BDHQ, en anglais

Mickey et Keir Cutler, The Glory Boys, 1979, couverture

L’Oreille tendue a eu plusieurs occasions de parler de la bande dessinée sur le hockey au Québec (BDHQ). Ici même, c’était le 12 décembre 2011, le 23 décembre 2011, le 28 décembre 2011, le 19 juillet 2012, le 25 juin 2013 et le 12 juin 2014. Il lui est aussi arrivé d’aborder le sujet à la radio.

Un des coauteurs de l’ouvrage On the Origin of Hockey (2014), Jean-Patrice Martel, vient de lui faire découvrir une autre bande dessinée à ajouter à sa collection.

D’abord publiées dans le quotidien anglo-montréalais The Gazette, les courtes histoires (une page ou deux) de Mickey et Keir Cutler sont rassemblées dans The Glory Boys en 1979. Beaucoup sont constituées de trois cases, la quatrième de la planche étant occupée par un portrait. Le graphisme (en noir et blanc) est rudimentaire, comme le contenu. Les histoires reposent sur les mêmes lieux communs que les bandes dessinées francophones contemporaines : violence et, surtout, humour.

Mickey et Keir Cutler, The Glory Boys, 1979, Ken Dryden

 

Mettant en scène les Canadiens de Montréal, l’équipe championne de la deuxième moitié des années 1970, elles supposent que leur lecteur soit un amateur. Il comprendra ainsi portraits et allusions : Ken Dryden, le gardien, s’ennuie pendant les matchs, au point de s’endormir; Pierre Bouchard, un dur à cuire, et Michel Larocque, le gardien susbstitut, ne jouent presque pas; les mises en échec de Larry Robinson sont puissantes; l’entraîneur Scotty Bowman est sans pitié avec ses joueurs; un commentateur de Toronto, Foster Hewitt, fait preuve de favoritisme envers l’équipe de sa ville, les Maple Leafs. Les joueurs sont représentés comme de grands enfants, un peu bêtes, voire incultes.

 

Mickey et Keir Cutler, The Glory Boys, 1979, Guy Lafleur

Les auteurs sont bien informés : ils savent que Guy Lafleur a écrit des poèmes quand cela allait mal pour lui, au début de sa carrière : «he used to sit in a dark living room writing depressing poetry about the meaningless existence of man». Question de Mickey à propos de ces poèmes : «Oh, really Keir ? Were they any good ?» Réponse de son frère : «They were great !» À la suite de cet échange apparaît un portrait de Lafleur, accompagné de la phrase «I score, therefore I am» (Je marque, donc je suis). On peut légitimement se demander ce que vient faire là le cogito cartésien («Je pense, donc je suis»).

À l’occasion («Bilingual», «Le [sic] politique du sport», «The Chartraw solution»), on sent l’aigreur des frères Cutler devant la transformation du paysage démolinguistique du Québec de cette époque et la place grandissante qui y est accordée à la langue française.

Nous sommes bien en 1979 à Montréal.

 

[Complément du 2 juin 2016]

L’Oreille tendue vient de publier un article sur ce sujet :

Melançon, Benoît, «BDHQ : bande dessinée et hockey au Québec», dans Benoît Melançon et Michel Porret (édit.), Pucks en stock. Bande dessinée et sport, Chêne-Bourg (Suisse), Georg, coll. «L’Équinoxe. Collection de sciences humaines», 2016, p. 101-117. https://doi.org/1866/28749

 

Références

Cutler, Mickey et Keir, The Glory Boys, Montréal, Toundra Books, 1979, s.p. Parution initiale dans le journal The Gazette.

Gidén, Carl, Patrick Houda et Jean-Patrice Martel, On the Origin of Hockey, Stockholm et Chambly, Hockey Origin Publishing, 2014, xv/269 p. Ill.

Accouplements 20

Chloé Savoie-Bernard, Royaume scotch tape, 2015, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux textes d’horizons éloignés.)

En 2009, Anne-Marie Olivier présente à Québec un solo théâtral, Annette. Une fin du monde en une nanoseconde. Il y est question de tricot et d’aiguilles à tricoter : avec de la laine, sur une patinoire de hockey, dans les mains des avorteurs.

