rénove pour les louer plus cher.

Il y eut, raconte-t-on, des oubliés. Des gens qui n’avaient pas su se faufiler entre les rets du marché, qui avaient visité de nombreux appartements sans être sélectionnés parce qu’ils avaient échoué à l’enquête de crédit ou que leur nom, qui ne sonnait ni anglais ni français, avait mauvaise réputation dans les cercles des propriétaires. On se retrouvait à la rue. On retournait temporairement vivre dans sa famille ou chez une connaissance généreuse, en attendant que quelque chose se libère quelque part. Les journaux titraient depuis plusieurs semaines “Pénurie de logements” et “Crise locative”. Des associations de bénévoles distribuèrent toute la journée des bouteilles d’eau et tentèrent de venir en aide à celles et ceux qui se retrouvaient dans une situation précaire, leur proposant des solutions temporaires. On leur répondait avec reconnaissance. On les ignorait par orgueil.»

Kevin Lambert, Que notre joie demeure, Montréal, Héliotrope, 2022, 381 p., p. 147-149.

 

P.-S.—Le lexique québécois du déménagement et de l’immobilier est riche : mouver, portes, casser maison, loyer, électricité, coqueron, signature, unité modèle, autorégulation.

Accouplements 210

Frédéric Lenormand, Ne tirez pas sur le philosophe !, 2017, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Dans Candide, son conte de 1759, Voltaire se moque de Leibniz. Quand le personnage de Pangloss parle du «meilleur des mondes possibles», c’est le nom du philosophe allemand qu’il faut entendre.

Dans son roman Ne tirez pas sur le philosophe !, Frédéric Lenormand suppose un chien à un de ses personnages. Son nom ? Leibniz.

Mathieu Bock-Côté est un omnicommentateur québécois formé en sociologie. Selon Wikipédia, il est «favorable à l’indépendance du Québec et défend des positions nationalistes, libérales et conservatrices».

Les concepteurs de l’émission de radio À la semaine prochaine lui supposent un chien. Son nom ? Duplessis.

Dans le premier cas, le nom marquerait la distance. Dans le second, la proximité.

Ce sera tout en matière de bestiaire imaginaire pour aujourd’hui.

 

Référence

Lenormand, Frédéric, Ne tirez pas sur le philosophe ! Roman, Paris, JC Lattès, série «Voltaire mène l’enquête», 2017, 280 p., chapitre sixième. Édition numérique.