Accouplements 164

David Turgeon, l’Inexistence, 2021, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Gagnon, Katia, «À la recherche du quatre et demie à 900 $», la Presse+, 24 avril 2021.

«Le quatre et demie, rue de Rouen, dans l’est de Montréal, était annoncé à 845 $ par mois. Les photos, sur Kijiji, étaient plus que sommaires. Le jour même — pas le lendemain —, nous sommes donc allés le visiter.
Il est clair, en y entrant, que nous sommes à la limite du taudis. Des cadres de fenêtre sont noircis par les moisissures. Le plafond de la salle de bains est lui aussi constellé de taches noires. La chambre à coucher est séparée du salon par… une porte-patio, dans laquelle on a suspendu un rideau.
[…]
Dans ce contexte de folie locative, certains propriétaires se permettent d’ailleurs d’être très exigeants avec les futurs locataires. Pour cet appartement dans Anjou, rue des Ormeaux, le propriétaire a une très longue liste d’exigences. Les aspirants locataires doivent d’ailleurs présenter formellement leur personne et leur candidature dans une lettre envoyée à son adresse courriel. Ces éventuels locataires doivent notamment s’engager à demeurer rue des Ormeaux à long terme, avoir une source stable de revenus… ainsi qu’un diplôme universitaire.
Dernière exigence : Speak English a plus

Turgeon, David, l’Inexistence. Roman, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 156, 2021, 219 p.

«Il est des gens, commença par dire Carel d’une voix tremblante, qui vivent dans des endroits épouvantables. Il s’arrêta. Il ne pouvait simplement dire que ces gens vivaient dans des taudis. C’était pire. Des cageots sans eau courante où s’entassaient des familles de douze. Des sous-sols sans fenêtre où proliférait la moisissure. Des réduits sentant l’égout où on n’accédait que par des trappes peu sûres. Et ces endroits, précisait Carel, où pas l’un d’entre nous ne tiendrait une semaine, ce ne sont pas ceux qui sont obligés d’y vivre qui m’y ont invité; ce sont ceux qui les possèdent qui me les montraient, et qui me disaient : Voici ce que je leur donne, à ces ingrats, à ces animaux» (p. 29-30).

Accouplements 163

Hubert Aquin, Blocs erratiques, 1977, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Verne, Jules, le Pays des fourrures. Le Canada de Jules Verne — I, Paris, Classiques Garnier, coll. «Bibliothèque du XIXe siècle», 77, 2020, 549 p. Ill. Édition critique par Guillaume Pinson et Maxime Prévost. Édition originale : 1872-1873.

«La pierre, qui manquait au cap Bathurst, — particularité, pour le dire en passant, non moins inexplicable que l’absence de marées, — reparaissait ici sous forme de blocs erratiques, de roches profondément encastrées dans le sol» (p. 198).

Bouchard, Serge, Un café avec Marie, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 2021, 270 p.

«Dans ce décor maintenant figé, devant ce chalet abandonné, nous apercevons les restes de l’été. Le bonheur est derrière, il est ce bloc erratique qui ne se déplace pas et qui tiendra le fort à jamais, sur le bord de ce lac rempli des échos de la joie» (p. 248).

 

[Complément du 13 mai 2021]

Dans un texte paru en recueil en 2005, Serge Bouchard utilisait déjà la même expression pour caractériser… des joueurs de hockey :

L’authentique joueur ne peut plus jouer depuis que les gros ont pris d’assaut les patinoires. Les armoires à glace lancent la rondelle à deux cents kilomètres à l’heure, dans la baie vitrée, à côté du but ou dans la face de leur ami. Ils patinent comme des blocs erratiques mais, qu’à cela ne tienne, ils impressionnent. Ce sont tous des éléphants qui s’énervent dans une arène de cristal. Certains sont rapides, mais ils oublient la rondelle derrière eux, une fois sur deux (p. 130).

Bouchard, Serge, «Claude Provost», dans Les corneilles ne sont pas les épouses des corbeaux, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 2005, p. 129-131.

 

[Complément du 25 décembre 2021]

Il y a aussi des «blocs erratiques» dans le roman Morel de Maxime Raymond Bock (2021, p. 224-225).

Raymond Bock, Maxime, Morel. Roman, Montréal, Le Cheval d’août, 2021, 325 p.

