Prémonition ?

Le Sommet sur l’enseignement supérieur du gouvernement du Québec s’est terminé tout à l’heure. Qu’aura-t-il enfanté, outre un mécontentement généralisé ? Des chantiers.

En 2004, on pouvait lire ceci dans le Dictionnaire québécois instantané, à l’article «chantier» : «Forme conviviale du sommet. Chantier sur l’éducation» (p. 38).

Plus ça change, moins c’est différent.

 

Référence

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2004, couverture

Le fondement du monde contemporain

On ne le dira jamais assez : la vie moderne est une affaire de boulons dont il fau(drai)t se défaire.

Des exemples ? Ils pleuvent.

Dans les piédestaux, il y a des boulons : «Pour déboulonner le piédestal de Mère Thérésa» (@RobertBlondin).

Dans les clichés, il y a des boulons : «Binyanga Wainaina déboulonne les clichés perpétrés par les étrangers qui écrivent à propos de l’Afrique» (@plusonlit).

Dans les idées reçues, il y a des boulons : «Idées reçues déboulonnées» (la Presse, 23 janvier 2013, cahier Affaires, p. 7); «Quels mythes entourent la participation cultur. des jeunes à MTL ? Une nvlle étude déboulonne les idées reçues» (@CultureMontreal).

Dans les perceptions, il y a des boulons : «déboulonner cette perception» (le Devoir, 10-11 novembre 2012, p. A12).

Dans les préjugés, il y a des boulons : «Il y a beaucoup de préjugés à déboulonner en fonction de notre image publique» (le Quotidien, 22 février 2013, p. 18).

Dans la figure du père, il y a des boulons : «Son but, qu’il ne rate surtout pas : déboulonner la figure du père» (le Devoir, 16-17 février 2013, p. F4).

Dans les thèses, il y a des boulons : «Paul McRae a créé des liens vers une vingtaine d’articles et documentaires déboulonnant la thèse du réchauffement de la planète» (le Droit, 16 février 2013, p. 6).

Dans les symboles, il y a des boulons : «plusieurs nouvelles déboulonnent les symboles de la religion catholique» (le Soleil, 16 février 2013, p. 35).

Dans les argumentaires, il y a des boulons : «stipule Pétrolia, tentant de déboulonner l’argumentaire du maire de Gaspé» (le Devoir, 6 février 2013, p. B1).

Dans la gouvernance, il y a des boulons : «une gouvernance mieux boulonnée» (le Devoir, 23-24 février 2013, p. A7).

Dans les mythes — surtout dans les mythes —, il y a des boulons : «@CultureMontreal déboulonne les mythes. Le 1er : Les jeunes ne lisent plus !» (@jouimette); «Le mythe de la prima donna déboulonné» (la Presse, 8 août 2012, cahier Affaires, p. 7).

À vos clés !

 

[Complément du 25 janvier 2023]

Il arrive à l’Oreille tendue d’oublier qu’elle a déjà écrit sur un sujet; c’est le cas ici.

Tombeau d’Ella (6) : diction

Ella Fitzgerald en 1975

[Ce texte s’inscrit dans la série Tombeau d’Ella. On en trouvera la table des matières ici.]

On s’entend généralement sur le fait que, dans la bouche d’Ella Fitzgerald, les phonèmes naissent et demeurent égaux en droits. Pour le dire banalement : sa diction serait parfaite. Un exemple parmi mille ? «Don’t Fence Me In» (1956).

À cette vérité générale, on ne peut opposer que d’exceptionnels contre-exemples.

Dans un des passages en français de «Dites-moi» (1963), un mot est incompréhensible : «Dites-moi pourquoi / Chère Mademoiselle / Est-ce que / Parce que / Vous m’[?????].» Encore : «Blues in the Night» (1961). C’est tout.

Il est aussi un mot plus beau que les autres chez Ella Fitzgerald : «adore». Réécoutez «I Am in Love» (1956), «Blue Moon» (1956), «Easy to Love» (1956), «Let’s Fall in Love» (1961), «This Time the Dream’s on Me» (1964). Certains phonèmes sont plus égaux que d’autres. C’est comme ça.

 

[Complément du 16 mars 2017]

Ella Fitzgerald a beaucoup chanté Cole Porter. Norman Granz, son agent, présente le Cole Porter Songbook (1956) au compositeur. «Porter écoute et dit : — “Quelle diction !” On ne saura jamais si, de sa part, il s’agissait d’un compliment sincère ou d’une politesse protocolaire.» C’est Alain Lacombe qui rapporte l’anecdote dans son livre de 1988 (p. 133).

 

Référence

Lacombe, Alain, Ella Fitzgerald, Montpellier, Éditions du limon, coll. «Mood indigo», 1988, 206 p. Ill.

[Les dates entre parenthèses devraient être celles des enregistrements. Elles ne sont pas toujours fiables.]

