Recyclage publicitaire

Le recyclage, au Québec, est affaire de bac vert. C’est là où les bons citoyens doivent déposer les matières destinées à la récupération. (Le Notulographe a déjà eu un mot à dire sur ce tri sélectif.)

Le diplôme de premier cycle des universités québécoises est le baccalauréat, apocopé en bac. Parmi lesdites universités, celle de Montréal — celle de l’Oreille tendue —, offre dorénavant des programmes en «développement durable», donc «verts».

Slogan ? «Bacs verts» (le Devoir, 19-20 novembre 2011, p. I4).

Bravo.

P.-S. — Dans le même ordre d’idées, mais pour une discipline bien différente, cette couverture de la revue Études françaises (vol. 42, no 1, 2006), pour son numéro «De l’usage des vieux romans».

Études françaises, 2006, couverture

[Complément du 25 novembre 2011]

L’Oreille québecquoise attire l’attention de l’Oreille tendue sur une chanson récente de Richard Desjardins sur son album l’Existoire (2011), «Développement durable». On y entend ceci : «En fait moé j’ai deux bacs / Un bac vert un bac bleu.» (En effet, certains bacs de recyclage québécois — des bacs verts, donc — sont bleus.)

Montée de lait du début de semaine

Charentaises et pyjama, l’Oreille tendue sort sur son balcon, en un doux samedi de novembre, en quête de son Devoir. Elle jette un coup d’œil aux grands titres, et elle a une montée de lait.

(Que les lecteurs non autochtones soient informés : la montée de lait québécoise désigne un état subit d’indignation. Qui a une montée de lait est offusqué, d’un coup, et le fait savoir, haut et fort.)

Pourquoi cette réaction de l’Oreille (un brin excessive, elle n’en disconvient pas) ? Parce qu’elle vient de lire le titre suivant, en haut de la première page : «Fred Pellerin, le dernier des Québécois ?» Que lui reproche-t-elle ? Ce qu’il laisse entendre implicitement du Québec.

D’une part, elle lui reproche de cultiver ce vieux discours canadien, puis canadien-français, avant d’être québécois, celui de la menace d’extinction des habitants du Québec, pauvre petit peuple / État / nation / province menacé(e) par les autres. Des curés du XIXe siècle au documentaire Disparaître de Lise Payette (1989) en passant par l’analyse répétée (et contradictoire) des données démolinguistiques montréalaises, la rengaine est toujours la même : on veut nous rayer de la carte. Si Fred Pellerin risque d’être le dernier des Québécois, c’est bien que les autres seraient en voie de disparition, non ?

D’autre part, de renvoyer à une définition essentialiste du «Québécois». Pourquoi «le Québécois» serait-il un conteur folklorique né à l’extérieur de Montréal ? Si on veut que le dernier spécimen autochtone de l’espèce en voie d’extinction vienne des «régions», pourquoi ne s’agirait-il pas plutôt d’une jeune fille née en Thaïlande et élevée dans le Bas-du-Fleuve, passionnée par Twilight ? On pourrait même imaginer ce spécimen — pourquoi pas ? — sous les traits d’un quinquagénaire montréalais (presque) chauve et non nationaliste, plus porté, en matière de culture, sur la Malaisie que sur Saint-Élie-de-Caxton. Certains Québécois seraient-ils plus «authentiques» que d’autres ?

L’Oreille n’a pas lu l’article coiffé de ce titre. À chaque jour suffit sa montée de lait.

A beau essayer qui vient de loin

Géraldine Wœssner, Ils sont fous, ces Québécois !, 2010, couverture

Ce n’est peut-être pas possible : débarquer dans un pays, le décrire dans un livre et être apprécié des autochtones.

La journaliste française Géraldine Wœssner, après tant d’autres, s’y est essayée. En 2010, elle publiait Ils sont fous, ces Québécois ! Chroniques insolites et insolentes d’un Québec méconnu, une série de vignettes sur sa découverte du «pays du caribou» (p. 144).

Il est bien sûr question du «français savoureux parlé au Canada» (p. 261), de la neige, des relations entre les hommes et les femmes et de la poutine (mais pas trop).

Certaines sections ont une unité claire («Accommodons-nous les uns les autres», «Maudits Français»). Pour d’autres («Des tuques et des hommes»), on ne voit pas.

