Accouplements 166

Chantal Thomas De sable et de neige, 2021, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Au moment de son ouverture, l’Oreille tendue a beaucoup fréquenté la (nouvelle, à l’époque) Bibliothèque nationale de France. Dans un article de la revue le Débat qu’elle a consacré à cette fréquentation, «Quai François-Mauriac, 25 novembre 1998-29 janvier 1999», elle écrivait ceci :

Le chercheur, tel que se l’imaginent les concepteurs du site Tolbiac de la Bibliothèque nationale de France, est une bien étrange créature. Il ne laisse derrière lui ni brouillons ni notes : aucune corbeille dans les salles de lecture. Il ne doit jamais se défaire de sa montre : on a oublié les pendules. Il ne boit pas d’eau : pas une fontaine dans l’édifice. S’il apprécie la randonnée — on le force à l’apprécier, gigantisme oblige —, c’est à l’intérieur : d’un lieu au suivant, il parcourt des dizaines ou des centaines de mètres, sa carte d’abonné à la main, et l’entrée du jardin lui est interdite. (Il est vrai que l’allure des arbres qu’on y a plantés, soutenus par de complexes réseaux de câbles, n’invite pas à la flânerie.) (p. 152)

[L’architecte] qui est parvenu à aménager des toilettes sans le moindre bouton, sans la plus petite manette, sans même de robinet, a érigé le lisse en esthétique (p. 155).

Son collègue Jean M. Goulemot a participé au même dossier du Débat sur la BnF et, en 2006, il a publié l’Amour des bibliothèques. On trouve dans ce livre une réflexion sur les graffitis madrilènes (p. 109-110) et français (p. 140-142 et p. 272). Que dire de ceux de la nouvelle bibliothèque ?

Au site Mitterrand, les graffitis sont rares. Ni politiques ni sexuels. Mais absents. Certains avancent que les matériaux des toilettes — acier poli, automatisation des commandes d’évacuation, robinetterie que le passage des mains suffit théoriquement à déclencher, carrelages qui évoquent l’hôpital ou la clinique — invitent peu aux graffitis ardents. Pour d’autres, la longue descente des escalators au milieu des draperies métalliques et du béton réveilleraient en chacun le sens du péché et la mémoire de Dante, ce qui écarterait la tentation du graffiti obsessionnel (p. 141).

Lisant le récent ouvrage de Chantal Thomas De sable et de neige (2021), l’Oreille tendue a dû, une fois de plus, revenir sur ses impressions de 1998, dans une perspective à laquelle elle n’avait pas songé alors. L’auteure décrit les graffitis qui recouvrent un bunker au Cap Ferret :

tracés en hautes lettres aussi agressives que fières d’elles, au contraire des honteuses pattes de mouche en noir ou en bleu des nombreux graffitis inscrits dans les toilettes de la bibliothèque Richelieu du temps d’avant la Bibliothèque nationale de France François-Mitterrand, laquelle est impossible à consteller de sournoises obscénités. L’obsession sexuelle s’égare dans la fatigue des longs trajets à pied que le lecteur studieux est sans cesse en train d’y effectuer (p. 27).

Dans le Débat, l’Oreille n’avait pris en compte ni l’impossibilité des graffitis à la Bibliothèque nationale de France, ni l’obsession sexuelle de ses usagers, ni leur sens du péché. Elle offre ses plus plates excuses à ses lecteurs.

 

Références

Goulemot, Jean M., «Fragments du journal d’un lecteur ordinaire», le Débat, 105, mai-août 1999, p. 130. 139. https://doi.org/10.3917/deba.105.0130

Goulemot, Jean M., l’Amour des bibliothèques, Paris, Seuil, 2006, 292 p.

Melançon, Benoît, «Quai François-Mauriac, 25 novembre 1998-29 janvier 1999», le Débat, 105, mai-août 1999, p. 152-156. https://doi.org/1866/28723

Thomas, Chantal, De sable et de neige, Paris, Mercure de France, coll. «Traits et portraits», 2021, 199 p. Avec des photos d’Allen S. Weiss.

Accouplements 165

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Des goûts et des couleurs…

Tremblay-Gaudette, Gabriel, «“Écrire ce qui vient naturellement” : la langue dans l’histoire de la bande dessinée québécoise», dans Aline Francœur (édit.), Adaptation de l’expression française dans les cultures francophones, Québec, Presses de l’Université Laval, coll. «Culture française de l’Amérique», 2016, p. 111-135.

«il tire à boulets rouges sur le journalisme jaune» (p. 117).

Guillaume Ancel, Un Casque bleu chez les Khmers rouges, 2021, couverture

Accouplements 164

David Turgeon, l’Inexistence, 2021, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Gagnon, Katia, «À la recherche du quatre et demie à 900 $», la Presse+, 24 avril 2021.

