Néologie de la chose

Si l’on en croit le quotidien la Presse, le sexe serait, depuis quelques années, «extrême» (19 octobre 2005, cahier Arts et spectacles, p. 4; 10 février 2009, cahier Arts et spectacles, p. 5; 30-31 octobre 2010, p. A1). Or, à sexe extrême, vocabulaire nécessairement nouveau. Devant pareille inventivité, l’Oreille tendue va de surprise en surprise.

Elle a déjà croisé le métrosexuel, le datasexuel, le technosexuel, le rétrosexuel, le végésexuel, le sapiosexuel, le blogosexuel, le bibliosexuel, l’allosexuel (ou l’altersexuel), l’autosexuel, le spornosexuel et le lumbersexuel, sans compter la couguar, le sextage et la transphobie.

Elle croit n’avoir rencontré l’intersexe qu’une seule fois, sur Twitter. Pédoprédateur ? Cela l’étonne moins.

Quelques années après tout le monde, elle vient de découvrir, chez Alice Michaud-Lapointe, dans Titre de transport (2014), un verbe qu’elle ne connaissait pas :

Chewing Gum Fraise a retenti à travers les hauts-parleurs du van. Pour ne pas briser la tradition, nous avons hurlé notre partie préférée de la chanson : «Sens mon doigt, quelle odeur ! Non ce n’est pas du beurre, c’est que j’ai doigté ta sœur !» (p. 108)

Elle ne l’a cependant jamais entendu de son oreille entendu, pas plus que faire du sexe, qu’une de ses lectrices lui définissait ainsi, il y a jadis naguère : «Sexualité adolescente. Faire ça sans complètement faire ça.»

Ce qui est vrai en français l’est aussi, bien évidemment, en anglais. Les alcooliques sont trop portés sur la bouteille (alcoholic); les travailleurs, sur le travail (workaholic); les chauds lapins, sur la fesse (assaholic, écrit le biographe de Steve Jobs, Walter Isaacson, pour parler de quelqu’un d’autre). On ne sache pas qu’il existe des consommateurs excessifs de Sexcereal, mais on pourrait se tromper.

Si certaines expressions sont plus faciles à traduire que d’autres, il en est qui posent problème. Pour fuck friend, l’Oreille avait repéré, en 2004, dans son Dictionnaire québécois instantané, ami de cul. Elle fournissait même un exemple (p. 18) :

L’ami(e) de cul est un(e) ami(e) avec lequel on ne fait que s’envoyer en l’air, sportivement et sans aucun sentimentalisme. On s’entend bien avec son ami de cul (la Presse, 5 octobre 2002).

Sur Twitter, plus récemment, @revi_redac s’étonnait d’une autre traduction, ami-e santé. Un petit tour sur Google le confirme : ça existe. Ça n’en étonne pas moins.

 

[Complément du 5 mai 2015]

Dès 2008, la Presse parlait du gastrosexuel : «Selon la définition établie par les Britanniques, le gastrosexuel est un homme célibataire âgé entre 25 et 44 ans, curieux, passionné par la cuisine, séducteur, instruit, qui aime voyager et qui a un emploi.» Merci à @JulienLefortF pour le lien.

 

Références

Isaacson, Walter, Steve Jobs, New York, Simon & Schuster, 2011. Édition numérique.

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Michaud-Lapointe, Alice, Titre de transport, Montréal, Héliotrope, coll. «K», 2014, 206 p.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2004, couverture

Du flau/flot/flow/flo

Soit un enfant, au Québec. Un de ses synonymes pose deux problèmes.

1. De graphie

Dans l’Hiver de force, Réjean Ducharme écrit «flaux» (1973, p. 130).

Hervé Bouchard préfère «flots», tant dans Numéro six (2014, p. 51) que dans Parents et amis sont invités à y assister (2014, p. 18).

«Flows», avance Jocelyn Bérubé (2003, p. 27).

La graphie «flo(s)» est probablement la plus fréquente. On la trouve chez Alice Michaud-Lapointe (2014, p. 159), chez Beaudet et Boily (2011, p. 22), chez Pierre Szalowski (2012, p. 228), chez Léandre Bergeron (1980, p. 229).