Parmi les thématiques fortes, «Culturez-moi» porte, comme son titre l’indique, sur la culture québécoise — et étonne. L’auteure y chante les louanges de Bobby Bazini («Une star est née» [p. 213]…) et de Lynda Lemay (elle aurait «préparé le terrain» [p. 225] à Benabar et à Vincent Delerm…). Elle évoque le cirque, les festivals, l’humour, le folklore (Fred Pellerin) et la cuisine. La littérature ? Le cinéma ? Le théâtre ? La télévision ? Pas un mot.

Ces absences tiennent probablement moins à une volonté délibérée qu’à la façon de choisir les objets à commenter. À lire Géraldine Wœssner, on a l’impression qu’elle a simplement réagi à ce qui était dans l’air du temps au moment où elle écrivait — elle parle elle-même de «récits bruts» (p. 15) —, sans tenter de décrire l’ensemble de la société québécoise. C’est une façon de faire qui se défend, mais qui a pour conséquence de laisser des questions dans l’ombre.

Ce qui se défend moins, en revanche, ce sont les fréquentes exagérations du livre. L’affaire des compteurs d’eau est «le plus grand scandale qui ait jamais frappé Montréal» (p. 104). Les hommes sont peu présents dans l’enseignement, car ils sont «refroidis par les faibles salaires et la multiplication des accusations de violence ou de harcèlement sexuel» (p. 127). Les Québécois passent des nuits entières dans les salles d’urgence des hôpitaux, «dans une ambiance de camps de réfugiés» (p. 199). «Dans la province, personne n’ose prononcer» le nom de Guy Laliberté «sans baisser la voix» (p. 210). «La complainte des Lebel» de Nelson P. Arsenault est «une chanson célèbre» (p. 239 n. 1).

Ne se défendent pas plus les approximations ou erreurs factuelles. Peut-on, sans rire, affirmer que «Hamburger est banni au profit de hambourgeois» (p. 14) ? En matière politique (p. 21) et législative (p. 22), Géraldine Wœssner, qui se définit comme journaliste politique (p. 278), aurait pu mieux faire ses devoirs. Page 57, il est question de Jean-Joseph Bombardier; p. 286, le même inventeur de la motoneige retrouve son prénom de Joseph-Armand. Les amateurs de hockey le savent : on ne dit pas «Hab’s» (p. 64 et 67), mais «Habs». La Montérégie n’est pas un «district» (p. 251).

Certaines affirmations, enfin, sont à la fois des erreurs factuelles et des exagérations. S’il est vrai que certains Québécois ont des relations conflictuelles avec les anglophones, il est faux d’écrire que «les Québécois détestent les anglophones qui les ont oppressés» (p. 14).

Sur le plan de la langue, on pouvait s’attendre au pire, s’agissant d’un livre dont le premier mot de la quatrième de couverture est «Tabernacle» (voir aussi p. 150-152). Pourtant, les choses sont à peu près correctes, à l’exception d’un «Marde de blanche !» (p. 41), où le de est de trop, et d’une mauvaise date d’adoption pour la Charte de la langue française (p. 287). Wœssner pense qu’au Québec «une langue nouvelle est née» (p. 150), le «québécois» (p. 261). Ce n’est pas vrai, mais elle est loin d’être la seule à le croire. On a vu pire.

La loi de la probabilité littéraire fait que certaines remarques ou réflexions font mouche : sur la longueur de la rue Sherbrooke à Montréal (p. 78), sur le casse-tête de la collecte des ordures sur l’île (p. 99), sur Kahnawake, cet «Iroquois Land» (p. 181), sur le bingo à la radio aux Îles-de-la-Madeleine (p. 235).

L’effort est louable, mais le projet global est probablement voué à l’échec, quoi qu’on fasse.

 

Référence

Wœssner, Géraldine, Ils sont fous, ces Québécois ! Chroniques insolites et insolentes d’un Québec méconnu, Paris, Éditions du moment, 2010, 295 p.

S’en garder une, mais petite

Soit les tweets suivants. Le premier est de l’excellent @cynocephale : «Les femelles macaques se gardent une petite gêne lorsque leurs enfants les regardent s’ébattre.» L’autre est du non moins excellent @Ant_Robitaille : «Charest lance que opposition à croissance est position d’A. Khadir “des souverainistes”. Marois rétorque : “garde-toi une petite gêne !”».

En temps normal, l’Oreille tendue n’aurait pas accordé une attention excessive à leur contenu, la sexualité des macaques, même en famille, et les débats à l’Assemblée nationale du Québec n’occupant pas une grande place dans ses pensées.

