Ne pas confondre, svp

Pierre Bouchard, Je sais tout, 2014, couverture

On ne confondra pas Pierre Bouchard (l’ancien joueur de hockey), Pierre Bouchard (l’auteur de bande dessinée) et Pierre Bouchard (le personnage des bandes dessinées de Pierre Bouchard).

Le deuxième vient de publier Je sais tout, «sans aucun doute le meilleur livre qui soit pour savoir toutes les choses qu’il faut savoir sur les choses dont les gens parlent tout le temps» (1er rabat). Quelles sont ces «choses» ? Jocelyne Blouin, la banane, René Lévesque, Facebook, le dessin, les chèques géants, la techno, les feux d’artifice, Budweiser, l’eau de Pâques, la job de servant de messe junior, Charlize Theron et John Kennedy.

Il est aussi question de sport. «Je sais tout sur le ballon-balai» donne des conseils pour la pratique de ce jeu, en le comparant au hockey («Si tu connais pas les règlements du hockey, ben déménage au Brésil !», p. 18). L’ancien journaliste et premier ministre du Québec René Lévesque est présenté en correspondant de guerre et en lutteur («The Great Canadian»). Une case fait apparaître un «Stéphane Ovechkin». En quatrième de couverture, «Je sais tout sur Maurice Richard» évoque, sur le mode burlesque, un épisode célèbre de la carrière de ce joueur des Canadiens de Montréal, le match du 28 décembre 1944 contre les Red Wings de Detroit. (En revanche, «Je sais tout sur Mike Bossy» ne porte pas sur l’ancien des Islanders de New York, mais sur un humoriste inventé par Bouchard.)

Le ton ? Humour potache, bien qu’il y ait Giorgio Agamben en épigraphe et deux allusions aux Mythologies de Roland Barthes. Un peu de scatologie ? Évidemment. La langue ? Populaire. Le dessin ? Sans prétention : on voit les traits de la gomme à effacer, il y a des ratures.

Un deuxième tome de Je sais tout est annoncé pour avril. L’Oreille tendue ne croit pas qu’elle en fera une de ses lectures prioritaires.

 

Référence

Bouchard, Pierre, Je sais tout, Montréal, Éditions Pow Pow, 2014, 106 p.

Guy Lafleur au palais de justice

Guy Lafleur dans une publicité de la Fondation des maladies mentales du Québec

L’ancien hockeyeur Guy Lafleur fait les manchettes judiciaires montréalaises ces jours-ci. Il a en effet intenté un procès au procureur général du Québec et à la Ville de Montréal, car il estime avoir été accusé injustement dans le cadre d’une affaire de témoignages contradictoires concernant son fils Mark en 2008.

Dans l’imaginaire du sport au Québec, Lafleur fait partie d’une triade avec deux icônes qui l’ont précédé dans l’histoire des Canadiens de Montréal, Maurice Richard et Jean Béliveau. Que nous apprend le procès en cours sur l’image publique de ces trois vedettes du passé comme du présent ?

Maurice Richard (1921-2000) incarnait celui que les Québécois des années 1940 et 1950 pouvaient aspirer à être. Pendant sa carrière de joueur (1942-1960), il a montré qu’avec des efforts, même dans l’adversité, le succès est possible. Personne ne s’attendait à beaucoup de lui au moment où il a joint les rangs de son équipe. Pourtant, «Le Rocket» a réussi, et de façon éclatante, à un moment où les Canadiens français — on ne disait pas encore les Québécois — avaient peu de figures publiques auxquelles s’identifier. Ce triomphe — le mot n’est pas trop fort — avait son revers : la violence, la douleur, la souffrance. Le discours culturel ne cesse de redire cela.

Jean Béliveau (1931-2014) rassemblait des qualités que plusieurs auraient voulu avoir, mais sans vraiment pouvoir y croire. «Le Gros Bill» était celui qu’on aurait voulu être dans le meilleur des mondes possibles : homme de famille, homme d’organisation, homme de tradition, homme posé. On pouvait reprocher des choses à Maurice Richard. Mais que dire contre Jean Béliveau ? L’unanimisme des discours médiatiques au moment de sa mort l’a clairement montré : voilà quelqu’un qu’on idolâtre. (Du bout des lèvres, on pouvait le trouver ennuyant. On n’allait jamais plus loin.)

Guy Lafleur (né en 1951), lui, est un homme comme les autres, avec ses qualités, ses défauts, ses drames privés et publics. Les journalistes s’entendent pour lui reconnaître une gentillesse de tous les instants; on peut rapidement tisser des liens de familiarité avec lui, contrairement à Béliveau, souvent présenté dans une catégorie à part, sur un piédestal. Le public l’a suivi dans ses difficultés de joueur — ses premières années difficiles avec son équipe, la rupture douloureuse avec elle —, de mari — rapportées par les médias et par ses biographes —, de père — les troubles de comportement de son fils cadet, qui l’ont amené à plusieurs reprises devant les tribunaux. S’identifier à lui était, malheureusement, facile. Même ses choix catastrophiques de produits à endosser publiquement ne lui étaient reprochés que sur le mode badin. Le dépassement — sur la glace, dans le monde — semblait passer en second quand on parlait de lui, derrière sa proximité. Comment l’écrivain Victor-Lévy Beaulieu le présentait-il dans un portrait de 1972 ? «Un gars ordinaire, qui vise le sommet.» En lui, on se reconnaît.

Trois hommes, trois joueurs, trois images, trois moments. Trois sociétés ?

 

Référence

Beaulieu, Victor-Lévy, «Un gars ordinaire, qui vise le sommet», Perspectives, 14 octobre 1972, p. 22, 24 et 27. Supplément au quotidien la Presse.

Autopromotion 158

L’Oreille tendue livre beaucoup de ses réflexions à propos de la langue ici même, sur l’Oreille tendue.

Il lui est pourtant arrivé, et il lui arrive encore, de publier des textes ailleurs sur le même sujet.

On en trouvera une liste ici.

Trois débats pour le prix d’un

Le Théâtre du Rideau Vert de Montréal présente depuis quelques années une revue de fin d’année. Celle de 2014 fait beaucoup parler d’elle : un comédien blanc, le visage noirci, y jouait le rôle du hockeyeur P.K. Subban.

De façon virulente, certains ont reproché aux concepteurs du spectacle ce recours à la technique du blackface. Aux États-Unis, mais pas seulement, cette pratique est considérée raciste.

D’autres, parmi lesquels le chroniqueur Patrick Lagacé du quotidien la Presse, se sont demandés si la réaction au blackface des francophones / au Québec était différente de celle des anglophones / au Canada anglais. (On notera que, parmi les détracteurs du blackface, il y a aussi des Anglo-Québécois et pas seulement des anglophones du Rest of Canada.)

La directrice artistique du théâtre, Denis Filiatrault, s’est également prononcée sur la controverse. Dans une entrevue avec Hugo Pilon-Larose dans la Presse+ du 14 janvier, elle a déclaré être «scandalisée, outrée et humiliée» à l’idée qu’on ait pu la penser raciste.

L’Oreille tendue a été frappée par une autre déclaration de la femme de théâtre : «J’ai 83 ans, j’ai 60 ans de carrière. J’ai été la première à engager un Noir à la télévision [Normand Brathwaite]. Dès que j’en ai la chance, je les engage, parce qu’ils sont bourrés de talent.» Les Noirs seraient donc «bourrés de talent» ? Tous ?

Voilà le genre de généralisation qui peut facilement mener à des dérapages.