Ne parlons pas religion

Soit le commentaire suivant, signé par un chroniqueur du site RDS.ca, qui en a contre les joueurs des Canadiens de Montréal — c’est du hockey — qui ne démontre(raie)nt pas les efforts nécessaires par les temps qui patinent :

Les passagers des derniers matchs avaient déjà été identifiés : Pacioretty, Bourque, Plekanec, Subban, Eller, Gionta, Vanek et Emelin. Par passagers, on sous-entendait des éléments qui n’apportaient à peu près rien sur le plan des statistiques ou qui se prenaient carrément le moine pendant qu’un petit groupe de coéquipiers, toujours les mêmes, se tuaient à l’ouvrage.

Deux remarques.

On pourra ajouter passagers à Langue de puck. Abécédaire du hockey, petit ouvrage que publiait l’Oreille tendue il y a quelques semaines.

On notera que lesdits passagers sont réputés se prendre le moine. De quoi s’agit-il ?

Sans entrer dans des détails scabreux, on dira que le moine, pour utiliser la langue du hockey, se trouve dans le bas du corps. Qui se le prend paresse. Pour un joueur de hockey, ce n’est pas bien.

P.-S. — On voit aussi se pogner le moine ou se pogner le beigne. C’est dans la même région.

P.-P.-S. — Ce moine se prononce fréquemment mouène.

P.-P.-P.-S. — Un collègue de l’Oreille, Olivier Bauer, ne cesse de le démontrer : hockey et religion ont partie liée au Québec. Cela étant, il ne paraît pas à l’Oreille que la dimension religieuse de ce moine soit clairement démontrée.

 

[Complément du 2 avril 2022]

On peut aussi se pogner le morceau. Ce n’est pas mieux.

 

Référence

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014), couverture

Le rescapé

Arthur Buies selon Albert Chartier dans Séraphin illustré

«Mon ambition était d’étonner mes contemporains par mon style»
(Arthur Buies, Chroniques canadiennes).

Le 18 février 1994, l’Oreille tendue assistait à la soutenance de thèse de son ami Rainier Grutman. Elle souhaitait alors que cette soutenance permette de «fermer» le XIXe siècle québécois. Elle n’a malheureusement pas été entendue.

Pourquoi ce jugement que des esprits pressés pourraient juger péremptoire ? C’est que l’Oreille considère qu’on ne peut rescaper de cette période littéraire qu’un auteur, et un seul, l’essayiste Arthur Buies.

Voilà pourquoi elle se réjouit de découvrir, dans le plus récent numéro de la revue Liberté (304, été 2014), un dossier consacré à l’écrivain dans la rubrique «Rétroviseur». Introduit par Julien Lefort-Favreau («L’indépendance de la parole», p. 65), ce dossier contient des textes d’Élisabeth Nardout-Lafarge («Desesperanza», p. 66-67), Michel Vézina («Un père rimouskois», p. 67-68) et Martine-Emmanuelle Lapointe («Penser avec Buies», p. 68-69). De la belle ouvrage.

 

[Complément du 31 janvier 2016]

Les textes du dossier de Liberté paru en 2014 sont désormais disponibles ici, certains en version intégrale, d’autres par extraits.

La même revue a consacré un dossier à «Arthur Buies notre contemporain» (numéro 282) en novembre 2008. Les articles sont .

 

[Complément du 3 février 2016]

Dans une «Libre opinion» parue dans le Devoir du 29 janvier, «Les pays d’en haut ou la nouvelle victoire du père Grignon», Jonathan Livernois rejoint le jugement de l’Oreille : Arthur Buies est le «meilleur écrivain du XIXe siècle canadien-français» (p. A8).

 

Illustration : Albert Chartier, dans Claude-Henri Grignon et Albert Chartier, Séraphin illustré, préface de Pierre Grignon, dossier de Michel Viau, Montréal, Les 400 coups, 2010, 263 p., p. 139.

 

Liberté, 304, couverture

Dernier adieu

Place d’Armes, mai 2011, travaux de rénovation

Maurice Richard, le plus célèbre joueur de la plus célèbre équipe de hockey en Amérique du Nord, voire au monde, meurt le 27 mai 2000.

À l’annonce de sa mort, des partisans se rassemblent spontanément en quelques lieux de Montréal pour honorer sa mémoire. Trois jours plus tard, il est exposé en chapelle ardente sur la glace du Centre Molson à Montréal.

Le 31 mai, ce sont ses funérailles.

Il s’agit de funérailles nationales, célébrées en la basilique Notre-Dame de Montréal. De 1996 à 2004, cinq autres personnalités auront eu droit à ce type de funérailles au Québec. Avant lui, le poète et éditeur Gaston Miron (le 21 décembre 1996) et le ministre et psychiatre Camille Laurin (le 16 mars 1999). Après lui, le peintre Jean-Paul Riopelle (le 18 mars 2002), le syndicaliste Louis Laberge (le 24 juillet 2002) et l’éditorialiste et ministre Claude Ryan (le 13 février 2004). Deux créateurs (un homme du livre et un peintre, auquel on a comparé Richard), deux ministres (un indépendantiste et un fédéraliste, Laurin et Ryan), un homme d’action qui se présentait comme un homme du peuple (le surnom de Laberge était Ti-Louis) : fruit du hasard, le voisinage n’en définit pas moins l’homme Maurice Richard avec assez de justesse, jusque dans ses contradictions.

