Sacrer dans le poste

Le «câlice» de Megan (et de Mad Men)

Sur Twitter, le 25 mars, jour de diffusion du premier épisode de la cinquième saison de la série Mad Men, @richardhetu écrivait ceci : «La femme de Don Draper (J. Paré) vient de dire câlice. Une première à la télé américaine. #MadMen.» Le lendemain, même information, avec un commentaire («Misère») et la photo ci-dessous, chez @PasqualeHJ.

Jessica Paré, qui joue Megan Calvet, la nouvelle Mrs Don Draper, vient de Montréal. Qu’elle utilise câlice est facile à justifier. (Vu son nom de famille, elle aurait aussi pu se servir de calvette, forme euphémisée de calvaire.)

Est-ce la première fois que la télévision états-unienne fait entendre ce genre de langage ? Que nenni.

Dans le treizième épisode de la sixième saison des Sopranos, «Soprano Home Movies» (2007), Tony Soprano fait affaire avec deux Québécois francophones. L’un dit à l’autre : «Astie, j’ai oublié !».

La culture québécoise s’exporte au sud de la frontière.

P.-S. — Il y a aussi un «Saclebleu», pour «Sacrebleu», dans «Cold Cuts» (cinquième saison, neuvième épisode, 2004). La traduction française, visible sur YouTube, a remplacé ce juron par «Tabernâcle». La prononciation du personnage de Tony Soprano n’est au point ni dans l’original ni dans la traduction.

P.-P.-S. — L’Oreille a déjà dit un mot de Mad Men et des Sopranos. Le contexte n’était pas tout à fait le même.

 

[Complément du 27 mars 2012]

On peut (ré)entendre ce «câlice» bien senti ici.

 

[Complément du 28 mars 2012]

Pour une réflexion plus générale sur le rapport aux jurons de ceux qui apprennent le français familier parlé au Québec, voir le blogue d’Anne-Marie Beaudoin-Bégin, En tous cas.

 

[Complément du 31 mars 2012]

Dans la Presse d’aujourd’hui, sous le titre «L’homo tabarnacus», Patrick Lagacé consacre un article aux sacres québécois (p. A10). On y entend l’Oreille.

Bain lâ

@PimpetteDunoyer s’en plaignait sur Twitter il y a quelques jours : «Preuve que “Ben là” est une expression partagée par la majorité des Montréalais de 9-10 ans… #SupportePlus.»

Ben là ?

L’expression peut être une réponse, parfois marquée de résignation, à une demande jugée excessive, notamment parentale. Exemple :

Question (banale) : Tu ne crois pas que tu pourrais, à l’occasion, faire le ménage de ta chambre ?

Réponse (prévisible) : Ben là !

On l’entend de plus en plus souvent dans d’autres contextes, où il s’agit de marquer un désaccord de peu de conséquences.

Sa prononciation n’est pas uniforme. Si le ben a un son de baignoire (bain) et si le a final est gras (â), le rythme d’élocution peut varier, d’un allongement cher à l’adolescence (baiaiain lââââ) à une brièveté exclamative (bainlâ !).

Sur le plan de la syntaxe, on notera que ce ben là se place toujours en tête de phrase.

Une précision finale s’impose : le champ d’attraction de cette expression a largement dépassé le cercle des «Montréalais de 9-10 ans». L’Oreille tendue dispose à la maison d’un spécimen d’adolescent de 14 ans qui l’emploie fréquemment. On la trouve même chez des adultes. Michel Désautels l’a utilisée à la radio de Radio-Canada le 21 mars 2012, et on l’a entendue au micro de Joël Le Bigot sur la même chaîne (dans la bouche de Richard Garneau ?) trois jours plus tard. On a aussi pu la lire sous le clavier d’Anne-Marie Beaudoin-Bégin, sur Twitter : «ah ben là! tout ça pour une tache en forme de lapin!? gâtée pourrie, la môme!»

Ça ne vous plaît pas ? Ben là !

Érotisme de l’accent

Jean-Philippe Bernié, Quand j’en aurai fini avec toi, 2012, couverture

Le roman universitairecampus novel dans la langue de Harvard — est un genre très largement pratiqué dans le monde anglo-saxon, de D.J.H. Jones (Murder at the MLA, 1993) à Philip Roth (The Human Stain, 2000; The Dying Animal, 2001), de Saul Bellow (Ravelstein, 2000) à David Lodge (Changing Places, 1975; Small World, 1984; etc.) et de Richard Russo (Straight Man, 1997; Empire Falls, 2001) à Zadie Smith (On Beauty, 2005).

