Mais comment l’écrire ?

Cela va de soi : en sa version soft, le mot désigne une personne habile, rusée, malicieuse, sous des apparences anodines; en sa version hard, il peut signifier quelqu’un à qui on ne confierait pas ses enfants. Mais comment l’écrire ?

L’Acadien Jean Babineau choisit «snoreau» dans son roman Gîte (1998, p. 29). Le Petit Robert (édition numérique de 2010) et Léandre Bergeron (1980, p. 460) font de même; l’un et l’autre disent du snoreau que c’est un «enfant espiègle» (ça se discute). Pour le premier, le mot est épicène; pour le second, il est masculin.

D’autres préfèrent snorrot, snoro, voire snôro ou snôrô, ce qui serait peut-être plus juste sur le plan phonétique.

Ainsi, en page B4 du Devoir du 12 août 2005, la notice nécrologique d’Arthur Prévost (1910-2004) commençait par ces mots : «“Cric ! Crac ! Couteau ! Cuiller à pot !… Plus je vous en dirai plus je vous mentirai…” Sans en faire un plat, pas question d’oublier, d’enterrer notre héros, notre “snoro, en trois coups de cuiller à mots” à la Ducharme.» L’allusion renvoie à l’incipit du roman Gros mots (1999) de l’écrivain québécois Réjean Ducharme : «Ça n’a pas l’air de s’arranger mais je ne vais pas me ronger. C’est mon histoire. On est ici chez moi. On ne va pas me déloger comme ça. Se débarrasser du héros en trois coups de cuiller à mots» (p. 9).

Ledit Ducharme emploie lui aussi la graphie snoro. Mieux encore, il donne une étymologie au mot : «du yiddish shnoerer, bourdon, parasite enjôleur» (p. 283). Il n’est pas sûr, cependant, que le yiddish des personnages ducharmiens soit tout à fait au point.

Le féminin du mot se construisant parfois en -de, il vaudrait peut-être mieux préférer quelque chose comme snauraud — à l’exemple de Claude-Henri Grignon et Albert Chartier (éd. de 2010, p. 118 et p. 149) — ou snoreaud — d’où la phrase suivante : «elle a pris le menu, a appelé la réception, et a dit : “apportez-moi un de chaque”, la snoreaude» (le Devoir, 8 mai 2003).

En cette matière comme en tant d’autres, Léandre Bergeron ne sait où faire son lit. En 1980, il dit de «snoreaude» que c’est le féminin de «snoreaud», mais il n’y a pas d’entrée à ce mot; il faut aller à «snoreau» (p. 460). En 1981, le féminin de «snoreau» est désormais «snoroune» (p. 152), ce qui a l’avantage, il est vrai, de bien s’insérer dans la série des québécismes en -oune.

Proverbe du jour, en hommage à Pascal : «L’homme est un snôro pensant» (Pierre Popovic).

P.-S. — On le croira ou non : dans la sixième livraison des Cahiers Voltaire (2007), l’Oreille tendue a longuement analysé la notice nécrologique d’Arthur Prévost.

 

[Complément du 15 février 2020]

Dans le Devoir du jour : «tout est possible pour Norah la snoraude».

 

Références

Babineau, Jean, Gîte, Moncton, Perce-Neige, coll. «Prose», 1998, 124 p.

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise précédé de la Charte de la langue québécoise. Supplément 1981, Montréal, VLB éditeur, 1981, 168 p.

Ducharme, Réjean, Gros mots. Roman, Paris, Gallimard, 1999, 310 p.

Grignon, Claude-Henri et Albert Chartier, Séraphin illustré, Montréal, Les 400 coups, 2010, 263 p. Préface de Pierre Grignon. Dossier de Michel Viau.

Melançon, Benoît, «Enquête sur les voltairiens et les anti-voltairiens (IV). Coordonnée par Gérard Gengembre», Cahiers Voltaire, 6, 2007, p. 215-216; repris, sous le titre «Nécrologie voltérienne», dans Nos Lumières. Les classiques au jour le jour, Montréal, Del Busso éditeur, 2020, p. 100-103.

En première place

Il est bon, périodiquement, de (se) rappeler que le Québec sait exceller.

Il regorge de capitales. La plus récente ?

«Québec, capitale des buveurs réguliers» (la Presse, 15 décembre 2011, cahier Affaires, p. A16).

Si le Québec est un leader, c’est qu’il s’impose à l’international.

«Pétrole. Gisement de classe mondiale à Anticosti» (le Devoir, 15 décembre 2011, p. A1 et A8).

«Cyclotourisme. Un circuit de calibre international au Québec» (la Presse, 17 août 2011, p. A7).

«Montréal est reconnu comme un leader mondial dans la normalisation logicielle» (le Devoir, 22-23 octobre 2011, p. H4).

«Transport vert. Hamad veut faire du Québec un leader mondial» (la Presse, 10 juin 2011, p. A6).

«Québec veut une filière “de classe mondiale”» (la Presse, 8 avril 2011, p. A9).

«Le Québec, champion mondial de l’union libre» (le Devoir, 13 septembre 2007, p. A1).

Que demander de plus ? Qu’il y ait moins d’analphabètes ? Il ne faut pas exagérer.