Le convoi funéraire parvient à la basilique après avoir emprunté la rue Sainte-Catherine, celle de l’ancien Forum, là où a joué Richard pour les Canadiens de Montréal de 1942 à 1960. Environ 3000 personnes sont admises dans la basilique. S’y côtoient la famille et les ex-coéquipiers, les politiques et les médiatiques. À l’extérieur, sur la place d’Armes, la cérémonie est visible sur écran géant. L’office est célébré par le cardinal Jean-Claude Turcotte. Un des amis de Maurice Richard, Paul Aquin, un de ses neveux, Stéphane Latourelle, et un de ses fils, Maurice Richard fils, s’adressent au public. On lit deux passages de la bible. Le premier provient de la seconde lettre de saint Paul Apôtre à Timothée (4, 7-8). S’y mêlent la fierté de s’être toujours battu et la confiance en une récompense à venir : «Je me suis bien battu, j’ai tenu jusqu’au bout de la course, je suis resté fidèle. Je n’ai plus qu’à recevoir la récompense du vainqueur […].» Le second est tiré de l’Évangile selon saint Jean (14, 2-3) : «Je pars vous préparer une place […] je reviendrai vous prendre avec moi; et là où je suis, vous y serez aussi.» La chanteuse populaire Ginette Reno interprète, comme aux funérailles de son propre père, «Ceux qui s’en vont, ceux qui nous laissent» : d’un père à l’autre, il n’y a qu’un pas. On joue du Fauré, du Gounod, du Franck, du Bach, des hymnes et des psaumes. Les huit porteurs sont d’anciens joueurs des Canadiens, retenus parce qu’ils avaient joué avec Richard : Jean Béliveau, Henri Richard, Elmer Lach, Émile Bouchard, Ken Reardon, Kenny Mosdell, Dickie Moore, Gerry McNeil. Le tout est retransmis par la majorité des télévisions francophones québécoises et quelques anglophones. L’Assemblée nationale a suspendu ses débats et les drapeaux sont en berne.

De l’Est de Montréal (l’aréna Maurice-Richard) au Nord (sa maison), comme du centre-ville (le Centre Molson) au Vieux-Montréal (la basilique Notre-Dame), on retiendra que Maurice Richard a réuni, dans les derniers jours de mai 2000, des centaines de milliers de personnes, des millions si l’on ajoute à cela les reportages journalistiques, radiophoniques, télévisuels, numériques. Les rares voix discordantes qu’on a pu entendre n’avaient en général rien à reprocher à Richard, mais elles déploraient, avec plus ou moins de retenue, l’unanimisme du discours entourant sa mort et la place que ce discours occupait dans l’espace public. Il n’y en avait plus que pour le Rocket. On parlerait encore beaucoup de lui, mais jamais autant que durant ces quelques jours.

P.-S. — Ce qui précède vient de l’ouvrage que l’Oreille tendue a fait paraître pour la première fois en 2006, les Yeux de Maurice Richard.

 

Référence

Melançon, Benoît, les Yeux de Maurice Richard. Une histoire culturelle, Montréal, Fides, 2006, 279 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Nouvelle édition, revue et augmentée : Montréal, Fides, 2008, 312 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Préface d’Antoine Del Busso. Traduction : The Rocket. A Cultural History of Maurice Richard, Vancouver, Toronto et Berkeley, Greystone Books, D&M Publishers Inc., 2009, 304 p. 26 illustrations en couleurs; 27 illustrations en noir et blanc. Traduction de Fred A. Reed. Préface de Roy MacGregor. Postface de Jean Béliveau. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2012, 312 p. 42 illustrations en noir et blanc. Préface de Guylaine Girard.

Les Yeux de Maurice Richard, édition de 2012, couverture

 

Un avant-dernier hommage

Chapelle ardente, Maurice Richard, 30 mai 2000, centre Molson

Maurice Richard, le plus célèbre joueur de la plus célèbre équipe de hockey en Amérique du Nord, voire au monde, meurt le 27 mai 2000.

À l’annonce de sa mort, des partisans se rassemblent spontanément en quelques lieux de Montréal pour honorer sa mémoire. D’autres activités, plus officielles, sont également organisées.

Le 30 mai 2000, de 8 heures à 22 heures, le corps de Richard est exposé en chapelle ardente au Centre Molson de Montréal. Ce centre sportif, devenu depuis le Centre Bell, a remplacé le Forum de Montréal en 1996 et Richard n’y a jamais joué, mais il est le domicile des Canadiens et, à ce titre, il s’imposait comme lieu de recueillement.