En 2015, Chloé Savoie-Bernard publie à Montréal un recueil de poésie, Royaume scotch tape. On y lit ces deux vers :

des aiguilles à tricoter qui rentrent dedans
comme dans une open house (p. 68)

Le poème «camping de pauvre» (p. 27-29) s’ouvre sur le vers «je ne suis pas tricotée serrée» (p. 27) et il est scandé par le mot «maille».

Puis, dans «boogie nights au protoxide d’azote», on lit :

ta chair en lambeaux
j’en ai fait
un tricot (p. 42)

Voilà deux très fortes mises en discours de la violence faite aux femmes.

 

Références

Olivier, Anne-Marie, Annette. Une fin du monde en une nanoseconde, Montréal, Dramaturges éditeurs, 2012, 53 p.

Savoie-Bernard, Chloé, Royaume scotch tape, Montréal, L’Hexagone, 2015, 74 p.

Analyse de texte du mardi matin

(L’autre jour, l’Oreille tendue proposait une analyse d’une critique de restaurant. Aujourd’hui, ce sera une critique de livre. Elle a paru dans le Devoir des 28-29 mars 2015.)

Voilà un texte qui est marqué par une syntaxe particulière et un rythme volontairement saccadé. La signataire de l’article souhaite imposer un style généralement peu pratiqué, du moins avec autant d’affectation, en critique littéraire : morcelé, accumulatif, raboteux.

Commençons par quelques statistiques : l’article compte 16 paragraphes et 57 phrases (les citations de l’œuvre présentée par la critique n’ont pas été comptabilisées). Sur le plan syntaxique, ce qui frappe d’abord est que, de ces 57 phrases, 24 sont dépourvues de propositions principales. À cet égard, le cinquième et le neuvième paragraphe sont emblématiques :

Autre aspect notable : les incises, parenthèses, apartés constants. Qui s’avèrent pour la plupart savoureux. Savoureux de méchanceté. Ou d’incongruité, d’étrangeté. Quand on s’y attend le moins, comme un cheveu sur la soupe.

Impossible de ne pas remarquer aussi les nombreux recoupements thématiques entre les nouvelles. La mort qui revient à tout bout de champ. Les corps qui se déglinguent. L’identité incertaine. Mais aussi, de façon impromptue, l’amour des nombres, jusqu’à l’obsession. Et la présence des chiens.

Onze phrases, pas une proposition principale. (Ça y est : l’Oreille tendue se met à écrire comme son corpus.)

Au point-virgule, absent du texte, l’auteure préfère la multiplication des points et des deux-points. Dans de rares cas, les effets de rupture se donnent à lire non pas entre les phrases, mais à l’intérieur même de celles-ci : «Parfois on est dans la fantaisie pure, ça dérape, c’est délirant»; «soutenue, pour ne pas dire savante, puis, populaire soudain, ou carrément crue, quand il est question de sexe surtout» (l’Oreille aurait bien ajouté une virgule avant «surtout»; tous les goûts sont dans la nature).

La chroniqueuse aime aussi commencer ses phrases, généralement brèves, par un adverbe à valeur anaphorique (au premier paragraphe : «Parfois», «Parfois», «Souvent»). Elle apprécie fort les reprises immédiates de mots : «Mélange» / «Et mélange»; «nouvelles» / «Des nouvelles»; «Au-delà» / «au-delà»; «noir» / «Noir foncé»; «savoureux» / «Savoureux»; «improbable» / «improbable»; «chiens» / «chien»; «jours» / «jour» ; «Chacun» / «Chacun»; «un homme» / «Un homme amoureux». La dimension incantatoire — à défaut de meilleur terme — du texte passe par ces répétitions et (infimes) variations, cette concaténation récursive.

Mais qui parle dans cette chronique ? Il y a certes une lectrice qui cherche à montrer sa compétence. Elle rend compte d’un recueil de nouvelles qu’elle a apprécié, mais elle le met en relation avec trois ouvrages du même auteur et elle donne au passage quelques éléments de sa biographie («essayiste féru de science et professeur de littérature à l’UQAM» — sans dire ce qu’est «l’UQAM» —, «né en 1959»). Elle sait de quoi elle parle.

