Du nouveau sous le soleil ?

Il y avait la musique néotrad, le néolibéralisme, la néobienséance langagière et le néodiscours lexicographique, le «style néo-Yo» (le Devoir, 15 octobre 2010, p. B10).

Il y a dorénavant le néorustique : «Le néo-rustique traverse les ponts» (la Presse, cahier Gourmand, 8 janvier 2011, p. 5).

On n’arrête pas le progrès, même s’il remonte le temps.

N.B. Le trad est une musique folklorique qui refuse de se dire telle. Elle se décline, au moins, en «Trad, néo-trad, trash-trad et trad trad» (le Devoir, 29 décembre 2003).

N.B. bis. La bible de l’Oreille tendue — le Girodet — le dit : «À l’exception de néo-calédonien néo-hébridais, néo-impressionnisme, néo-impressionniste, néo-zélandais, tous les termes en néo- s’écrivent maintenant en un seul mot, sans trait d’union […]» (p. 517). Elle a évidemment raison contre le Devoir et la Presse.

 

Références

Boulanger, Jean-Claude, «Un épisode des contacts de langues : la néobienséance langagière et le néodiscours lexicographique», dans Marie-Rose Simoni-Aurembou (édit.), Français du Canada – Français de France. Actes du cinquième Colloque international de Bellême du 5 au 7 juin 1997, Tübingen, Max Niemeyer Verlag, coll. «Canadiana Romanica», 13, 2000, p. 307-324.

Girodet, Jean, Dictionnaire Bordas. Pièges et difficultés de la langue française, Paris, Bordas, coll. «Les référents», 1988, 896 p. Troisième édition.

Voyage en Nouvelle-France

Grand Corps Malade, 3ème Temps, 2010, pochette

Le slameur français Grand Corps Malade a rapporté d’un de ses séjours printaniers «à 6000 bornes de chez [lui]» une ode «À Montréal». Elle se trouve sur l’album 3ème temps (2010).

Ce «touriste plein d’amitié» se promène et regarde : «J’écris des textes sur c’que j’vois.» Il fait la tournée des quartiers (Plateau Mont-Royal, Vieux-Port, Quartier latin, mont Royal, etc.). «Niveau architecture», il voit des choses qui l’étonnent et certaines qui lui rappellent d’autres villes : «Pas d’doute là-dessus, Montréal est la p’tite sœur de New York», même si elle est «la cousine de Paris». Il n’oublie pas de manger des «toasts au sirop d’érable». Il essaie de distinguer «influence anglo-saxonne» et «influence européenne». Grands espaces, «grosses voitures», «rues droites», «interminables avenues» — et tout le toutim : rien ne manque.

Musicien, Grand Corps Malade s’intéresse aussi au «drôle de patois» parlé par «les cousins québécois».

Il essaie de l’imiter : «j’ai chillé sur Sainte-Catherine / Et là j’ai magasiné, pas question d’faire du shopping»; «Je reviendrai à Montréal car j’ai eu bin du fun / Cette ville où les chums ont des blondes et où les blondes ont des chums.»

Il fallait s’attendre à quelques mots sur l’accent. Ils y sont :

J’ai plutôt un bon a priori
Parce que les gens sont accueillants
Y a plus de sourires qu’à Paris
Et puis surtout y a leur accent
Mis à part quelques mots désuets
Ils parlent le même langage que nous
Mais pour l’accent j’sais leur secret
Ils ont trop d’souplesse dans les joues

Cette «souplesse dans les joues» étonnera les linguistes, mais pas qu’eux. C’est en effet une des rares choses originales de la chanson.

Saveurs d’arômes

L’Oreille tendue a déjà relevé combien l’expression à saveur était populaire au Québec.

Trois rappels, à saveur sportive :

«Une équipe canadienne à saveur québécoise au Super Bowl junior» (la Presse, 22 janvier 2004, p. S9);

«Une victoire à saveur québécoise» (la Presse, 13 février 2004, p. S3);

«Une rencontre à saveur d’entraînement» (la Presse, 8 juin 2007, cahier Sports, p. 11).

Il ne faut cependant pas l’oublier : qui dit saveur dit aussi arôme.

Exemple, avec arôme musical :

Ce qui distingue Mille Monarques des autres groupes qui émergent sur la scène montréalaise est sans aucun doute l’usage qu’ils font de la langue française. Au-delà du cliché des paroles poétiques, Mille Monarques nous offre des textes aux arômes naturalistes, symboliques, mystiques, surréalistes, épiques. Ils explorent les éléments que sont la terre, l’eau, l’air et le feu, usent de métaphores animales et organiques fulgurantes, visitant la noirceur pour mieux chercher la lumière, créant ainsi des «chansons tatouages» qui s’incrustent dans la chair.

