Accouplements 143

Voltaire à la radio canadienne (2013), couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Alexis Lafrenière joue pour l’Océanic de Rimouski — c’est du hockey. S’il faut en croire son père, interviewé par la Presse+, il est calme : «Alexis est né comme ça. Rien ne le dérange. Pour lui, tout est beau. Tout est cool. Tu sais quoi ? On dirait qu’il n’a pas de sang dans ses veines.»

Voltaire, lui, s’il faut en croire Louis Pelland, dans son émission radiophonique «Voltaire et le Canada» (1964-1965), en aurait eu peu : «Voltaire tolérait difficilement le froid et la seule pensée du Canada gelait le peu de sang qui circulait dans ses veines» (p. 25).

En matière d’hématologie, ce sera tout pour aujourd’hui.

 

Référence

Voltaire à la radio canadienne. Textes de Louis Pelland présentés et annotés par Joël Castonguay-Bélanger et Benoît Melançon, Montréal, Del Busso éditeur, 2013, 87 p. https://doi.org/1866/32305

Accouplements 142

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

 

La septième livraison des Cahiers Victor-Lévy Beaulieu est lancée ce soir; c’est une invitation.

L’Oreille tendue y publie un texte, «Accidents de lecture». Son sujet ? Les textes auxquels elle ne souhaite pas retourner. Son incipit ? «J’espère ne jamais avoir à relire la Condition humaine

Ce qui nous amène, tout naturellement, à Patrick Boucheron.

Un grand livre est un livre qu’on a envie de relire tout le temps ou qu’on a envie de ne jamais relire. J’avais 19 ans quand j’ai ouvert Belle du Seigneur, d’Albert Cohen, pour la première fois et je ne suis pas sorti de chez moi pour pouvoir poursuivre ma lecture. La vie s’était alors absentée autour de moi, le plus important était de parvenir aux dernières pages. J’ai un rapport ébloui et inquiet à Belle du Seigneur car j’ai décidé de ne jamais le relire. Avec ce livre, j’ai envie d’avoir 19 ans à tout jamais. En revanche, je relis tout le temps par fragments Madame Bovary, de Flaubert, car j’ai envie de vieillir avec lui, ou avec elle. Il existe aussi des chefs-d’œuvre qu’on ne peut pas ne pas avoir lus, car même si on ne les a jamais lus, ils ont fait advenir un monde dans lequel on vit : c’est le cas de Don Quichotte, de Cervantès. Le chef-d’œuvre est pour moi soit un livre qu’on ne relira pas, soit un livre qu’on ne cessera jamais de relire, mais dans les deux cas, on les lira toujours pour la première fois.

Puis à Michel Gay.

Et puis pourquoi, alors qu’on remet le nez dans des bouquins dont on a gardé le meilleur souvenir depuis qu’on les a lus il y a 20, 30 ou 40 ans, livres qui figurent au firmament en quelque sorte de nos lectures, de nos découvertes dans l’univers de la littérature, œuvres d’au mieux quelques douzaines d’auteurs dont les seuls noms nous rappellent, parfois vaguement, parfois vivement, comment nous nous sommes forgé quelque chose qui ressemble à notre propre machine à penser, à notre propre pensée, oui, pourquoi les relisant arrive-t-il régulièrement — il y a des exceptions bien évidemment — qu’on ne sache plus réellement ce qu’on y avait trouvé de si convaincant, de si à proprement parler extraordinaire… (p. 142)

La question, donc, est simple : relire ou pas ?

 

[Complément du 4 mars 2021]

«Accidents de lecture» est désormais disponible numériquement ici.

 

Références

Delorme, Marie-Laure, «Patrick Boucheron : “Il est imprudent de ne pas lire”», le Journal du dimanche, 9 août 2018.

Gay, Michel, Ce sera tout. Roman, Montréal, VLB éditeur, 2018, 161 p. Ill.

Melançon, Benoît, «Accidents de lecture», les Cahiers Victor-Lévy Beaulieu, 7, 2019, p. 179-181. https://doi.org/1866/28565

Accouplements 141

Jean-Philippe Toussaint, la Clé USB, 2019, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Lecture du mercredi : Aron, Paul, (Re)faire de l’histoire littéraire. Discipline, objets, indiscipline, Paris, Anibwe, coll. «Liziba», 2016, 133 p.

Dans une section de son livre, le Belge Paul Aron aborde l’«Histoire du climat» (p. 97-110) : «La scène [de Malempin, de Georges Simenon] me paraît exemplaire. Elle fait de la pluie un agent narratif et symbolique tout à la fois. Un autre écrivain belge, contemporain celui-ci [Pierre Mertens], a montré toute la force de ce genre d’allégorisation climatique [dans Une paix royale]» (p. 107).

