Du bon usage du tutoiement conjugal

Mémoires de madame de Genlis, éd. de 2004, couverture

«Cette remarque sur le tutoiement rappelle un mot très plaisant de madame de Bussy, femme du gouverneur de Saint-Domingue, étant seule avec son mari qu’elle n’aimait pas. M. de Bussy la conjurait, ce qui était fort simple, étant tête à tête, de le tutoyer, ce qu’elle n’avait jamais fait. Après beaucoup d’insistances passionnées, elle y consentit enfin, et lui dit : Eh bien ! va-t’en» (p. 332 n. **).

Mémoires de madame de Genlis, Paris, Mercure de France, coll. «Le temps retrouvé», 2004, 390 p. Édition présentée et annotée par Didier Masseau. Édition originale : 1825.

La dictée de l’Oreille tendue

Repassage extrême sur le Rivelin Needle (Rivelin Rocks)

Toujours à l’affût des besoins de ses bénéficiaires, l’Oreille tendue leur a préparé une dictée. Elle dure deux minutes trente secondes et on peut l’entendre ici :

À ton crayon.

 

Illustration : repassage extrême sur le Rivelin Needle (Rivelin Rocks) près de Sheffield au Royaume-Uni, 2001, photo déposée sur Wikimedia Commons

 

[Complément du 1er mars 2017]

Corrigé

Là, là, les étudiants et les étudiantes, tu t’installes pour la dictée. Tu prends ton p’tit crayon, pis ton p’tit papier, pis tu tends bien l’oreille. T’es prêt ? On commence.

«Hier soir, j’ai quitté plus tôt que d’habitude. Je suis allé au bar à repassage. Il y avait un tournoi de repassage extrême. Ce tournoi se voulait à saveur compétitive. Le prix à gagner était un voyage dans la capitale urbaine du swag. Je me sentais décomplexé. Au niveau de mon repassage, ma problématique était bonne. À la fin du tournoi, les juges se sont assis et ils ont voté. On parle d’une décision difficile pour l’estime de soi.» [Il n’y avait évidemment pas de virgule dans la dernière phrase; c’était un piège.]

Bon, c’est fini, les étudiantes et les étudiants. Tu me donnes ta p’tite dictée, pis tu vas dans le parc-école. Je te dirai tout à l’heure si t’as un privilège ou si t’as une conséquence.

Are you talkin’ to me ?

Simon Brousseau, Synapses, 2016

Sous le titre Synapses (2016), Simon Brousseau a rassemblé plus de 200 courtes proses, en une phrase et un paragraphe, toutes adressées à un tu, mais un tu dont l’identité change (homme / femme, jeune / vieux, solitaire / en couple / en famille / avec des amis, en ville / à la campagne, etc.).

Le texte de la p. 21 est (presque) destiné à l’Oreille tendue :

Tu as vu l’Artiste perdre un gant quand il a contourné le filet tandis que Wideman était à ses trousses, tu l’as vu faire volte-face pour le cueillir alors qu’il protégeait la rondelle avec grâce, tu as explosé de joie quand il a donné un coup de coude au visage de Tucker qui l’avait cherché, tu as vu Zednik s’écrouler sur la patinoire après un coup de la corde à linge servi par McLaren, les bras en croix comme un petit Jésus, tu as vu le même Zednik se faire trancher la carotide d’un coup de patin de Jokinen, son sang sur la surface glacée, mais tu n’as jamais vu la Coupe ni de près ni de loin, encore moins senti son odeur.

«L’Artiste» est évidemment Alex Kovalev, l’ancien joueur des Canadiens de Montréal — c’est du hockey —, et l’Oreille n’oubliera pas de sitôt ce joueur. Elle se souvient aussi de l’attaque à la tête de Kyle McLaren contre Richard Zednik, cette «corde à linge» qui l’a laissé quasi inconscient sur la glace, «les bras en croix comme un petit Jésus». Dennis Wideman et Kyle McLaren étaient, bien sûr, des joueurs des Big Bad Bruins de Boston. (En revanche, elle a oublié l’escarmouche Tucker / Kovalev et la blessure causée par Olli Jokinen à Zednik.)

L’Oreille n’a vu de la Coupe (Stanley) qu’une réplique, à Toronto, mais cette coupe lui a néanmoins inspiré un nom de commerce, qui a à voir avec son odeur.

P.-S. — L’Oreille se souviendra avec délectation de la densité des proses de Brousseau, ces microrécits qui, chacun, instantanément, ouvrent sur la profondeur d’une expérience (de soi, du monde, des autres, des corps, du temps).

 

Référence

Brousseau, Simon, Synapses. Fictions, Montréal, Le Cheval d’août, 2016, 107 p.

Accouplements 73

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Sur Twitter, Matthieu Dugal diffusait il y a quelques jours cette photographie d’un graffiti repéré sur un trottoir montréalais :

Graffit, Montréal, 2016L’injonction est simple et nette : «Regarde le ciel.»

En mars 2011, l’Oreille tendue prenait cette photo-ci, à Paris :

Graffit, Paris, 2011Cette interrogation — «Pourquoi restez-vous à regarder le ciel ?» —, comme l’écrivait l’Oreille en 2013, étonne : «Le paradoxe te frappera : tu regardes un trottoir qui te demande pourquoi tu regardes le ciel.»

On préférera, comme toujours, le paradoxe.

P.-S. — On notera le passage du tutoiement (montréalais) au vouvoiement (parisien).

 

[Complément du 10 novembre 2016]

Variation sur un thème connu, gracieuseté de Twitter.

«Regarde le ciel». graffiti

À vous et à tu

«Si je m’éloigne de toi avec la vitesse du torrent du Rhône, c’est pour te revoir plus vite. Si au milieu de la nuit, je me lève pour travailler, c’est que cela peut avancer de quelques jours l’arrivée de ma douce amie, et cependant dans ta lettre du 23 au 26 ventôse, tu me traites de vous. Vous toi-même. Ah?! mauvaise ?! comment as-tu pu écrire cette lettre ?? Qu’elle est froide ?! Et puis, du 23 au 26, restent quatre jours; qu’as-tu fait, puisque tu n’as pas écrit à ton mari? ?… Ah ?! mon amie, ce vous et ces quatre jours me font regretter mon antique indifférence. Malheur à celui qui en serait la cause ?! Puisse-t-il, pour peine et pour supplice, éprouver ce que la conviction et l’évidence qui servit ton ami me feraient éprouver? ! L’Enfer n’a pas de supplice ! Ni les furies, de serpent ?! Vous? ! Vous ?! Ah? ! que sera-ce dans quinze jours…»

Lettre de Napoléon Bonaparte à Joséphine, 30 mars 1796, citée dans Roger Iappini, Napoléon jour après jour. De la naissance au 18 brumaire, Turquant, Cheminements, 2009, p. 176.