Le Monde parle hockey

Antony Hernandez, «Rondelle, prison, blanchissage», le Monde, mai 2017

 

«Mais surtout, le chauffeur s’est fâché
quand François a utilisé le mot palet.
—Une puck, sacrament, une puck
Christophe Bernard, la Bête creuse

Championnat du monde oblige, le quotidien français le Monde consacre un article à ce que l’Oreille tendue appelle la langue de puck. Dans «Rondelle, prison, blanchissage… comprendre le hockey sur glace», un «guide non exhaustif […] pour les néophytes», Antony Hernandez explique à la fois le fonctionnement du jeu et présente les mots pour le décrire, illustrations à l’appui.

Il n’y a rien dans son article qui puisse faire hurler l’amateur de hockey québécois, mais on peut néanmoins y trouver à redire.

Par exemple, le titre évoque la «rondelle», mais le texte ne parle que de «palet». (Merci à @SteveRoyer1.)

Parler de «joueur de champ» pour désigner les attaquants et les défenseurs est étonnant, de même que le fait de dire «bloc» à propos des «unités» de cinq joueurs, à l’exclusion du gardien («Une équipe de hockey est composée de quatre lignes ou blocs de cinq joueurs de champ»).

Surtout, le journaliste ne fait à peu près aucune place au vocabulaire du hockey en français québécois. Il n’y a que trois exceptions, les paires «crosse» / «bâton», «vestiaire» / «chambre» et «break away» / «échappée».

Ne connaissant pas ce vocabulaire, le journaliste ne peut pas savoir, contrairement à ce qu’il écrit, qu’il existe des expressions pour «slap shot» («tir frappé»), «one timer» («tir sur réception») et «penalty killing» («infériorité numérique»). «On n’utilise que le mot power play» («supériorité» ou «avantage numérique») ? Peut-être en France, mais pas de ce côté de l’Atlantique.

«Face-off» paraît être préféré à «engagement»; la «mise au jeu» n’est pas évoquée. Le «penalty» du Monde serait un «tir de pénalité» au Québec.

C’est encore l’attirance pour l’anglais qui transforme le Québécois Luc Tardif en «Luc Tardiff» (avec double f, comme dans Cardiff).

Ce n’est pas la première fois qu’un Français préférera un lexique anglais à un lexique français.

P.-S.—«Le hockey sur glace a été inventé au Canada au milieu des années 1870 à Montréal» ? Ça se discute.

P.-P.-S.—Dans la phrase «Lorsque l’on connaît les liens ténus entre le hockey français et le Québec — le président de la Fédération française s’appelle par exemple Luc Tardiff et est québecois [sic] — il est tout à fait normal que des mots ou des expressions typiques de la Belle Province soient employés en France», on se demande bien ce que le mot «ténus» fait là.

P.-P.-P.-S.—«Tabernacle» ? Non. Non. Non.

P.-P.-P.-P.-S.—Merci au lecteur qui a fait découvrir cet article du Monde à l’Oreille.

 

Références

Bernard, Christophe, la Bête creuse. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 14, 2017, 716 p.

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014), couverture

Citation médicale du lundi matin

Arthur Buies, Réminiscences, 1892, couverture

«Y a-t-il seulement une personne dans ma paroisse qui sache que, sans moi, ce grand vieillard, au lieu d’être un cadavre, serait maintenant un squelette ? Je ne crois pas.»

Docteur C., «Comme dans la vie», la Patrie, «six décembre dernier», cité dans Arthur Buies, I. Réminiscences. II. Les jeunes barbares, Québec, Imprimerie de l’Électeur, s.d. [1892], 110 p., p. 94. [L’italique est probablement de Buies.]

Le zeugme du dimanche matin et de Georges Privet

Denys Arcand «avait tâché — avec un positivisme forcé, qui frôle le déni volontaire — de traquer le “beau” dans ce qu’il a de plus artificiel : les intrigues sans fièvre de jeunes sans âme, filmés comme des dieux dans un Charlevoix aux airs d’Olympe, admirant le fleuve et leur nombril dans des maisons plus intéressantes qu’eux».

Georges Privet, «Réflexions d’été (part two)», l’Inconvénient, 66, automne 2016, p. 56-58, p. 57. https://id.erudit.org/iderudit/83771ac

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

L’oreille tendue de… Pierre Nepveu

André Belleau, Notre Rabelais, couverture, 1990

«Mais en fait, c’est bien sûr Rabelais lui-même, autant que [André] Belleau, qui est un maître extraordinaire en philologie, jusque dans le si troublant épisode des “paroles gelées” du Quart livre, ce chapitre qui ne cessait d’étonner et d’intriguer Belleau, et qui semble suggérer, entre autres choses, que la parole humaine est un merveilleux concentré d’espace-temps, une matière de mémoire faite d’événements et de lieux vers laquelle il suffit de tendre l’oreille pour que, figée, pétrifiée, congelée, elle se remette à résonner et à vivre.»

Pierre Nepveu, «Rabelais au pluriel. André Belleau et l’unité perdue», Voix et images, 125 (42 : 2), hiver 2017, p. 95-102, p. 101-102.

P.-S. — Pierre Nepveu avait lu une première version de ce texte lors du colloque «André Belleau et le multiple» (17-18 septembre 2015).