Le cercueil reposait sur la surface de jeu. La mise en scène insistait sur la solennité de l’événement. La famille de Richard se tenait près du cercueil. Deux affiches géantes représentaient le Rocket : l’une, en noir et blanc, était une photo ancienne qui mettait en valeur le regard du joueur; l’autre, en couleurs, montrait Richard revêtu du chandail rouge des Canadiens, le chandail numéro 9 bien sûr, un flambeau à la main. La bannière bleu-blanc-rouge rappelant que le numéro 9 de Maurice Richard avait été retiré et que plus personne ne pouvait le choisir parmi les joueurs des Canadiens avait été ramenée des cintres à la hauteur de la patinoire. La musique d’ambiance était classique : Mahler, Gounod, Brahms, Satie, Massenet, Mozart, Vivaldi, Bach. Plus de 115 000 fidèles auraient défilé devant le cercueil ouvert de l’idole du lieu. Ils pouvaient laisser un témoignage en signant un registre installé dans un chapiteau situé près du Cours Windsor, à côté du Centre Molson.

L’ensemble des registres disposés sous ce chapiteau n’a pas été rendu public, mais une anthologie a paru en 2008, Maurice Richard. Paroles d’un peuple. Pour saisir la familiarité ressentie par le public envers Richard, il s’agit d’un document essentiel. On y saisit une triple représentation du joueur.

Quand Maurice Richard meurt en 2000, à 78 ans, il pris sa retraite depuis 40 ans (sa carrière a duré de 1942 à 1960). Parmi les gens venus lui rendre hommage se trouvent certes des personnes qui l’ont vu jouer, mais plusieurs n’ont aucune connaissance directe de l’athlète. Les messages destinés à Richard et à sa famille proviennent souvent des enfants de ceux qui l’ont vu jouer, voire de leurs petits-enfants. Parfois ce sont des parents qui écrivent pour leur enfant, après avoir tracé le contour de sa main :

Voici ma petite main
prête à recevoir le
Flambeau !!!
«Merci Rocket !»
Alexis
Ouellette
2 ans (p. 128).

La transmission mémorielle est une transmission familiale, de père en fils ou en petit-fils.

Cette transmission s’incarne dans un objet, le flambeau que se passeraient les partisans de génération en génération, lui qui incarne l’histoire du club. Ce flambeau est tantôt métaphorique — il est le passé glorieux de l’équipe surnommée la sainte flanelle —, tantôt concret — il fait partie de la stratégie de marketing de l’équipe et, à ce titre, il est désormais présent sur la glace avant le début des matchs des Canadiens à Montréal. Il trouve son origine dans un passage d’un poème écrit en 1915, «In Flanders Field», par le militaire John McCrae : «Nos bras meurtris vous tendent le flambeau, à vous toujours de le porter bien haut» («To you from failing hands we throw / The torch ; be yours to hold it high»). Cette exhortation orne les murs des vestiaires de l’équipe depuis plusieurs décennies.

Mort, Richard peut rejoindre un groupe très sélect, celui des fantômes du Forum. De quoi s’agit-il ? Ces «fantômes» seraient les esprits des anciens joueurs des Canadiens de Montréal. Ils aideraient, dans l’ombre, les joueurs venus après eux. Leur intervention expliquerait certaines victoires tout à fait imprévisibles de l’équipe de Montréal. Les pèlerins du 31 mai 2000 avaient cette confrérie à l’esprit en s’adressant à leur héros :

Merci pour ce que tu as fait
Le Forum avait ses fantômes
Le Centre Molson a une ame (p. 52).

Famille, flambeau, fantôme : le Rocket, même dans la mort, reste aux côtés des siens.

(À suivre.)

P.-S. — Ce qui précède vient (en partie) de l’ouvrage que l’Oreille tendue a fait paraître pour la première fois en 2006, les Yeux de Maurice Richard.

Extrait de Maurice Richard. Paroles d’un peuple (2008)

 

 

Références

Foisy, Michel et Maurice Richard fils, Maurice Richard. Paroles d’un peuple, Montréal, Octave éditions, 2008, 159 p. Ill.

Melançon, Benoît, les Yeux de Maurice Richard. Une histoire culturelle, Montréal, Fides, 2006, 279 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Nouvelle édition, revue et augmentée : Montréal, Fides, 2008, 312 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Préface d’Antoine Del Busso. Traduction : The Rocket. A Cultural History of Maurice Richard, Vancouver, Toronto et Berkeley, Greystone Books, D&M Publishers Inc., 2009, 304 p. 26 illustrations en couleurs; 27 illustrations en noir et blanc. Traduction de Fred A. Reed. Préface de Roy MacGregor. Postface de Jean Béliveau. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2012, 312 p. 42 illustrations en noir et blanc. Préface de Guylaine Girard.

Les Yeux de Maurice Richard, édition de 2012, couverture