Lecture du jeudi : Toussaint, Jean-Philippe, la Clé USB. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 2019, 190 p.

Après avoir suivi un épisode de Star Trek à la télévision, le narrateur de la Clé USB, le plus récent roman du Belge Jean-Philippe Toussaint, découvre ceci : «je n’étais pas mécontent de la conclusion à laquelle j’étais arrivé, qui était que, dans tous les éléments qu’on peut introduire dans un film de science-fiction, dans toutes les extravagances technologiques qu’on peut imaginer, les machines, les robots, les engins spatiaux et les déplacements interstellaires, les variations biotechnologiques et transhumaines, dans toute cette quincaillerie futuriste gorgée d’effets spéciaux, ce qui, finalement, était le plus efficace à l’écran, le plus véritablement stupéfiant — et même le plus crédible, et le plus émouvant — le plus merveilleux et le plus féérique, c’était les scènes de pluie» (p. 22).

P.-S.—L’Oreille a présenté ce texte le 16 septembre 2019.

Accouplements 140

Kevin Lambert, Querelle de Roberval, 2018, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Petite, l’Oreille tendue a séjourné en Wallonie. Entre autres choses, elle en a rapporté une phrase fort utile pour elle (à l’époque) : «Wice qui l’brèsseû passe, li boldjî n’passe nin» (Où le brasseur passe, le boulanger ne passe pas).

Le narrateur de Querelle de Roberval (2018), de Kevin Lambert, ne pense pas autrement : «Judith, Bernard et une couple d’autres se sont aussi pris des bières; une 50, c’est aussi nourrissant qu’une tranche de pain» (p. 49).

 

[Complément du 7 janvier 2021]

Variation bruxelloise : «Une bière, ça vaut trois tartines

 

[Complément du 8 décembre 2022]

Les publicitaires l’ont compris depuis longtemps.

Publicité de bière, journal le Nationaliste, 1916

Source : le Nationaliste, 1916.

 

Référence

Lambert, Kevin, Querelle de Roberval. Fiction syndicale, Montréal, Héliotrope, 2018, 277 p.

Accouplements 139

Maria Candea et Laélia Véron, Le français est à nous !, 2019, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Candea, Maria et Laélia Véron, Le français est à nous ! Petit manuel d’émancipation linguistique, Paris, La Découverte, coll. «Cahiers libres», 2019, 238 p.

«Il est illusoire de vouloir protéger la langue à tout prix : ce n’est pas une espèce menacée qu’on peut mettre dans un zoo, à l’écart, pour la regarder de loin ! La langue ne peut pas être déposée quelque part pour y être protégée; ce n’est pas un objet du monde, ce n’est pas un organisme vivant et ce n’est pas un simple outil» (p. 16).

Belleau, André, «Langue et nationalisme», Liberté, 146 (25, 2), avril 1983, p. 2-9; repris, sous le titre «Pour un unilinguisme antinationaliste», dans Y a-t-il un intellectuel dans la salle ? Essais, Montréal, Primeur, coll. «L’échiquier», 1984, p. 88-92; repris, sous le titre «Pour un unilinguisme antinationaliste», dans Surprendre les voix. Essais, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 1986, p. 115-123; repris, sous le titre «Langue et nationalisme», dans Francis Gingras (édit.), Miroir du français. Éléments pour une histoire culturelle de la langue française, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, coll. «Espace littéraire», 2014 (troisième édition), p. 425-429; repris, sous le titre «Pour un unilinguisme antinationaliste», dans Surprendre les voix. Essais, Montréal, Boréal, coll. «Boréal compact», 286, 2016, p. 113-121. https://id.erudit.org/iderudit/30467ac

«J’estime […] qu’il faut renoncer au plus vite à l’idéologie nationaliste de la conservation linguistique, qui consiste à pleurnicher : vous savez, il faut comprendre, dans la situation où nous sommes, en Amérique du nord, le français doit être protégé, aidé, entouré de barrières, etc. […] Je me demande qui sont les débiles profonds qui ont convaincu les hommes politiques québécois depuis quinze ans de tenir pareil langage. Pensez-vous que nos enfants vont accepter bien longtemps cette approche muséologique ?… Notre langue vit-elle dans une réserve comme certaines plantes ou certaines espèces animales menacées d’extinction ? Mieux vaut disparaître que vivre ainsi. Mieux vaut changer de langue et vivre en liberté que survivre dans une sorte de “Parc national linguistique”» (éd. de 1983, p. 8).

 

[Complément du 30 mai 2023]

Les linguistes atterré(e)s, Le français va très bien, merci, Paris, Gallimard, coll. «Tracts», 49, 2023, 60 p.

«Une langue ne peut pas et n’a pas a? être protégée dans un zoo ou dans un musée» (p. 47).