Accouplements 203

Benne de camion, chemin-de-la-Côte-Saint-Antoine, Montréal, 4 novembre 2012

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Debray, Régis, Introduction à la médiologie, Paris, Presses universitaires de France, coll. «Premier cycle», 2000, 223 p.

«L’Éternel est un sujet très jeune, qui n’a guère plus que trois mille ans d’âge. Le Très-Haut continue de trôner au sommet des croyances symboliques, et ses abords sont réservés au théologie, au métaphysicien, à l’historien des religions. Le médiologue peut ajouter son mot à ces acquis considérables, sans remettre en cause, loin s’en faut, leur validité. Comment ? En se tournant vers la logistique du monothéisme, cette prodigieuse échappée que fut la “naissance de Dieu”» (p. 73-74)s.

Bouchard, Serge, la Prière de l’épinette noire, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 2022, 222 p. Préface de Jean-Philippe Pleau.

«Il en a fallu des démarches pour propager la foi et rendre le nom de Jésus familier, c’est-à-dire connu au-delà des horizons de la Palestine. Il en a fallu du temps à Jésus pour devenir célèbre, des siècles et des siècles. Les illustrateurs ont dû peindre son image, les artisans ont reproduit des milliers et des milliers de crucifix, en bois, en paille, en fer, des martyrs sont morts en son nom, des missionnaires se sont épuisés à parcourir le monde à pied, bref, un immense réservoir de volonté prosélyte fut nécessaire pour mettre Jésus dans la tête du monde» (p. 120).

Créer une religion, c’est de l’ouvrage.

Les zeugmes du dimanche matin et de Serge Bouchard

Serge Bouchard, la Prière de l’épinette noire, 2022, couverture

«Il pleut des cordes, il fait noir comme chez le loup, le vent tourne à la tempête, venez vous abriter. Venez vous asseoir près du feu, à ma table de cuisine, dans mon humble maison, nous partagerons autant la soupe que la souffrance, autant la tourte que l’espérance» (p. 53).

«Non, la fin du paradis ne fut pas causée par le sexe. Elle fut causée par la cupidité, la rapacité des fous de l’or, par la violence de leurs pulsions toutes chrétiennes envers le métal éblouissant dont ils feraient leur fortune et leurs ostensoirs» (p. 84-85).

«Nous arrivons à la table des amitiés universelles avec notre sac sur le dos, notre langue, notre mémoire, notre identité, notre histoire. Et dans ce monde à créer, dans ce monde devant nous, nous aurons à partager des terres, des villes, un futur» (p. 90).

«En réalité, les cochons sont tout sauf cochons. Ils sont plutôt du genre heureux, mangeurs de fruits et de légumes, de truffes, aimant les bains de boue, les sous-bois, les caresses et la tranquillité» (p. 136).

Serge Bouchard, la Prière de l’épinette noire, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 2022, 222 p. Préface de Jean-Philippe Pleau.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Ivrogne toponymique

Georges Simenon, Signé Picpus, 1944, couverture

Au début de Signé Picpus (1944), de Georges Simenon, le commissaire Maigret et son équipe sont rassemblés dans l’attente d’un crime : on le lui a annoncé. Cela commence par une série de fausses alertes. Parmi celles-ci : «Un Bercy ! Ce qui, en terme de métier, signifie un ivrogne» (éd. de 1992, p. 379). Plus tard, quand un deuxième cas se manifeste, on apprend que le Bercy sévit à l’envi le samedi (p. 381).

Pourquoi avoir choisi ce toponyme ? «Les entrepôts de Bercy étaient un ensemble réservé aux négociants en vin situé dans le quartier de Bercy en périphérie du 12e arrondissement. Situé le long de la Seine, cette zone recevait, stockait et redistribuait vins et spiritueux» (Wikipédia, 25 mars 2023).

À votre service.

P.-S.—Cela relève indubitablement du vocabulaire de l’imbibition, mais pas de celui du Québec.

 

Référence

Simenon, Georges, Signé Picpus, dans Tout Simenon 24, Paris et Montréal, Presses de la Cité et Libre expression, coll. «Omnibus», 1992, p. 377-464. Édition originale : 1944.

Autopromotion 695

«Dessein», deuxième volume des planches de l’Encyclopédie, Paris, 1763, planche XXXI

La 555e livraison de XVIIIe siècle, la bibliographie de l’Oreille tendue, est servie.

La bibliographie existe depuis le 16 mai 1992. Elle compte 65 235 titres.

Illustration : «Dessein», deuxième volume des planches de l’Encyclopédie, Paris, 1763, planche XXXI

Retour en néologie

«Amassons des matériaux», vignette publicitaire, première moitié du XXe siècle

À une époque, l’Oreille tendue proposait périodiquement des néologismes. Depuis trop longtemps, elle a failli à sa tâche. Revenons-y.

Vous passez vos vacances dans votre pays plutôt qu’à l’étranger ? En anglais, on parle maintenant de staycation — ou pas : «He called it a staycation. I told him to never use that word in my presence again» (Revenge Tour, p. 109). Google Translate propose, en français, séjour; ça ne va pas le faire.

Vous mêlez travail et vacances ? Il y a tracances et worliday pour cela — même si ce n’est pas recommandé. Vous vous contentez de chercher des agréments dans vos voyages d’affaires ? Parlez de bleisure.

Vous vous intéressez aux astres morts ? La nécroplanétologie est pour vous.

Vous croyez que le capitalisme fait mourir ? Ce serait la faute du nécrocapitalisme.

Comme toujours, le suffixe -ion est riche : défrancisation (vous pensez que Montréal serait de moins en moins une ville française), duraflation (vous trouvez des produits défraîchis sur les rayons), réduflation (vous en avez moins pour le même prix à l’épicerie), giletjaunisation (vous vous radicalisez).

Terminons en parlant d’argent. Les bénéfices financiers du vélo vous paraissent nombreux ? C’est normal : il existe désormais une véloconomie. Sera-t-elle étudiée par l’éconophysique ? Cela reste à voir.

 

Illustration : J.-F., F. [Frère Jean-Ferdinand], Refrancisons-nous, s.l. [Montmorency, Québec ?], s.é., coll. «Nous», 1951, 143 p., p. 65. Deuxième édition.

 

Référence

Lupica, Mike, Robert B. Parker’s Revenge Tour. A Sunny Randall Novel, New York, G.P. Putnam’s Sons, 2022, 321 p.