Il y a surtout quelqu’un qui a une volonté stylistique affichée. Dans ce type de prose, l’analyse — on pardonnera à l’Oreille cette exagération lexicale — est subordonnée à la monstration d’une technique. L’œuvre décrite importe moins que le je de la critique, masqué sous un on («on fraye», «on est», «on tombe», «On joue», «on s’y attend», «On pourrait», «On voyait», «On les prend») ou sous l’impératif («Disons», «Attendez»). Ce qui doit retenir l’attention est le rythme du texte, peut-être plus que son propos.

Cela pourrait s’appeler de la critique-spectacle.

Dollard Saint-Laurent (1929-2015)

Dollard Saint-Laurent, carte de joueur

«J’aime mieux dire dollar que piastre,
à cause de Dollard Saint-Laurent…
Dollard des Ormeaux.
La plume m’a fourché»
(Réjean Ducharme, Le nez qui voque).

Dollard Saint-Laurent, l’ancien joueur des Canadiens de Montréal — c’est du hockey —, vient de mourir.

Il n’a pas eu le succès culturel des grands joueurs de sa génération, Maurice Richard ou Jean Béliveau, mais on le voit parfois apparaître dans des œuvres de création. C’est le cas dans l’émission de télévision en deux parties Maurice Richard. Histoire d’un Canadien (1999).

À plusieurs reprises dans la partie fictive de ce docudrame de Jean-Claude Lord et Pauline Payette, les réalisateurs rappellent qu’il existait dans les années 1940 et 1950 une barrière linguistique dans le vestiaire des Canadiens. Les anglophones parlaient anglais; les francophones devaient être bilingues. Cette partition, dans Maurice Richard. Histoire dun Canadien, est toujours activée par le même personnage, anonyme dans le film, le numéro 19. (De 1951-1952 à 1957-1958, Dollard Saint-Laurent portait ce numéro chez les Canadiens.) C’est lui qui félicite Maurice Richard en anglais, avant de se raviser; c’est la moindre des choses entre francophones. C’est lui qui enseigne à ses coéquipiers anglophones, dans l’appartement de Maurice Richard, à chanter «Il a gagné ses épaulettes». C’est lui qui leur traduit les articles politico-sportifs du Petit Journal et de Samedi-Dimanche, dont celui qui sera une des sources des démêlés de Richard avec Clarence Campbell. C’est aussi lui qui accepte de passer d’une station de radio française à une station anglaise, le 16 mars 1955, afin que tous apprennent ensemble la sentence de Richard à la suite de ce qui s’est passé à Boston le 13 mars. S’il met constamment en lumière le fait qu’il y a deux langues dans le vestiaire, et deux langues d’inégal statut, le numéro 19 ne le fait jamais sur le mode de la confrontation. Cet entremetteur est un apôtre de la bonne entente canadienne et il réussit : l’esprit de corps ne se dément jamais chez les coéquipiers de Richard.

[Ce texte reprend une analyse publiée dans les Yeux de Maurice Richard (2006).]

 

Références

Ducharme, Réjean, Le nez qui voque. Roman, Paris, Gallimard, 1967, 247 p.

Maurice Richard. Histoire d’un Canadien / The Maurice Rocket Richard Story, docudrame de quatre heures en deux parties, 1999 : 1921; 1951. Réalisation : Jean-Claude Lord et Pauline Payette. Production : L’information essentielle.

Melançon, Benoît, les Yeux de Maurice Richard. Une histoire culturelle, Montréal, Fides, 2006, 279 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Nouvelle édition, revue et augmentée : Montréal, Fides, 2008, 312 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Préface d’Antoine Del Busso. Traduction : The Rocket. A Cultural History of Maurice Richard, Vancouver, Toronto et Berkeley, Greystone Books, D&M Publishers Inc., 2009, 304 p. 26 illustrations en couleurs; 27 illustrations en noir et blanc. Traduction de Fred A. Reed. Préface de Roy MacGregor. Postface de Jean Béliveau. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2012, 312 p. 42 illustrations en noir et blanc. Préface de Guylaine Girard.

Les Yeux de Maurice Richard, édition de 2012, couverture