Du typewriter

Alfred Decelles fils, la Beauté du verbe, 1927, couverture

En 1927, Alfred DeCelles fils entre en croisade linguistique. Son opuscule la Beauté du verbe (Entretiens sur la langue française au Canada) est une entreprise d’«épuration». De quoi faut-il protéger la langue française d’ici ? De l’anglicisme, cette plaie.

DeCelles mène l’attaque sur quatre fronts. Il étale volontiers, citations à l’appui, sa culture française (Du Bellay, Descartes, Molière, Racine, Voltaire, Vigny, Hugo). Il donne des extraits de ses prédécesseurs croisés, qu’ils soient canadiens-français (Dunn, Buies, Roullaud, Clapin, Ricard, Blanchard, Camille Roy), français (Rémy de Gourmont, Brunetière, Bonnaffé, Thérive) ou belges (D’Harvé). Il enfile les formes (qu’il juge) fautives, avec leur transcription «plus ou moins phonétique» (p. 19 n.). Ce «réformateur» (p. 54) propose de revoir les programmes de l’école primaire et de lancer «une vigoureuse campagne de presse» (p. 52).

Quelques constatations à la lecture de cette «collection de cacographies» (p. 37).

Un catalogue non raisonné de fautes supposées, sur le modèle «Dites / Ne disez pas», c’est rarement intéressant et c’est toujours barbant à lire.

Plus ça change, plus c’est pareil : l’emprunt est dangereux et il empêche la langue de conserver sa «pureté liliale» (p. 48).

On ne peut parler de langue au Québec sans parler du rapport à «notre ancienne mère-patrie» (p. 42) : ses anglicismes, son argot, ses néologismes.

Malgré tout, on trouve de jolies choses sous la plume de DeCelles, dont celle-ci :

Je connais un rond de cuir qui se donne, tous les jours, un mal infini pour articuler : taprater ! N’avons-nous pas le mot dactylographe, ou encore l’expression machine à écrire ? (p. 20)

Taprateur ou tapratère auraient probablement été de meilleurs choix, mais il est trop tard pour cela.

 

Référence

Decelles fils, Alfred, la Beauté du verbe (Entretiens sur la langue française au Canada), Ottawa, Imprimerie Beauregard, 1927, 58 p.

Citation autrichienne du jour

Thomas Bernhard, le Naufragé, 1993, couverture

«De sa grand-mère maternelle, il avait, lui, Glenn [Gould], appris l’allemand qu’il parlait couramment, comme je l’ai déjà indiqué. Par son élocution, il faisait honte à nos condisciples allemands et autrichiens qui parlaient une langue allemande complètement détériorée et qui parlent leur vie durant cette langue allemande complètement détériorée parce qu’ils ne sont pas sensibles à leur langue. Mais comment un artiste peut-il ne pas être sensible à sa langue maternelle ! a souvent dit Glenn.»

Thomas Bernhard, le Naufragé, Paris, Gallimard, coll. «Folio», 2445, 1993, 187 p., p. 30. Traduction de Bernard Kreiss. Édition originale : 1983.

D’hier à today

Ronald King, dans la Presse du 26 juin 2010 :

Dites Roger…

Vous avez peut-être remarqué, comme moi, que dans la publicité de Coca-Cola traduite dans une maison québécoise, on nous parle de Roger Milla, avec Roger prononcé à l’anglaise. Or, Milla est camerounais et francophone. À la télé française, on parle de Roger à la française.

Il s’agit d’un cas de paresse et d’ignorance crasses. On aurait pensé que quelqu’un dans la maison aurait fini par comprendre et fait la correction avant la Fête nationale du Québec. Mais non.

Colonisés…

André Belleau, dans la revue Liberté en mai-juin 1980 :

pourquoi Bernard Derome tient-il tant à montrer qu’il sait l’anglais ? Pour être plus précis, qu’est-ce qui le fait, au Téléjournal, prononcer infailliblement «Rââbeurte Enn’drusse» les mots «Robert Andras» écrits sur une dépêche ? Ou «Pi-ss-bi-dji-mm» pour P.S.B.G.M. ? Et «Aille-âre-ré» toutes les fois qu’il lit I.R.A. ? C’est à ce point que ma mère, qui ignore l’anglais, manque chaque soir la moitié du Téléjournal.

[…]

Peu importe comment on essaie d’élucider l’effet Derome, il demeure, vu son caractère général, constant, et la façon dont il modifie la relation transactionnelle émetteur-auditeur, une manifestation indubitable de colonisation culturelle (éd. de 1986, p. 109 et p. 114)

Plus ça change…

 

Références

Belleau, André, «L’effet Derome ou Comment Radio-Canada colonise et aliène son public», Liberté, 129 (22, 3), mai-juin 1980, p. 3-8; repris, sous le titre «L’effet Derome», dans Y a-t-il un intellectuel dans la salle ? Essais, Montréal, Primeur, coll. «L’échiquier», 1984, p. 82-85; repris, sous le titre «L’effet Derome», dans Surprendre les voix. Essais, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 1986, p. 107-114; repris dans Laurent Mailhot (édit.), l’Essai québécois depuis 1845. Étude et anthologie, Montréal, Hurtubise HMH, coll. «Cahiers du Québec. Littérature», 2005, p. 187-193; repris, sous le titre «L’effet Derome», dans Surprendre les voix. Essais, Montréal, Boréal, coll. «Boréal compact», 286, 2016, p. 105-112. https://id.erudit.org/iderudit/29869ac

King, Ronald, «En route vers les octavos de final…», la Presse, 26 juin 2010, cahier Sports, p. 5.

Un accent chanté

Gaële, Diamant de papier, 2010, pochette

Elle est née en France, elle vit au Québec, elle pousse la chansonnette : Gaële.

Sur son album Diamant de papier (Productions de l’onde, 2010), elle chante «L’accent d’icitte», avec Richard Desjardins, en ouverture et en clôture, dans le rôle de l’accent.

Cet accent, elle déplore ne pas le maîtriser : «J’aurai jamais l’accent d’icitte / Pourtant c’est pas faute d’avoir essayé.» En effet : elle parsème ses paroles de «tout p’tit boutte» (trois fois), de «pas pantoute», de «vingt-cinq cennes» et de «pis».

Comme il se doit, les jurons ont leur place :

De la bouche serrée
À la mâchoire slaque
Du putain d’merde
À l’ostie d’tabarnak
Au fil des années
J’ai tissé les trésors
De ma langue bric-à-brac

Linguistiquement, c’est assez prévisible. Musicalement, plus d’entrain aurait été bienvenu. Bref, on ne peut pas tout avoir.

Les mécontents urbains, bis

Le friforâll, publicité syndicale, 2010

L’Oreille tendue le disait le 3 mai : les membres du Syndicat des fonctionnaires municipaux de Montréal ne sont pas contents, d’où une première campagne de publicité (négative) sur le thème «Montréal, fais une ville de toi !».

Rebelote, avec des panneaux-réclames et un encart dans la Presse du 9 juin. «Quesséçâ ?», «çapâdallure» et «brochafoin» y sont toujours, mais ils sont rejoints par «friforâll» — comme dans «20 administrations municipales, c’est le friforâll».

«Friforâll» ? De l’anglais free for all : un laisser-faire extrême, genre, voire le bordel. Pour les syndiqués, ce ne serait pas une bonne chose (c’est le moins qu’on puisse dire).