«Le quatre et demie, rue de Rouen, dans l’est de Montréal, était annoncé à 845 $ par mois. Les photos, sur Kijiji, étaient plus que sommaires. Le jour même — pas le lendemain —, nous sommes donc allés le visiter.
Il est clair, en y entrant, que nous sommes à la limite du taudis. Des cadres de fenêtre sont noircis par les moisissures. Le plafond de la salle de bains est lui aussi constellé de taches noires. La chambre à coucher est séparée du salon par… une porte-patio, dans laquelle on a suspendu un rideau.
[…]
Dans ce contexte de folie locative, certains propriétaires se permettent d’ailleurs d’être très exigeants avec les futurs locataires. Pour cet appartement dans Anjou, rue des Ormeaux, le propriétaire a une très longue liste d’exigences. Les aspirants locataires doivent d’ailleurs présenter formellement leur personne et leur candidature dans une lettre envoyée à son adresse courriel. Ces éventuels locataires doivent notamment s’engager à demeurer rue des Ormeaux à long terme, avoir une source stable de revenus… ainsi qu’un diplôme universitaire.
Dernière exigence : Speak English a plus

Turgeon, David, l’Inexistence. Roman, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 156, 2021, 219 p.

«Il est des gens, commença par dire Carel d’une voix tremblante, qui vivent dans des endroits épouvantables. Il s’arrêta. Il ne pouvait simplement dire que ces gens vivaient dans des taudis. C’était pire. Des cageots sans eau courante où s’entassaient des familles de douze. Des sous-sols sans fenêtre où proliférait la moisissure. Des réduits sentant l’égout où on n’accédait que par des trappes peu sûres. Et ces endroits, précisait Carel, où pas l’un d’entre nous ne tiendrait une semaine, ce ne sont pas ceux qui sont obligés d’y vivre qui m’y ont invité; ce sont ceux qui les possèdent qui me les montraient, et qui me disaient : Voici ce que je leur donne, à ces ingrats, à ces animaux» (p. 29-30).

Accouplements 163

Hubert Aquin, Blocs erratiques, 1977, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Verne, Jules, le Pays des fourrures. Le Canada de Jules Verne — I, Paris, Classiques Garnier, coll. «Bibliothèque du XIXe siècle», 77, 2020, 549 p. Ill. Édition critique par Guillaume Pinson et Maxime Prévost. Édition originale : 1872-1873.

«La pierre, qui manquait au cap Bathurst, — particularité, pour le dire en passant, non moins inexplicable que l’absence de marées, — reparaissait ici sous forme de blocs erratiques, de roches profondément encastrées dans le sol» (p. 198).

Bouchard, Serge, Un café avec Marie, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 2021, 270 p.

«Dans ce décor maintenant figé, devant ce chalet abandonné, nous apercevons les restes de l’été. Le bonheur est derrière, il est ce bloc erratique qui ne se déplace pas et qui tiendra le fort à jamais, sur le bord de ce lac rempli des échos de la joie» (p. 248).

 

[Complément du 13 mai 2021]

Dans un texte paru en recueil en 2005, Serge Bouchard utilisait déjà la même expression pour caractériser… des joueurs de hockey :

L’authentique joueur ne peut plus jouer depuis que les gros ont pris d’assaut les patinoires. Les armoires à glace lancent la rondelle à deux cents kilomètres à l’heure, dans la baie vitrée, à côté du but ou dans la face de leur ami. Ils patinent comme des blocs erratiques mais, qu’à cela ne tienne, ils impressionnent. Ce sont tous des éléphants qui s’énervent dans une arène de cristal. Certains sont rapides, mais ils oublient la rondelle derrière eux, une fois sur deux (p. 130).

Bouchard, Serge, «Claude Provost», dans Les corneilles ne sont pas les épouses des corbeaux, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 2005, p. 129-131.

 

[Complément du 25 décembre 2021]

Il y a aussi des «blocs erratiques» dans le roman Morel de Maxime Raymond Bock (2021, p. 224-225).

Raymond Bock, Maxime, Morel. Roman, Montréal, Le Cheval d’août, 2021, 325 p.

Accouplements 162

Jules Verne, le Pays des fourrures, éd. de 2020, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

C’était dans la Presse+ de dimanche : «Une opération de sauvetage s’est déroulée samedi après-midi, sur la rivière des Prairies, pour venir en aide à trois pêcheurs et un chien demeurés coincés sur une plaque de glace à la dérive.»

Tard, la veille, l’Oreille tendue terminait sa lecture (émerveillée) du roman le Pays des fourrures (1872-1873), de Jules Verne. Passage des dernières pages, quand vingt adultes et un enfant dérivent sur un bloc de glace : «À l’extrémité du glaçon, l’ours formait comme une grosse boule de neige blanche qui ne remuait pas» (éd. de 2020, p. 531).

Chien, ours polaire : à chacun son animal de compagnie.

 

Référence

Verne, Jules, le Pays des fourrures. Le Canada de Jules Verne — I, Paris, Classiques Garnier, coll. «Bibliothèque du XIXe siècle», 77, 2020, 549 p. Ill. Édition critique par Guillaume Pinson et Maxime Prévost. Édition originale : 1872-1873.