Treizième article d’un dictionnaire personnel de rhétorique

Anagramme

Définition

«Mot obtenu par transposition des lettres d’un autre mot» (ex. Marie – aimer) (le Petit Robert, édition numérique de 2010).

Exemples

Chez Rimbaud : «alchimie du verbe» / «levé Rimbaud chie» (Pierre Popovic, 1993, p. 116).

Sur Twitter : «Avez-vous remarqué que “Marine Le Pen” est l’anagramme de “Amène le pire” ou “La Mere Pine” ? Au choix.»

Remarque

L’anagramme n’est pas sans lien avec le palindrome.

 

Référence

Popovic, Pierre, «L’argent dans la lettre-vie d’Arthur Rimbaud», dans Benoît Melançon et Pierre Popovic (édit.), les Facultés des lettres. Recherches récentes sur l’épistolaire français et québécois, Montréal, Université de Montréal, Département d’études françaises, Centre universitaire pour la sociopoétique de l’épistolaire et des correspondances (CULSEC), février 1993, p. 95-117.

Est-ce bien nécessaire ?

Parmi les jurons québécois, il en est de forts et il en est de faibles. Dans la première catégorie, on place aujourd’hui — même si leur statut a varié dans le temps — tabarnak ou crisse. Dans la seconde, on peut penser à maudit.

Soit les quatre exemples suivants, tirés de chansons portant à des degrés divers sur le hockey, dans différents emplois grammaticaux.

«Parce que not’seule révolution
C’était celle de Maurice Richard au Forum
Dins’années cinquante
En ce temps-là j’te dis mon chum
Qu’on chantait maudit faut qu’ça change» (Claude Gauthier, 1976).

«J’aguis l’hivere
Maudit hivere
Les dents serrées, les mains gercées, les batteries à terre
J’aguis l’hiver
Maudit hivere
Chez nous l’hiver, c’comme le hockey
Y a des finales jusqu’au mois d’mai» (Dominique Michel, 1979).

«Ça pas d’maudit bon sens
Avec les femmes faudrait pouvoir scorer
Comme on score au hockey» (Robert Charlebois, 1981).

«Ma mère faisait cuire du jambon
Maudit qu’le hockey sentait bon
Quand y avait un but
[Choriste : Y avait un but]
On criait comme des perdus» (Christine Corneau, 1988).

On aurait pu croire que, contrairement aux jurons plus osés, un juron aussi insipide que celui-là aurait pu se passer de formes édulcorées; il n’en est rien.

Comme l’avait noté François Bon en 2009, mautadine existe : «De Renée-Claude Brazeau : Mautadine qu’elle donne envie d’écrire “pouet pouet” partout» (p. 5).

On voit aussi mautadit, comme sur cette photo prise à Montréal le 10 décembre 2011 :

«En mautadit !», publicité, Montréal, 2011

Question grave : est-il bien nécessaire d’euphémiser maudit ?

 

Références

Bon, François, Une Amérique lentement dessinée à la main, texte pour le cours de création littéraire FRA 1710B de l’Université de Montral le 18 novembre 2009, à partir de la Sentimenthèque de Patrick Chamoiseau, 2009, 38 p.

Charlebois, Robert, «Moi Tarzan, toi Jane», dans Heureux en amour ?, 1981, disque étiquette Conception.

Corneau, Christine, «La soirée du hockey», dans En personne, 1988, disque audionumérique, 1988, étiquette Analekta, SNP-9801 Sonophile.

Gauthier, Claude, «La valse à mon oncle», dans les Beaux Instants. Live à l’Outremont, 1976, disque 33 tours, étiquette PE 7500 Presqu’île; réédition, 1993, disque audionumérique, étiquette Transit, Interdisc distribution TRCD-9104 Transit.

Michel, Dominique, «Hiver maudit : j’hais l’hiver», 1979, disque 45 tours, étiquette ENG 4201 Disques Énergie; repris dans 28 Chansons souvenirs, 2006, disque audionumérique, étiquette Disques Mérite.

Douzième article d’un dictionnaire personnel de rhétorique

Aphérèse

Définition

«On retranche une syllabe ou une lettre au commencement d’un mot» (Gradus, éd. de 1980, p. 60).

Exemples

«Cancans. Angèle se marie le 8 juillet et sa sœur la remplace ici. Un de mes amis, le baron Taylor qui était aveugle, vient de mourir. Le fils d’Auguste Vallin se marie le 19 juin, je suis de noce, ’turellement» (lettre d’Emmanuel Chabrier à son fils Marcel, 13 juin 1889, citée par Philippe Didion dans les Notules dominicales de culture domestique [et de villégiature exotique], 24 octobre 2010).

Fort populaire, la formule introductive québécoise Regarde s’entend souvent ’Garde.

On peut se demander si l’étrange féminisation du mot bus dans certaines régions du Québec n’est pas le fruit d’une aphérèse (une autobus => une bus).

P.-S. — Les lecteurs attentifs de l’Oreille tendue auront noté que l’aphérèse est une apocope prise par l’autre bout.

 

Référence

Dupriez, Bernard, Gradus. Les procédés littéraires (Dictionnaire), Paris, Union générale d’éditions, coll. «10/18», 1370, 1980, 541 p.