C’est l’expression se garder une petite gêne qui a mis la puce à l’oreille de l’Oreille. Pour elle, jusqu’à tout récemment, cette expression allait de soi. Or deux lecteurs de ce blogue — appelons-les l’Oreille québecquoise et l’Acéricultrice — lui ont écrit pour lui soumettre leurs réflexions sur cette petite gêne, voire leur gêne devant icelle.

Que signifie-t-elle ? Faire preuve de retenue, ou de pudeur, notamment en public. Deux exemples tirés de la Presse, le premier portant sur le hockey, le second sur le rugby : «il serait si facile de parler de jeu d’impuissance, mais on va se garder une petite gêne pour l’instant» (19 octobre 2011, cahier Sports, p. 1); «Pour demain, il nous reste à espérer que les All Blacks vont se garder une petite gêne et ne nous infligeront pas un 68-3, comme ils le font parfois» (30 septembre 2011, cahier Sports, p. 7). Exemple proposé par l’Oreille québecquoise : «À propos de ses enfants, Céline se garde une petite gêne.»

Comment se prononce-t-elle ? L’Acéricultrice suggère une p’tite gêne. Il faut la suivre.

Pourquoi pas simplement se garder une gêne ? Car les Québécois aiment gros l’adjectif petit. Ils n’hésitent jamais, par exemple, à prendre un petit café et un petit dessert dans un petit restaurant avec leur petite famille avant de faire un petit bout de chemin.

D’où vient l’expression ? Mystère.

Est-elle récente ? Encore là, mystère, mais aucun des lexiques ou dictionnaires que l’Oreille a sous la main ne la connaît.

 

[Complément du 24 novembre 2011]

Monique Cormier consacre sa chronique du jour à l’émission Médium large de la radio de Radio-Canada à cette expression et à son origine (voir les commentaires ci-dessous). On peut l’entendre ici.

 

[Complément du 26 novembre 2011]

Entendu à France Culture le 21 novembre dans «La chronique de Jean-Louis Ézine» : «une petite gêne subsiste».

 

[Complément du 7 juin 2015]

Peut-on évaluer la popularité de l’expression au Québec ? Des publicitaires l’utilisent. C’est un signe qui ne saurait mentir.

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Restons religieux

«J’men câlice», t-shirt, Montréal, octobre 2016

L’Oreille tendue, au cours des dernières semaines, a consacré quelques textes au sacre québécois d’inspiration religieuse et à ses richesses, d’hostie à crisse, en passant par tabarnak, son favori.

À cet herbier lexical, il manquait calice et ses variantes.

Ce mot pose la même question que ciboire, celle de sa prononciation.

Il y a ceux qui défendent calisse.

«Calice d’hostie de tabernacle !», «Calice de ciboire d’hostie !» et «Christ de calice de tabernacle !» (Roch Carrier, la Guerre, yes sir !, p. 18, p. 77 et p. 108).

«Nom de Dieu ! ils feraient mieux de chier dans leur potage ! Maudit calice ! On va leur vomir dans la gueule, leur clouer le bec et les faire dégueuler par les trous de nez, ces enculés !» (John Farrow, la Dague de Cartier, p. 252).

«Criss de tabarnak d’hostie de calice de ciboire d’étole de viarge, oussé kié le sacramant de calice de morceau de casse-tête du tabarnak !» (François Blais, Vie d’Anne-Sophie Bonenfant, p. 124).

«Han ? Tu m’prends-tu pour un cave, des fois ? Qu’ess’ tu veux ? Jus’ m’donner ton cash pis ta mont’, ou ben tu veux-tu qu’on t’en calisse une en plus ?» (le Tueur, p. 40).

Il y a ceux qui préfèrent un a postérieur, pour faire câlisse, voire colisse.

«le règne d’Alice-ma-câlisse était bel et bien terminé» (Sophie Létourneau, Polaroïds, p. 33).

«Aujourd’hui Maurice s’en câlisse» (Arseniq33, «Boîte à malle»).

«Dans l’intervalle, y a douze crisses de Tamouls qui ont hijacké des avions pour les câlicer un peu partout sur la gueule de l’oncle Sam» (Samuel Archibald, Arvida, p. 84).

«C’est mon ostie d’job d’être la tabarnaque de chef-cook, câlisse» (Simon Boudreault, Sauce brune, p. 81).

L’Oreille tendue, qui est de cette seconde école, irait même jusqu’à proposer la graphie cââlisse, mais c’est affaire de goût personnel.

