Dureté de la brouette

«Brouette», dans Étienne Blanchard, Vocabulaire bilingue par l’image, 1931, p. 89

Lue dans la Presse+ du 24 avril, cette phrase, au sujet d’Alex Galchenyuk, le joueur des Canadiens de Montréal — c’est du hockey :

Barouetté du centre à l’aile, employé au sein du quatrième trio en séries, puis à la gauche de Brian Flynn…

Barouetté, donc, de barouette, comme dans brouette. Qui est barouetté est déplacé, généralement sans ménagement. C’est, dans la mesure du possible, à éviter.

Autre sens, signalé par Pierre DesRuisseaux : «Se faire tromper, se laisser tromper, se faire renvoyer de l’un à l’autre. Se faire barouetter (de “brouette”), c’est se faire raconter toutes sortes d’histoires invraisemblables» (Trésor des expressions populaires, p. 30). Ce n’est pas mieux.

 

[Complément du 20 février 2022]

L’Oreille tendue ne s’en cache pas : elle est nulle en étymologie («Science de la filiation des mots, reconstitution de leur ascendance jusqu’à leur état le plus anciennement accessible», le Petit Robert, édition numérique de 2018).

Spontanément, elle avait rattaché barouetter à barouette. Peut-être se trompait-elle.

Signalant, sur Twitter, une occurrence de barouetter dans la Presse+ du jour, elle a reçu les deux réponses suivantes :

«Dans la campagne normande d’où je viens on serait plutôt beurouetté» (@msonnet);

«Tout comme dans la Brie champenoise !» (@perceval45)

Lisant ce beurouetté, l’Oreille a évidemment pensé au beurre et à la baratte.

Vérification faite dans le Trésor de la langue française informatisé, il existe un sens figuré du verbe baratter, proche de celui de barouetter au Québec et de beurouetter en Normandie et en Champagne.

Cela laisse une question ouverte : où est-on le plus secoué, dans une baratte ou dans une barouette ?

Tant de questions, si peu d’heures.

 

Illustration : Étienne Blanchard, Vocabulaire bilingue par l’image. Leçons de choses et rédaction. Observons mieux — Parlons mieux, Montréal, Les frères des écoles chrétiennes, coll. «Parlons mieux», 1931, 111 p., p. 89.

 

Référence

DesRuisseaux, Pierre, Trésor des expressions populaires. Petit dictionnaire de la langue imagée dans la littérature et les écrits québécois, Montréal, Fides, coll. «Biblio • Fides», 2015, 380 p. Nouvelle édition revue et augmentée.

Tombeau d’Ella (11) : Montréal, Québec

Mots croisés, la Presse, 2 juillet 2011

[Ce texte s’inscrit dans la série Tombeau d’Ella. On en trouvera la table des matières ici.]

Qu’en est-il d’Ella Fitzgerald, du Québec et de Montréal ?

D’après la collection numérique de Bibliothèque et Archives nationales du Québec, la radio la fait tourner dès 1939, les journaux s’intéressent à sa vie, on la verra souvent à la télévision (par exemple dans The Ella Fitzgerald Show).

Elle a ses fans, parmi les chanteuses (surtout) et les chanteurs — Pauline Julien, Monique Leyrac, Louise Forestier, Joha­­nne Blouin, Ginette Reno, Colette Boky, Martine St-Clair, Monique Fauteux, Bob Walsh, Nikki Yanofsky, Ima, Florence K, Céline Dion, Jessica Vigneault —, les musiciens — Bernard Labadie —, les disc-jockeys — Misstress Barbara — et les critiques — Claude Gingras à la Presse, Gilles Archambault au Devoir et à la radio de Radio-Canada, Sylvain Cormier et Serge Truffaut au Devoir. En 2008, Marie Michèle Desrosiers chante «En écoutant Ella» (Marie Michèle se défrise), paroles de Clémence DesRochers, musique d’Ariane Moffatt.

Ella Fitzgerald s’est souvent produite sur scène à Montréal.

Certaines sources disent qu’elle aurait chanté dans une célèbre boîte de jazz, le Rockhead’s Paradise, mais les journaux actuellement numérisés sont muets là-dessus.

