Soit ce tweet : «Voir que la grande Michèle Torr vient de me dédier son classique Emmène-moi danser ce soir à JS Tendresse de @jsgirard.»
Soit cette phrase, tirée du roman Morel (2021) de Maxime Raymond Bock : «Ah ben oui, ç’a ben du bon sens ! C’est niaiseux de te demander ça. Voire que tu chercherais un loyer si tu déménages pas !» (p. 239)
Que dire de ce «voir(e) que», en tête de phrase, parfois lu / entendu au Québec ?
Dans le premier cas, il marque une joie doublée d’un étonnement : «Quoi ? Me faire ce bonheur ? À moi ? Je n’ose le croire !»
Dans le second, il marque la reconnaissance d’une évidence : «Mais bien sûr ! Pourquoi chercherais-tu un appartement (loyer) si tu ne voulais pas déménager ?»
Une même forme, deux sens. Voir que c’est logique, la langue !
P.-S.—La construction avec voir si est également attestée : «Voir si elle me dédierait une chanson !»
P.-P.-S.—La graphie avec e (voire) étonne fort l’Oreille tendue (Maxime Raymond Bock la reprend p. 206 et p. 244). Le lien entre l’adverbe voire (et même) et le verbe voir suivi de que lui échappe.
Réaction d’un médiéviste : «L’explication qui me vient est le sens du terme en ancien français : “vraiment”, “vrai”. Il est voir que… (il est vrai que…) “Pas voir / vrai que….” Dans ce cas, en français moderne, l’orthographe avec e serait la plus logique (voire au sens vieilli de “certainement”). Le Robert donne d’ailleurs comme “vieux ou plaisant” voire “qui marque le doute”.»
Référence
Raymond Bock, Maxime, Morel. Roman, Montréal, Le Cheval d’août, 2021, 325 p.
Connaissez-vous l’expression être sur le balan ? En Suisse, elle signifie hésiter ! Quelle expression utilisez-vous lorsque vous êtes indécis ? #PetitRobertpic.twitter.com/prIrjJaZT8
Tweet récent des Éditions Le Robert : «Connaissez-vous l’expression être sur le balan ? En Suisse, elle signifie hésiter !»
Cette expression ne paraît pas avoir cours au Québec. En revanche, le mot balan et son homonyme ballant y sont parfois utilisés pour désigner l’équilibre.
D’où ceci, tiré de la célèbre chanson «Lindberg» (paroles de Claude Péloquin, musique de Robert Charlebois, interprétation de Robert Charlebois et Louise Forestier, 1968) :
Y avait même une compagnie qui engageait des pigeons qui volaient en-dedans
Et qui faisaient le balan pour la tenir dans le vent
C’était absolument, absolument, absolument très salissant
Dans l’édition du 1er février de Tourniquet, son infolettre, Olivier Niquet — oui, celui-là — fait un aveu : il souhaite populariser le mot motté.
Motté ?
Nous l’avons croisé sous la plume de Samuel Archibald, en 2013, dans Quinze pour cent : les mottés (p. 43) y étaient associés à la «race désargentée et bannie» (p. 55) dont il était beaucoup question dans le livre.
Les définitions qu’a pu rassembler l’Oreille tendue vont toutes dans le même sens : il ne fait pas bon être motté.
«Personne à l’allure négligée, qui ne paie pas de mine, qui semble (ou est) droguée, qui ne paraît pas entièrement présente d’esprit»; «Synonyme : pouilleux» (Wiktionnaire);
«Selon la culture policière, se dit d’un individu aux apparences criminelles. Syn : Bum, voyou, face à menottes»; «Quelqu’un qui fait preuve de mauvais jugement, cela dû à son manque de culture, sans doute aussi d’un manque d’intelligence» (la Parlure);
«Se dit d’une personne pas très allumée, plutôt niaiseuse sur les bords» (le Journal de Québec, 16 décembre 2014);
«Imbécile. Nono» (Léandre Bergeron, 1981, p. 123).
Le motté a une existence musicale. En 2011, Turbo distorsion lance l’album King Motté. Deux ans plus tard, Bleu Jeans Bleu enregistre «Motel motté» (clip).
Il existe, à Ivry-sur-le-Lac, une baie Motté et, aux Escoumins, une anse à Motté. La Commission de toponymie du Québec ne cache pas son ignorance : «L’origine de ce nom et, le cas échéant, sa signification n’ont pu être déterminées jusqu’à maintenant.»
Quelle est l’origine du mot ? Il paraît surtout d’un emploi régional, mais les sources sont contradictoires. Le Journal de Québec l’associe à la Côte-Nord. Il aurait eu cours à Rimouski dans les années 1990. René Audet évoque la région du Granit, propose une définition — «crotté de longue date (?)» (Twitter) — et avance prudemment une étymologie — «fait référence aux mottes de bouette séchée dans le poil des pattes d’animaux ??» (Twitter) Selon Samuel Archibald, motté n’a pas «pas cours au Saguenay» : «L’expression est là pour marquer que Yawatha ramasse des mots un peu partout» (Twitter).
À votre service.
P.-S.—Vous diriez à l’Oreille qu’il y a une parenté entre le motté et le jigon qu’elle ne serait pas exagérément étonnée.
[Complément du 12 février 2022]
Rimouski dans les années 1990 ? Mathieu Arsenault confirme et précise : «“Motté” désignait quelque chose comme un jeune, de village souvent mais pas exclusivement, métalleux, amateur de quatre roues, de motocross, etc. L’équivalent d’un gawa au Saguenay-Lac-Saint-Jean» (Twitter).
L’Oreille ne connaît rien à Rocks et belles oreilles. Elle remercie @lamymyk de lui avoir fait découvrir ceci, qui incarnerait «l’image parfaite du motté» :
Références
Archibald, Samuel, Quinze pour cent, Montréal, Le Quartanier, coll. «Nova», 1, 2013, 67 p.
Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise précédé de la Charte de la langue québécoise. Supplément 1981, Montréal, VLB éditeur, 1981, 168 p.
En 1972, Trevanian parlait de «beau pétard» (p. 11).
Dans les deux cas, il s’agissait de louanger la plastique de personnes du sexe.
L’expression est plus ancienne encore. On la trouve en 1953 chez Paul Verchères :
Le grand vieux se pencha vers son compagnon et lui dit assez haut, pour que les filles l’entendent :
— Deux beaux pétards, hein Aristide (p. 25).
Ce sera tout pour l’instant.
P.S.—Il a été question du contact des langues chez Trevanian ici et de la langue de puck chez Verchères là.
[Complément du 6 décembre 2021]
«Les deux pétards» de Richard Desjardins (l’Existoire, 2012) sont une «déesse» et un «loup alpha en cuir d’agneau». On les retrouvera morts dans une chambre d’hôtel :
Le coroner lit le verdict
Ça s’est passé vers les minuit
Je suis formel catégorique
Nos beaux pétards
Sont morts d’ennui