Au-delà de ce débat ouvert, on notera que le mot est une interjection (Câlisse !) et un nom (Viens ici, mon câlisse). Il apparaît dans plusieurs expressions superlatives : Il vente en câlisse, C’est un câlisse de malade, Câlisse que c’est beau, Un bruit du câlisse (Léandre Bergeron, Dictionnaire de la langue québécoise, p. 108). Il se transforme aisément en verbe : Je vais lui câlisser une volée, Il s’est fait câlisser dehors.

L’adverbe câlissement est attesté, par exemple chez Ephrem Desjardins (Petit lexique, p. 62).

On entend aussi décâlisser. Le verbe est synonyme de partir, en version moins polie : «Ouais, chus sûre, décâlisse, vieux puant» (Sophie Bienvenu, Et au pire, on se mariera, p. 28). Il a alors le même sens que câlisser son camp. Son participe évoque la décrépitude, physique aussi bien que morale (Il est pas mal décâlissé). On peut l’utiliser pour des personnes comme pour des choses (Mon aide maritale est décâlissée).

Il ne faut jamais perdre de vue cet axiome, que l’Oreille tendue emprunte (c’est le cas de le dire) à Chantal Bouchard : en matière de langue, on n’emprunte qu’aux riches.

 

[Complément du 12 juillet 2012]

Le blogue OffQc | Quebec French Guide, dans son entrée du 11 juillet, «M’as te câlisser mon poing su’a yeule! (#493)», renvoie à une vidéo tout à fait instructive.

 

[Complément du 20 février 2014]

Tout, en effet, est affaire de circonflexe. Martin Robitaille, dans les Déliaisons (2008), l’a bien vu : «Gregory nous a regardés : “C’est plate en calice, ici.” Il prononçait “câlisse” avec son accent parisien, sans circonflexion du “a”» (p. 112).

 

[Complément du 9 mars 2021]

Depuis quelques années, les automobilistes québécois peuvent obtenir une plaque d’immatriculation personnalisée. Certains en profitent.

[Complément du 8 février 2025]

Deux graphies dans le même texte du Devoir des 1er et 2 février 2025 : «Décolisser de Spotify» (en titre); «je m’en câlissse sérieusement» (dans le texte). Ça fait désordre.

 

Références

Archibald, Samuel, Arvida. Histoires, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 04, 2011, 314 p.

Arseniq33, «Boîte à malle», Courtepointes, 2005, étiquette Indica Records.

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

Bienvenu, Sophie, Et au pire, on se mariera. Récit, Montréal, La mèche, 2011, 151 p.

Blais, François, Vie d’Anne-Sophie Bonenfant. Roman, Québec, L’instant même, 2009, 241 p.

Bouchard, Chantal, On n’emprunte qu’aux riches. La valeur sociolinguistique et symbolique des emprunts, Montréal, Fides, coll. «Les grandes conférences», 1999, 40 p.

Boudreault, Simon, Sauce brune, Montréal, Dramaturges éditeurs, 2010, 137 p.

Carrier, Roch, la Guerre, yes sir ! Roman, Montréal, Éditions du Jour, coll. «Les romanciers du jour», R-28, 1970, 124 p. Rééditions : Montréal, Stanké, coll. «10/10», 33, 1981, 137 p.; Montréal, Stanké, 1996, 141 p.; dans Presque tout Roch Carrier, Montréal, Stanké, 1996, 431 p.; Montréal, Éditions internationales Alain Stanké, coll. «10/10», 2008, 112 p. Édition originale : 1968.

Desjardins, Ephrem, Petit lexique de mots québécois à l’usage des Français (et autres francophones d’Europe) en vacances au Québec, Montréal, Éditions Vox Populi internationales, 2002, 155 p.

Farrow, John, la Dague de Cartier, Paris, Grasset, coll. «Grand format», 2009, 619 p. Pseudonyme de Trevor Ferguson. Traduction de Jean Rosenthal. L’original anglais a paru deux ans après sa traduction : River City. A Novel, Toronto, HarperCollins, 2011, 845 p.

Létourneau, Sophie, Polaroïds. Récits, Montréal, Québec Amérique, coll. «Littérature d’Amérique», 2006, 166 p.

Robitaille, Martin, les Déliaisons. Roman, Montréal, Québec Amérique, coll. «Littérature d’Amérique», 2008, 240 p.

Le Tueur. Volume 8. L’ordre naturel des choses, Casterman, coll. «Ligne rouge», 2010, 56 p. Dessins de Luc Jacamon. Scénario de Matz.