Une fois constatée la richesse des arômes du groupe Mille Monarques, tous au pluriel — «naturalistes, symboliques, mystiques, surréalistes, épiques» —, on pourra légitimement se demander si les «chansons tatouages» sont des «chansons poison».

Miscellanées de fin d’année

Beau cas (volontaire) d’«alternance codique» (code-switching) sous la plume de l’ami Sylvain Cormier dans le Devoir du 22 décembre 2010, s’agissant d’Emmanuelle Seigner : «Comment un disque aussi bath a pu donner lieu à un spectacle aussi poche, je me le demande encore» (p. B8). Le passage du bath au poche ravit l’Oreille tendue.

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C’est la saison qui veut ça : le médecin est de plus en plus fréquemment appelé à faire un «acte vaccinal». L’invité qui utilisait cette expression sur les ondes de la radio de Radio-Canada le 20 décembre croyait peut-être que le mot vaccin n’était pas assez noble pour être utilisé en ondes.

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Le titre suivant peut bien sûr s’expliquer : «La croissance démographique américaine est en baisse» (le Devoir, 22 décembre 2010, p. B5). Il n’en reste pas moins qu’une «croissance […] en baisse», ça étonne.

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S’agissant d’un nouveau restaurant montréalais : «La déco rétro-saxonne, elle, rappelle le Sparrow ou encore le Liverpool House, dans le quartier Saint-Henri» (la Presse, 9 décembre 2010, cahier Affaires, p. 10). «Rétro-saxonne» ?

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On connaissait déjà écoresponsable. Voici maintenant francoresponsable. Cela se trouve dans le quotidien le Soleil du 19 décembre : «L’Hôtel Château Laurier mise désormais sur le français pour se distinguer auprès de la clientèle touristique, même celle anglophone.» Dans la Vieille Capitale, parler français est désormais un signe de distinction.

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Le site FailQc comporte une rubrique «Traduction boboche», où l’on récolte des aberrations de traduction, souvent involontairement comiques. On y fait des découvertes stupéfiantes, ici par exemple.

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Le sous-marin québecquois de l’Oreille tendue attire son attention sur un aspect d’une campagne publicitaire déjà abordée au début décembre, mais qu’elle n’avait pas commenté alors. Elle avait indiqué combien lui paraissait typographiquement dangereuse l’adresse 0droguepourmoi.ca. Pour comprendre la syntaxe de la phrase qui se trouve sous cette adresse — «Renseigne-toi sur les effets de la drogue et comment tu peux dire non» —, il faut connaître la version anglaise — «Find out the effects of drugs and how you can say no». Ce zeugme syntaxique est peut-être moins spectaculaire que ce que l’on trouve chez FailQc, mais il est nettement plus pernicieux. Voilà un beau cas de ce que Gaston Miron appelait, notamment dans le Voyage en Mironie de Jean Royer, le «traduitdu» :

On naît dans cet état linguistique et l’on s’imagine que c’est ça, la langue, jusqu’au moment où l’on s’aperçoit que sa langue est faussée par la traduction, que sa langue est dominée par une autre qu’elle traduit. Ce que j’ai appelé «le traduitdu», le charabia ou «le traduitdu» (p. 112).

 

Référence

Royer, Jean, Voyage en Mironie. Une vie littéraire avec Gaston Miron, Montréal, Fides, 2004, 282 p.

Zeugmes de Noël

François Hébert, Toute l’œuvre incomplète, 2010, couverture

«Pons ne touche plus à la poutine de Claire,
Ne joue plus au papa, au prof ni au hockey, à rien.»

François Hébert, Toute l’œuvre incomplète, Montréal, l’Hexagone, coll. «Écritures», 2010, 154 p., p. 29.

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«Bon Débarras, du trad d’Amérique et d’errance.»

Yves Bernard, le Devoir, 13 octobre 2010, p. B8.

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«La situation ne pouvait pas demeurer aussi mauvaise et aussi longtemps dans les villes de Montréal et de Québec.»

Claude Galarneau, «L’école, gardienne de la langue», dans Michel Plourde et Pierre Georgeault (édit.), le Français au Québec. 400 ans d’histoire et de vie, Montréal, Fides et Conseil supérieur de la langue française, 2008, p. 148-152, p. 150. Nouvelle édition.

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«De [?] la ville d’où j’arrive, Marrakech, on trouve de tout à pleins souks : des serpents en bois ou en vie, des djellabas, des bracelets, des babouches et écharpes soyeuses.»

Odile Tremblay, «Noël ici et là», le Devoir, 18-19 décembre 2010, p. E2.

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Voilà qui s’appelle mettre tous ses zeugmes dans le même panier.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)