Accouplements 142

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

 

La septième livraison des Cahiers Victor-Lévy Beaulieu est lancée ce soir; c’est une invitation.

L’Oreille tendue y publie un texte, «Accidents de lecture». Son sujet ? Les textes auxquels elle ne souhaite pas retourner. Son incipit ? «J’espère ne jamais avoir à relire la Condition humaine

Ce qui nous amène, tout naturellement, à Patrick Boucheron.

Un grand livre est un livre qu’on a envie de relire tout le temps ou qu’on a envie de ne jamais relire. J’avais 19 ans quand j’ai ouvert Belle du Seigneur, d’Albert Cohen, pour la première fois et je ne suis pas sorti de chez moi pour pouvoir poursuivre ma lecture. La vie s’était alors absentée autour de moi, le plus important était de parvenir aux dernières pages. J’ai un rapport ébloui et inquiet à Belle du Seigneur car j’ai décidé de ne jamais le relire. Avec ce livre, j’ai envie d’avoir 19 ans à tout jamais. En revanche, je relis tout le temps par fragments Madame Bovary, de Flaubert, car j’ai envie de vieillir avec lui, ou avec elle. Il existe aussi des chefs-d’œuvre qu’on ne peut pas ne pas avoir lus, car même si on ne les a jamais lus, ils ont fait advenir un monde dans lequel on vit : c’est le cas de Don Quichotte, de Cervantès. Le chef-d’œuvre est pour moi soit un livre qu’on ne relira pas, soit un livre qu’on ne cessera jamais de relire, mais dans les deux cas, on les lira toujours pour la première fois.

Puis à Michel Gay.

Et puis pourquoi, alors qu’on remet le nez dans des bouquins dont on a gardé le meilleur souvenir depuis qu’on les a lus il y a 20, 30 ou 40 ans, livres qui figurent au firmament en quelque sorte de nos lectures, de nos découvertes dans l’univers de la littérature, œuvres d’au mieux quelques douzaines d’auteurs dont les seuls noms nous rappellent, parfois vaguement, parfois vivement, comment nous nous sommes forgé quelque chose qui ressemble à notre propre machine à penser, à notre propre pensée, oui, pourquoi les relisant arrive-t-il régulièrement — il y a des exceptions bien évidemment — qu’on ne sache plus réellement ce qu’on y avait trouvé de si convaincant, de si à proprement parler extraordinaire… (p. 142)

La question, donc, est simple : relire ou pas ?

 

[Complément du 4 mars 2021]

«Accidents de lecture» est désormais disponible numériquement ici.

 

Références

Delorme, Marie-Laure, «Patrick Boucheron : “Il est imprudent de ne pas lire”», le Journal du dimanche, 9 août 2018.

Gay, Michel, Ce sera tout. Roman, Montréal, VLB éditeur, 2018, 161 p. Ill.

Melançon, Benoît, «Accidents de lecture», les Cahiers Victor-Lévy Beaulieu, 7, 2019, p. 179-181. https://doi.org/1866/28565

Autopromotion 458

Petite annonce, hebdomadaire montréalais Voir, années 1990

En février 2017, à l’Université de Californie à Santa Barbara, avait lieu le colloque «Rousseau’s Relevance : Politics, Ethics and (Self-)Care». Dans le prolongement de ce colloque, la revue numérique Sens public publie aujourd’hui le dossier «Rousseau 2019».

Ce dossier, coordonné par Flora Amann, Renan Larue et l’Oreille tendue, a été mené à terme grâce à la collaboration de l’équipe de Sens public : Karine Bissonnette, Beth Kearney, Eugénie Matthey-Jonais, Margot Mellet, Servanne Monjour, Nicolas Sauret, Marcello Vitali-Rosati. Grand merci à tous.

Table des matières

«Introduction»
Flora Amann, Renan Larue et Benoît Melançon

«L’histoire des sourds et la notion de perfectibilité : Rousseau et Pereire»
Flora Amann (Université de Montréal / Université de Paris IV-Sorbonne)

«Julie, le couple, la communauté»
Michel Delon (Université de Paris IV-Sorbonne)

«La philosophie politique au risque du romanesque : fictions politiques et politique fiction chez Rousseau»
Colas Duflo (Université Paris X-Nanterre) et Ariane Revel (Université Paris-Est Créteil)

«Le modèle théâtral civique de Rousseau dans la réflexion sur le théâtre populaire au milieu du XXe siècle»
Pierre Frantz (Université de Paris IV-Sorbonne)

«“Tirer l’homme de la classe des animaux carnassiers”. Rousseau et les preuves scientifiques de notre nature végétarienne»
Renan Larue (University of California, Santa Barbara)

«To Preserve or To Perfect ? Rousseau’s Take on Hygiene»
Rudy Le Menthéour (Bryn Mawr College)

«Jean-Jacques Rousseau au Québec en 2019»
Benoît Melançon (Université de Montréal)

«Fate and Consolation in the Late Rousseau»
Masano Yamashita (University of Colorado)

Comptes rendus

Pascale Pellerin (Université de Tours), sur Nakae Chomin, Écrits sur Rousseau et les droits du peuple, Paris, Les Belles Lettres, coll. «Bibliothèque chinoise», 28, 2018, clxxxviii/290 p. Traduction d’Eddy Dufourmont et Jacques Joly. Introduction et notes d’Eddy Dufourmont.

Érik Stout (Université de Montréal), sur Rousseau and Dignity. Art Serving Humanity, sous la direction de Julia V. Douthwaite, Notre Dame, University of Notre Dame Press, 2017, 290 p. Ill.

Christophe Premat (Université de Stockholm), sur Rousseau, les Lumières et le monde arabo-musulman. Du XVIIIe siècle aux printemps arabes, sous la direction de Pascale Pellerin, Paris, Classiques Garnier, coll. «Rencontres», 164, série «Le dix-huitième siècle», 18, 2017, 299 p.

Jean-Vincent Holeindre (Université Paris II Panthéon Assas), sur Rousseau, la République, la paix. Actes du colloque du GIPRI (Grand-Saconnex, 2012), sous la direction de Gabriel Galice et de Christophe Miqueu, Paris, Honoré Champion éditeur, coll. «Les dix-huitièmes siècles», 199, 2017, 308 p.

 

Illustration : petite annonce, hebdomadaire montréalais Voir, années 1990