Ella Fitzgerald a occupé plusieurs fois le Forum (1953, 1954, 1955, 1956), le plus souvent avec la tournée Jazz at the Philharmonic de Norman Granz. Les affiches de ces spectacles étaient alléchantes : outre Ella Fitzgerald, on pouvait y entendre Roy Elridge, Buddy Rich, Oscar Peterson, Herb Ellis, Dizzie Gillespie, Louis Belson, Flip Phillips, Buddy De Franco, Ben Webster, Gene Krupa, Stan Getz, Illinois Jacquet, le Modern Jazz Quartet, Jo Jones, Sonny Stitt, Ray Brown, Eddie Shu.

Boris Vian, dans sa «Revue de presse» du magazine Jazz Hot, évoque un de ces concerts, celui du 20 septembre 1955 : «voici une lettre d’un lecteur canadien, Robert Castets, qui a l’amabilité de m’envoyer un extrait de la première d’un concert de J.A.T.P. de Montréal, où l’on apprend, ce qui n’est pas pour nous surprendre, qu’Ella et Lester Young furent les triomphateurs de la soirée (onze mille personnes…). Bien le bonjour, Castets, et merci !» (no 104, novembre 1955; repris dans Œuvres, vol. 6, p. 483)

À partir de 1967, elle sera accueillie à quelque reprises à la Place des arts, salle Wilfrid-Pelletier, puis, à partir de sa création en 1980, au Festival international de jazz de Montréal (1983, 1987). (L’Oreille tendue l’y a entendue le 28 juin 1981; ce fut la seule fois. La chanteuse partageait la scène avec le trio de Jimmy Rowles, Oscar Peterson et Joe Pass.) Depuis 1999, le prix Ella-Fitzgerald de ce festival «vient chaque année souligner la portée, la flexibilité et l’originalité de l’improvisation et la qualité du répertoire d’une chanteuse ou d’un chanteur de jazz reconnu sur la scène internationale». La même année, un concert-hommage réunissait Jeri Brown, Ranee Lee, Karen Young et le Vic Vogel Big Band.

Il allait donc de soi qu’Ella Fitzgerald fasse une apparition, même discrète, dans l’excellent roman graphique la Femme aux cartes postales du tandem Eid / Paiement (2016, p. 110).

Ella Fitzgerald aurait eu cent ans aujourd’hui.

P.-S.—Il n’y a malheureusement pas un mot sur la chanteuse dans l’histoire du jazz à Montréal de John Gilmore (1988).

P.-P.-S.—En bonne fan, l’Oreille serait preneuse de tous renseignements pouvant étoffer ce premier aperçu de la présence québécoise d’Ella Fitzgerald.

Illustration : la Presse, 2 juillet 2011, Arts et spectacles, p. 22.

 

Références

Eid, Jean-Paul et Claude Paiement, la Femme aux cartes postales, Montréal, La Pastèque, 2016, 227 p. Roman graphique.

Gilmore, John, Une histoire du jazz à Montréal, Montréal, Lux, coll. «Mémoire des Amériques», 2009, 411 p. Ill. Traduction de Karen Ricard. Préface de Gilles Archambault. Édition originale : 1988.

Vian, Boris, Œuvres. Tome sixième, Paris, Fayard, 1999, 645 p. Édition publiée sous l’autorité d’Ursula Vian Kübler. Sous la direction de Gilbert Pestureau. Édition établie et présentée par Claude Rameil. Documentation et archives : Nicole Bertolt.

Autopromotion 298

Gravure de Gilbert Schoute, 1715

La 315e livraison de XVIIIe siècle, la bibliographie de l’Oreille tendue, est servie.

Illustration : gravure de Gilbert Schoute pour Johannes Georgius Graevius, Cohors musarum, sive Historia rei literariæ, nec non historia bibliothecalis, Utrecht, J. van Poolsum, 1715, Rijksmuseum, Amsterdam

Accouplements 88

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

On dit souvent que les intellectuels sont de purs esprits, insensibles aux réalités concrètes. Voilà des rêveurs, vivant dans les sphères les plus éthérées qui soient. Ce qui est vrai des intellectuels en général le serait aussi des dix-huitiémistes en particulier.

Or c’est évidemment faux.

Prenez Devoney Looser, l’auteure de The Making of Jane Austen (2017). La voici, en patins à roulettes, au sein de son équipe de roller-derby.

Ou prenez l’Oreille tendue, en patins à glace.

https://youtu.be/LzFYOwCsOZk

Les intellectuels seraient-ils plus vites sur leurs patins qu’on ne le dit ?