Il existe aussi en France, sur une échelle plus modeste. Pensons au Problème avec Jane de Catherine Cusset (2001) ou à Septuor de Claude Pujade-Renaud et Daniel Zimmermann (2002).

On en trouve itou des exemples au Québec : le Rendez-vous (François Hébert, 1980), Meurtre sur le campus (Ghislain Richer, 2001), la Souris et le rat (Jean-Pierre Charland, 2004), la Mère morte (Robert Gagnon, 2006), le Dilemme du prisonnier (François Lepage, 2008).

Dans la même veine vient de paraître Quand j’en aurai fini avec toi de Jean-Philippe Bernié (2012).

Le personnage principal de ce roman est la méchante Claire Lanriel, professeure au Département des matériaux de l’Université Richelieu, une université fictive de Montréal. Mère américaine, père français, elle parle avec un «accent français».

Or cela aurait un effet érotique : «Certains straights… ils étaient attirés par son côté dominatrice. Et avec son accent français, c’était encore mieux» (p. 22).

La vie universitaire réserve bien des surprises, au moins auditives.

 

[Complément du 4 mars 2012]

Après de nombreux mois d’attente, l’Oreille tendue vient de mettre dans le lecteur DVD la troisième saison de la série Damages. Pourquoi le dire ici ? Parce que Jean-Philippe Bernié ne cache pas son inspiration. La «Fiche d’information» de son éditeur annonce que son roman est le premier d’une série qui est «une petite sœur de Damages». Le titre Quand j’en aurai fini avec toi est la traduction d’un passage de la chanson d’ouverture de chaque épisode de la série. La relation entre les personnages romanesques de Claire Lanriel et de Monica Réault rappelle celle des personnages télévisuels de Patty Hewes et d’Ellen Parsons. On ne saurait être plus clair.

 

Référence

Bernié, Jean-Philippe, Quand j’en aurai fini avec toi, Montréal, La courte échelle, 2012, 199 p.

Fil de presse 012

Logo, Charles Malo Melançon, mars 2021

La langue fait écrire; ça ne se dément pas.

Regardez derrière :

• Nyrop, Christophe, Grammaire historique de la langue française, Genève, Slatkine reprints, 2011, 6 vol., 3020 p. Réimpression de l’édition de Paris et Copenhague, 1914-1930.

• Ayres-Bennett, W. et M. Seijido, Remarques et observations sur la langue française. Histoire et évolution d’un genre, Paris, Classiques Garnier, coll. «Histoire et évolution du français», 2012, 348 p.

• Walter, Henriette et Pierre Avenas, la Fabuleuse histoire du nom des poissons, Paris, Robert Laffont, 2011, 500 p.

• Guyotat, Pierre, Leçons sur la langue française, Paris, Léo Scheer, 2011, 681 p.

• Lusignan, Serge, France Martineau, Yves Charles Morin et Paul Cohen, l’Introuvable Unité du français. Contacts et variations linguistiques en Europe et en Amérique (XIIe-XVIIIe siècle), Sainte-Foy (Québec), Presses de l’Université Laval, coll. «Les voies du français», 2012, 328 p.

• Brissaud, Édouard, Histoire des expressions populaires relatives à l’anatomie, à la physiologie et à la médecine, Genève, Slatkine reprints, 2012, 350 p. Réimpression de l’édition de Paris, 1899.

• Thurot, Charles, De la prononciation française depuis le commencement du seizième siècle, d’après le témoignage des grammairiens, Genève, Slatkine reprints, 2012, 2 vol., 1540 p. Réimpression de l’édition de Paris, 1881-1883.

• Philippe, Gilles, le Français, dernière des langues. Histoire d’un procès littéraire, Paris, Presses universitaires de France, coll. «Perspectives critiques», 2010, 306 p.

Regardez ici :

• Blondeau, Hélène, Cet «autres» qui nous distingue. Tendances communautaires et parcours individuels dans le système des pronoms en français québécois, Sainte-Foy (Québec), Presses de l’Université Laval, coll. «Les voies du français», 2011, 270 p.

• Martineau, France et Terry Nadasdi (édit.), le Français en contact. Hommages à Raymond Mougeon, Sainte-Foy (Québec), Presses de l’Université Laval, coll. «Les voies du français», 2011, 460 p.

• Bouchard, Chantal, Méchante langue. La légitimité linguistique du français parlé au Québec, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, coll. «Nouvelles études québécoises», 2012, 178 p.

Regardez ailleurs :

• Berrouët-Oriol, Robert, Darline Cothière, Robert Fournier et Hugues St-Fort, l’Aménagement linguistique en Haïti : enjeux, défis et propositions, Montréal et Port-au-Prince, Éditions du CIDIHCA et Éditions de l’Université d’État d’Haïti, 2011. Avant-propos de Jean-Claude Corbeil. Introdiction de Bernard Hadjadj. Postface de Joseph-G. Turi.