Accouplements 162

Jules Verne, le Pays des fourrures, éd. de 2020, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

C’était dans la Presse+ de dimanche : «Une opération de sauvetage s’est déroulée samedi après-midi, sur la rivière des Prairies, pour venir en aide à trois pêcheurs et un chien demeurés coincés sur une plaque de glace à la dérive.»

Tard, la veille, l’Oreille tendue terminait sa lecture (émerveillée) du roman le Pays des fourrures (1872-1873), de Jules Verne. Passage des dernières pages, quand vingt adultes et un enfant dérivent sur un bloc de glace : «À l’extrémité du glaçon, l’ours formait comme une grosse boule de neige blanche qui ne remuait pas» (éd. de 2020, p. 531).

Chien, ours polaire : à chacun son animal de compagnie.

 

Référence

Verne, Jules, le Pays des fourrures. Le Canada de Jules Verne — I, Paris, Classiques Garnier, coll. «Bibliothèque du XIXe siècle», 77, 2020, 549 p. Ill. Édition critique par Guillaume Pinson et Maxime Prévost. Édition originale : 1872-1873.

Accouplements 161

André Brochu et Gilles Marcotte, la Littérature et le reste, 1980, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Brochu, André et Gilles Marcotte, la Littérature et le reste. Livre de lettres, Montréal, Quinze, coll. «Prose exacte», 1980, 185 p.

Au terme de la deuxième lettre, Gilles Marcotte envoie André Brochu «au monticule» : «Je n’ai pas frappé toutes les balles que vous m’avez expédiées durant cette première manche : vos courbes, vos glissantes, vos balles-papillons, vos “spit-balls”. Je me suis contenté, comme disent les experts, de “garder le marbre”. Mais la partie n’est pas finie…» (p. 29) Réponse de Brochu : «J’ai, pour le baseball, un mépris égal à celui de votre Maurice Parenteau. […] Dites-moi, le monticule, est-ce le lieu d’où on lance ou celui où l’on frappe ? Il serait bon que je sache, histoire d’ajuster mes métaphores» (p. 30). Diagnostic final : «Quel jeu compliqué, le baseball !» (p. 39)

Bélanger, David et Michel Biron, Sortir du bocal. Dialogue sur le roman québécois, Montréal, Boréal, coll. «Liberté grande», 2021, 227 p.

Première lettre de Michel Biron, à David Bélanger, le 1er mai 2020 : «Il me semble t’avoir déjà cité l’exemple de l’échange épistolaire entre les critiques Gilles Marcotte et André Brochu, paru en livre sous le titre La Littérature et le Reste. C’était une autre époque, bien sûr : le courrier électronique n’existait pas, les Canadiens gagnaient Coupe Stanley après Coupe Stanley, les Expos de Montréal n’étaient pas très bons, mais ils étaient beaux à voir» (p. 9-10).

P.-S.—Les Expos, c’était l’équipe de baseball de Montréal. Ce ne l’est plus.

Accouplements 160

Bénabar, Reprise des négociations, 2005, pochette

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Bénabar, «Le fou rire», Reprise des négociations, 2005.

un fou rire à un enterrement
je m’en veux je m’en veux vraiment
c’était nerveux sûrement
en tout cas c’était pas l’moment
je suis peut-être cruel
complètement insensible
au moins je n’étais pas le seul
à rire le plus doucement possible

comme une traînée de poudre
le rire a enflammé le cortège
tombé sur nous comme la foudre
le plus beau de tous les sacrilèges
dos voûtés têtes baissées
j’ai honte à le dire
on poussait des p’tits cris étouffés
on était morts de rire

Brea, Antoine, l’Instruction. Roman, Montréal, Le Quartanier, série «QR», 154, 2021, 310 p.

[Le narrateur assiste à l’enterrement de son père.] J’ai ri d’un rire violent, irrépressible, nerveux sans doute, fiévreux serait peut-être plus juste même si je ne crois pas avoir présenté de fièvre, un fou rire absolument aberrant, très choquant vu les circonstances, et en même temps libératoire, une vague de fond en tout cas impossible à arrêter, j’avais beau écraser ma main contre la bouche, me forcer à penser à cette société de gens corrects là tout autour et à ce qu’ils se disaient, à la honte qui viendrait plus tard, au procès sans merci qu’évidemment ils me feraient depuis leur cuisine ou leur salle à manger, le rire repartait de plus belle, je me pliais en deux (p. 301).