Illustration : Ella Fitzgerald, 1975, photo déposée sur Wikimedia Commons

En vue du sommet

«Le Québec est un vaste
camp de concertation,
ai-je déjà entendu.»
(@Ant_Robitaille)

Les 25 et 26 février, le gouvernement du Québec tiendra un Sommet sur l’enseignement supérieur. Pour qui ne le saurait pas, le sommet est un art québécois.

En 2004, voici ce qu’écrivaient l’Oreille tendue et son comparse dans leur Dictionnaire québécois instantané à l’article «sommet» :

1. Vie courante. Voir top.

2. Politique. Réunion de gens qui ont un caractère physique ou idéologique commun. Les conclusions d’un sommet sont toujours préparées à l’avance par son organisateur, lequel est le plus souvent un ministère, un lobby ou un gouvernement. Variante du festival et du salon. De l’animation, de la francophonie, de la nordicité, des Amériques, des légendes, des régions, du Québec et de la jeunesse, sur l’économie et l’emploi. Voir audiences, carrefour, chantier, coalition, comité, commission, concertation, consensus, consultation, états généraux, forum, partenaires sociaux, rencontre, suivi et table.

[Remarque] 1. De moins en moins pris au sérieux. «Le sommet des corridors. Les discussions formelles ne sont que la pointe de l’iceberg» (la Presse, 25 février 2000). «L’utilité des sommets reste à démontrer» (le Devoir, 11 avril 2001). «Tiens tiens, un Sommet…» (la Presse, 17 avril 2001) «Montréal, ville aux 100 sommets» (la Presse, 13 mars 2002). «Le sommet du tricot» (la Presse, 26 mai 2002). «Le sommet du sac de couchage» (la Presse, 25 mai 2002). «Le sommet des listes d’épicerie» (le Devoir, 31 mai 2002). «Le sommet des bonnes intentions» (le Devoir, 8-9 juin 2002).

[Remarque] 2. S’exporte, néanmoins. «Un sommet extraordinaire des primats anglicans sur l’homosexualité» (le Devoir, 9-10 août 2003) (p. 207).

En 2005, dans un article pour la revue française Cités, l’Oreille évoquait de nouveau cette pratique :

Le Québécois, surtout s’il est pure laine, est grégaire. La moindre question sociale est-elle soulevée, qu’il convoque des audiences, un carrefour, un chantier, un comité, une commission, des états généraux, un forum, un groupe (~-conseil, ~ de discussion, ~ de travail), une rencontre ou un sommet. Son meuble favori est la table : d’aménagement, de concertation, de convergence, de prévention, de suivi, ronde. S’il veut s’amuser, rien de mieux qu’un festival, voire des festiveaux (orthographe recommandée). Dans les régions ou le 450, il célèbre la faune et la flore, l’eau et le feu, le pétrole et le sirop d’érable, la tomate comme le camion. Autour du Plateau, il se croit plus raffiné et préfère le théâtre (des Amériques), le jazz (musique à la définition extensible, de Ray Charles à Luis Mariano), l’humour (dit Juste pour rire). Il ne trompe personne en déguisant son festival en biennale, en classique, en défi, en féria, en fête, en foire, en international, en rendez-vous ou en virée. Plus on y est de fous, plus on rit (p. 239-240).

Il n’y a donc pas lieu de s’étonner du fait que le gouvernement du Parti québécois de Pauline Marois ait décrété un sommet à la suite du printemps érable.

Une chose reste à vérifier. En 2004, nous écrivions : «Les conclusions d’un sommet sont toujours préparées à l’avance par son organisateur […].» Vu l’état de non-organisation du sommet des prochains jours, rien n’est moins sûr. On verra.

 

[Complément du 25 février 2013]

Parfois, l’Oreille se demande si elle n’exagère pas un brin. Puis elle ouvre le Devoir et elle lit : «Pour un chantier post-sommet sur la gratuité» (25 février 2013, p. A7). Cela la rassure, en quelque sorte.

 

Références

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Melançon, Benoît, «La glande grammaticale suivi d’un Petit lexique (surtout) montréalais», Cités. Philosophie. Politique. Histoire, 23, 2005, p. 233-241. https://doi.org/10.3917/cite.023.0233; https://doi.org/10.3917/cite.023.0238

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2004, couverture

Les zeugmes du dimanche matin et de Simenon

Georges Simenon, le Charretier de la «Providence», couverture

 

«Eh oui, patron, on prend de la bouteille, du ventre et du grade» (p. 784-785).

Georges Simenon, Maigret à Vichy, dans Œuvre romanesque, Libre expression et Presses de la Cité, coll. «Tout Simenon», 13, 1990, p. 765-877. Édition originale : 1967.

 

«on vit le matelot […] faire sauter, du pont et d’un geste précis, les amarres de leurs bittes» (p. 53).

Georges Simenon, le Charretier de la «Providence», dans Romans. I, Paris, Gallimard, coll. «Bibliothèque de la Pléiade», 495, 2003, p. 1-103 et 1337-1353. Édition établie par Jacques Dubois, avec Benoît Denis. Édition originale : 1931.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)