• Bastin, Georges L. et Monique C. Cormier, Profession traducteur, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, coll. «Profession», 2012, 66 p. Ill. Édition revue et mise à jour. Édition originale : 2007.

• Pennebaker, James W., The Secret Life of Pronouns : What Our Words Say About Us, Bloomsbury Press, 2011, 368 p.

Regardez sur votre liseuse :

• Deplace, Guy-Marie, Observations grammaticales sur quelques articles du Dictionnaire du mauvais langage, édition numérique, Project Gutenberg, 2012. Édition originale : 1810.

Revue critique de fixxion française contemporaine, revue numérique, 3, décembre 2011 : «L’écrivain devant les langues». Numéro dirigé par Dominique Combe et Michel Murat.

Regardez le long de la route :

• Bloch, Kevin, Avoir des bornes au compteur. Petit dictionnaire grivois des transports, Paris, Balland, coll. «Les dicos d’Agnès», 2011, 128 p.

Regardez Alain Rey :

• Gaudin, François (édit.), Alain Rey, vocabuliste français, Limoges, Éditions Lambert-Lucas, coll. «La Lexicothèque», 2011, 106 p.

• Rey, Alain, la Langue sous le joug, Rouen, Publications des universités de Rouen et du Havre, 2011, 54 p.

Regardez.

Des ursidés sonores

Samuel Archibald, Arvida, 2010, couverture

Le Petit Robert (édition numérique de 2010) donne la prononciation «ourss» et «ourss brun» (mais on pourrait aussi, semble-t-il, dire «ourz brun»), sans distinguer la prononciation au singulier de celle au pluriel.

Claude-Henri Grignon et Albert Chartier, dans leur Séraphin illustré (2010), préféraient «Un ourre !» (p. 74). Ils rejoignaient par là Léandre Bergeron qui, dans son Dictionnaire de la langue québécoise (1980), classait les ursidés à «our» et non à «ours» (p. 357). (À «ours», il est plutôt question de l’«Organe sexuel féminin».)

Pour les personnages d’Arvida (2011) de Samuel Archibald, c’est plus complexe : «On prononçait à l’envers sur les terres du Seigneur. On disait un our et des ourses» (p. 136). Mais «à l’envers» de qui ?

 

[Complément du 23 février 2012]

Compliquons un peu les choses en citant deux vers d’une comédie de 1784, le Concours académique, signée par Cubières de Palmézeaux :

«Ses dehors sont peu doux ainsi que ses discours.
Il a beaucoup moins l’air d’un homme que d’un ours» (acte I, scène III, p. 226).

 

[Complément du 26 août 2014]

S’il faut en croire le journaliste Jean-François Nadeau, les étudiants de la Faculté de droit de l’Université Laval (Québec) ont trouvé une solution à cette question. En période d’initiation — de bizutage —, ils sont forcés de chanter «Cours avant qu’t’je fourre avec ma grosse graine d’ours» (le Devoir, 25 août 2014, p. A3). La rime ne saurait mentir.

 

[Complément du 14 février 2016]

«Le chum à Chabot», le personnage créé par Fabien Cloutier, dans son spectacle Scotstown, choisit lui aussi our (DVD, 2015, 4e minute).

 

[Complément du 14 février 2016, bis]

Autre occurrence, en chanson cette fois, gracieuseté de @revi_redac : «On a essayé l’tunnel d’amour, fait noir comme dans l’cul d’un ours» (Richard Desjardins, «Kooloo Kooloo»).

 

[Complément du 12 février 2017]

Et vous, comment prononceriez-vous ceci : «Retour aux ours» (Autour d’Éva, p. 390) ?

 

Références

Archibald, Samuel, Arvida. Histoires, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 04, 2011, 314 p. Ill.

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

Cloutier, Fabien, Scotstown et Cranbourne, Montréal, TVA Films et Encore management, DVD, 2015.

Cubières de Palmézeaux, le Concours académique, ou le Triomphe des talents, dans Théâtre moral ou pièces dramatiques nouvelles, Paris, Belin, Veuve Duchesne et Bailli, 1784, tome premier, p. 197-327.

Grignon, Claude-Henri et Albert Chartier, Séraphin illustré, Montréal, Les 400 coups, 2010, 263 p. Préface de Pierre Grignon. Dossier de Michel Viau.

Hamelin, Louis, Autour d’Éva. Roman, Montréal, Boréal, 2016, 418 p.