Un accent chanté

Gaële, Diamant de papier, 2010, pochette

Elle est née en France, elle vit au Québec, elle pousse la chansonnette : Gaële.

Sur son album Diamant de papier (Productions de l’onde, 2010), elle chante «L’accent d’icitte», avec Richard Desjardins, en ouverture et en clôture, dans le rôle de l’accent.

Cet accent, elle déplore ne pas le maîtriser : «J’aurai jamais l’accent d’icitte / Pourtant c’est pas faute d’avoir essayé.» En effet : elle parsème ses paroles de «tout p’tit boutte» (trois fois), de «pas pantoute», de «vingt-cinq cennes» et de «pis».

Comme il se doit, les jurons ont leur place :

De la bouche serrée
À la mâchoire slaque
Du putain d’merde
À l’ostie d’tabarnak
Au fil des années
J’ai tissé les trésors
De ma langue bric-à-brac

Linguistiquement, c’est assez prévisible. Musicalement, plus d’entrain aurait été bienvenu. Bref, on ne peut pas tout avoir.

Oreille d’Ancien Régime

Bénabar, Reprise des négociations, 2005, pochette

 

Chanter les Lumières aujourd’hui ? Ça se fait.

Elle n’m’a pas gâché l’existence
Mais a tu celle de Rousseau,
De Proust,
De Mort à crédit,

psalmodie Arnaud-Fleurent Didier. (Le personnage de la chanson parle de sa mère.)

Chez Bénabar, Voltaire remplace Rousseau :

Ce vieil homme fatigué d’Algérie
Qui regrette son Maghreb jour et nuit
Tout juste toléré aujourd’hui
Faut dire qu’ça fait qu’trente ans qu’il est ici
Qu’il ne s’ra jamais propriétaire
Qu’il occupe une chambre de bonne
Au pays de Voltaire
Au pays des Lumières
Et des droits d’l’homme.

Par-delà la Révolution, Tomás Jensen réconcilie les uns et les autres :

Qui c’est qui vient souper à soir ?
Qui c’est qui vient souper à soir ?
C’est le vent de l’ouest
C’est le vent de l’ouest
C’est l’Occident civilisé
Technologie et liberté
C’est le vent de l’ouest
C’est le vent de l’ouest
C’est quatorze cent quatre-vingt douze
C’est dix-sept cent quatre-vingt neuf
C’est mille neuf cent quatre-vingt-quatre
C’est mai soixante-huit, est-ce qu’on trinque ?
C’est le vent de l’ouest
C’est Hollywood, Rousseau, Voltaire
C’est le vent de l’ouest
Mère Teresa et Rockefeller
C’est le vent de l’ouest
Je ne le suivrai pas.

(Voltaire / Rockefeller est une rime plus riche que Voltaire / Lumières.)

Chanter le XVIIIe siècle aujourd’hui ? Pourquoi pas.

 

[Complément du 10 juin 2020]

L’Oreille a repris ce texte, sous le titre «Chanter les Lumières», dans le livre qu’elle a fait paraître au début de 2020, Nos Lumières.

 

[Complément du 11 mars 2024]

Premier vers de «Je vais t’aimer», de Michel Sardou (1976) : «À faire pâlir tous les marquis de Sade.» L’Oreille ne s’y attendait pas.

 

Références

Bénabar, «Qu’est-ce que tu voulais que je lui dise ?», Reprise des négociations, Jive, 2005.

Didier, Arnaud-Fleurent, «France culture», la Reproduction, Sony / BMG, 2009.

Jensen, Tomás & Les faux-monnayeurs, «Le vent du nord» (2000), Pris sur le vif, GSI Musique, 2006.

Melançon, Benoît, Nos Lumières. Les classiques au jour le jour, Montréal, Del Busso éditeur, 2020, 194 p.

Oreille malheureusement tendue

La compagnie créole, Ça faire rire les oiseaux, pochette

Ver sonore, ver d’oreille, chanson poison : à cette nomenclature déjà évoquée, ajoutons chanson obsédante.

Et rassurons-nous : suivant le journal Forum, une doctorante en psychologie à l’Université de Montréal, Andréane McNally-Gagnon, sous la direction de Sylvie Hébert, enquête afin de savoir pourquoi certains airs (musicaux) nous empoisonnent la vie.

Première conclusion : le pire ver d’oreille est «Ça fait rire les oiseaux» de La compagnie créole. (Classement complet ici, avec juste assez d’écoute pour être contaminé.)

Rime rare

Hubert-Félix Thiéfaine, Tous ces mots terribles, 2008, pochette

Soit les deux vers suivants :

En plus d’l’alphabet du calcul
J’ai pris beaucoup de pieds au cul.

De deux choses l’une : ou bien la rime se fait avec calcul (kalkule) ou bien avec cul (ku).

Réponse chez Hubert-Félix Thiéfaine.

 

Référence

Thiéfaine, Hubert-Félix, «Tranche de vie», Tous ces mots terribles. Hommage à François Béranger, Meso Productions, 2008.

Divergences transatlantiques 008

Soit le tweet suivant de François Bon (@fbon), le 25 avril :

@mdumais & Co ça vous fait pareil, le coup de la pub iPad, ou bien c’est parce que je suis géo-localisé Boston (Boston en québécois) ?

Qu’est-ce que ces deux Boston, puisque l’un existerait «en québécois» ? Pour une même graphie, il y a le Bostonne (comme cretonne) des francophones européens (pour faire bref) et le Boston (comme cretons) des Québécois. De la même façon, il y a Géorgie, l’État de naissance de Ty Cobb, avec l’accent, et Georgie, sans.

Jusque-là, la situation n’est pas très complexe : deux lieux, des prononciations différentes.

Mais, étonnamment, il y a Ouashingtonne, la ville des Nationals, et Ouashingtonne (on ne dit pas Ouashington) — bref, une sonorité identique d’un côté comme de l’autre du français, même s’il s’agit avec Washington, comme avec celle où est né A. Bartlett Giamatti, d’une ville états-unienne dont le nom se termine en –ton.

La vie de la langue est faite de mystères insondables.

 

[Complément du 23 décembre 2021]

Pandémie oblige, on parle beaucoup, ces jours-ci, du variant Omicron.

Le premier ministre du Québec, François Legault, fait rimer omicron avec contagion. Il rejoint en cela le dictionnaire numérique Usito.

Le premier ministre de la France, Jean Castex, préfère omicrone.

Le toujours excellent Nicolas Guay a écrit un poème de circonstance sur ce sujet, qui n’est pas sans évoquer une des deux villes américaines évoquées ci-dessus. Conclusion de son texte, à la Fred Astaire :

[omikron]
[omikrone]
Let’s call the whole thing off

 

[Complément du 23 juin 2024]

Au dossier de Boston contre Bostonne, versons cette assonance dans la chanson «Le but» de Loco Locass (2009) :

Là c’est baston et rififi
Boston Philadelphie