Ça fait désordre.

2. D’étymologie

Il y a les explications fausses (et méchantes). Dans son Dictionnaire québécois instantané, l’Oreille tendue définissait ainsi le «flo» : «Gniard, chiard, moutard (par attraction avec fléau)» (2004, p. 96). Ephrem Desjardins va dans le même sens (2002, p. 84).

Il y a les explications poétiques. Le mot est populaire en Gaspésie, région québécoise «entourée des eaux du fleuve Saint-Laurent au nord, du golfe St-Laurent à l’est et de la baie des Chaleurs au sud» (merci Wikipédia). L’énergie des enfants évoquerait le mouvement de l’eau. Dans ce cas, il faudrait favoriser la graphie flot.

Il y a les explications bretonnes. Selon @revi_redac, flau/flot/flow/flo viendrait de floc’h (damoiseau).

Il y a les explications anglaises. Le dictionnaire en ligne Usito cite l’Index lexicologique québécois qui lui-même cite le Dictionnaire Bélisle de la langue française au Canada de 1957, cela pour évoquer une origine liée à fellow.

Ça fait aussi désordre.

P.-S. — Toujours selon Usito, floune serait le féminin de flo. Voilà qui alimentera la banque québécoise des mots en –oune.

 

Références

Beaudet, Marc et Luc Boily, Gangs de rue. Les Rouges contre les Bleus, Brossard, Un monde différent, 2011, 49 p. Bande dessinée.

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

Bérubé, Jocelyn, Portraits en blues de travail, Montréal, Planète rebelle, coll. «Paroles», 2003, 94 p. Ill. Préface de Jean-Marc Massie. Accompagné d’un cédérom.

Bouchard, Hervé, Numéro six. Passages du numéro six dans le hockey mineur, dans les catégories atome, moustique, pee-wee, bantam et midget; avec aussi quelques petites aventures s’y rattachant, Montréal, Le Quartanier, 2014, «série QR», 80, 2014, 170 p.

Bouchard, Hervé, Parents et amis sont invités à y assister. Drame en quatre tableaux avec six récits au centre, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 14, 2014, 238 p.

Desjardins, Ephrem, Petit lexique de mots québécois à l’usage des Français (et autres francophones d’Europe) en vacances au Québec, Montréal, Éditions Vox Populi internationales, 2002, 155 p.

Ducharme, Réjean, l’Hiver de force. Récit, Paris, Gallimard, 1973, 282 p. Rééd. : Paris, Gallimard, coll. «Folio», 1622, 1984, 273 p.

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Michaud-Lapointe, Alice, Titre de transport, Montréal, Héliotrope, coll. «K», 2014, 206 p.

Szalowski, Pierre, Mais qu’est-ce que tu fais là, tout seul ?, Montréal, Hurtubise, 2012, 360 p.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2004, couverture

Autopromotion 178

Opsucules, l’applicaton mobile de l’UNEQ

L’Union des écrivaines et des écrivains québécois (UNEQ) lance aujourd’hui son application mobile consacrée à la littérature québécoise.

Sur la page d’accueil d’Opuscules. Littérature québécoise mobile, on trouve deux rubriques : «Anthologie» donne à lire «des textes inédits d’écrivains québécois lauréats de prix littéraires»; «Agrégateur» rassemble des blogues traitant de littérature québécoise, «sélectionnés en fonction de leur qualité et de leur pertinence».

L’Oreille tendue découvre qu’elle est présente dans cet «Agrégateur». Elle en rougit de tous ses lobes.

Pour télécharger Opuscules, c’est ici. Pour lire le communiqué de l’UNEQ, c’est .

Accouplements 23

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux textes d’horizons éloignés.)

Soit le tweet suivant :

Était-il indispensable de savoir que l’auteure était la conjointe d’un autre auteur ?

En France, le Conseil supérieur de l’audiovisuel vient de nommer Delphine Ernotte-Cunci à la direction de France Télévisions. Au moment de sa nomination, il a souvent été question de son mari. (Voir, à ce sujet, l’analyse de Marie-Anne Paveau).

Était-il indispensable de savoir que la future dirigeante était la conjointe d’un comédien ?

Etc., ad infinitum.