Accouplements 21

Nicolas Dickner, Six degrés de liberté, 2015, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux textes d’horizons éloignés.)

Souvenons-nous d’Un an (1997), le roman de Jean Echenoz : «flottait une puissante odeur de chien bien qu’il n’y eût pas de chien» (p. 64); «Régnaient de suffocantes odeurs d’essence et de chien, mais cette fois avec un chien» (p. 66); «flottait une odeur de grésil et de cendre mais pas de chien bien qu’il y en eût un» (p. 68).

Ouvrons maintenant Six degrés de liberté (2015) de Nicolas Dickner : le sergent M. F. Gamache «passe à la division C une fois par semaine, avec une douzaine de bagels au sésame et des renseignements de première main sur les enquêtes en cours» (p. 38); «le sergent Gamache se pointe brièvement (avec bagels, mais sans information)» (p. 158); «le sergent ne transporte pas ses habituels bagels» (p. 325).

Apprécions.

P.-S.—L’Oreille tendue a présenté Six degrés de liberté le 6 avril 2015.

 

Références

Dickner, Nicolas, Six degrés de liberté, Québec, Alto, 2015, 380 p.

Echenoz, Jean, Un an. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 1997, 110 p.

Accouplements 20

Chloé Savoie-Bernard, Royaume scotch tape, 2015, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux textes d’horizons éloignés.)

En 2009, Anne-Marie Olivier présente à Québec un solo théâtral, Annette. Une fin du monde en une nanoseconde. Il y est question de tricot et d’aiguilles à tricoter : avec de la laine, sur une patinoire de hockey, dans les mains des avorteurs.

En 2015, Chloé Savoie-Bernard publie à Montréal un recueil de poésie, Royaume scotch tape. On y lit ces deux vers :

des aiguilles à tricoter qui rentrent dedans
comme dans une open house (p. 68)

Le poème «camping de pauvre» (p. 27-29) s’ouvre sur le vers «je ne suis pas tricotée serrée» (p. 27) et il est scandé par le mot «maille».

Puis, dans «boogie nights au protoxide d’azote», on lit :

ta chair en lambeaux
j’en ai fait
un tricot (p. 42)

Voilà deux très fortes mises en discours de la violence faite aux femmes.

 

Références

Olivier, Anne-Marie, Annette. Une fin du monde en une nanoseconde, Montréal, Dramaturges éditeurs, 2012, 53 p.

Savoie-Bernard, Chloé, Royaume scotch tape, Montréal, L’Hexagone, 2015, 74 p.

Accouplements 19

Arnaldur Indridason, les Nuits de Reykjavik, 2015, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux textes d’horizons éloignés.)

L’Oreille tendue a lu plusieurs romans de l’Islandais Arnaldur Indridason. Elle a souvent été frappée du souci de correction linguistique du personnage principal de ces romans, le policier Erlendur. Celui-ci corrige à l’occasion la langue de ses interlocuteurs (voir, ici même, les entrées du 25 juin et du 8 octobre 2009).

Il en va de même dans les Nuits de Reykjavik, qui vient de paraître en français :

— Ah, et vous en faites quoi ?
— Rien, répondit le gamin, prêt à repartir. On les balance dans les mares. C’est pas des trucs dont j’ai envie de garder.
Que j’ai envie de garder serait plus correct.
— Ok (p. 25).

Le personnage (fictif) d’Erlendur aurait été probablement fort marri d’une faute de langue du traducteur (réel) du roman de son concepteur :

Erlendur s’apprêtait à débuter une nouvelle nuit de travail quand, tard dans la soirée, il aperçut Thuri à Hlemmur (p. 184).

Commencer une nouvelle nuit serait plus correct, aurait-il pu lui dire, en lui rappelant que débuter est un verbe intransitif et qu’il ne peut donc pas avoir de complément d’objet direct.

Malheureusement, les personnages et les traducteurs se rencontrent peu fréquemment.

 

Référence

Indridason, Arnaldur, les Nuits de Reykjavik, Paris, Métailié, coll. «Métailié noir. Bibliothèque nordique», 2015, 259 p. Traduction d’Éric Boury. Édition originale : 2012.

Accouplements 17

Éric Chevillard, le Désordre azerty, 2014, couverture(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux textes d’horizons éloignés.)

Le 15 octobre 1759, Diderot écrit à Sophie Volland :

On parla ensuite d’un monsieur de St. Germain qui a cent cinquante à cent soixante ans, et qui se rajeunit quand il se trouve vieux. On disait que si cet homme avait le secret de rajeunir d’une heure, en doublant la dose, il pourrait rajeunir d’un an, de dix, et retourner ainsi dans le ventre de sa mère (éd. Chouillet 1986, p. 170).

En 2014, Éric Chevillard, dans le Désordre azerty :

Le quinquagénaire d’aujourd’hui avait trente ans au XIXe siècle. Le trentenaire de l’époque avait lui-même dix-huit ans et le garçonnet de dix ans n’était pas né encore (p. 79).

La littérature : machine à remonter le temps.

 

[Complément du 30 novembre 2016]

On peut retourner dans le ventre de sa mère ou ne pas naître. On peut aussi sortir du temps, comme dans «Jouvence», court texte que publie Nicolas Guay en 2015.

Cette crème rajeunissante promettait «dix ans de moins en dix minutes». La petite Jessica, cinq ans, trouva le pot dans la pharmacie et reconnut la pommade que sa maman utilisait tous les matins. Vous savez comment sont les enfants, ils aiment bien imiter leurs parents. Ainsi, Jessica se badigeonna généreusement le visage du produit. Moins de dix minutes plus tard, la petite disparaissait. On eut beau la chercher partout, on ne trouva que ses vêtements et le pot vide de crème rajeunissante.

Encore une fois, c’est mathématique.

 

P.-S.—L’Oreille tendue a présenté le Désordre azerty le 28 mars 2015.

 

Références

Chevillard, Éric, le Désordre azerty, Paris, Éditions de Minuit, 2014, 201 p.

Chouillet, Jacques, Denis Diderot-Sophie Volland. Un dialogue à une voix, Paris, Librairie Honoré Champion, coll. «Unichamp», 14, 1986, 173 p.

Guay, Nicolas, Comme un léger malentendu, Chez l’auteur, 2015. Édition numérique.