Les vacances, c’est du travail (1/2)

Les vacances de l’Oreille tendue n’étaient pas encore commencées que la démolition de sa cuisine, si. Bref, des rénovations étaient à l’ordre du jour.

Cuisine en rénovation, Montréal, juillet 2018

Des ouvriers ont reconstruit ce que l’Oreille et consorts avaient détruit. Résonnaient alors les mots habituels de la construction : chimer (son emploi paraît universel, et ses emplois tout autant), drill (certaines perceuses seraient plus «viriles» que d’autres, dit-on) ou gléser (rendre un mur lisse, comme dans to glaze).

Une épiphanie littéraire est née de ces rénovations : les nouveaux tiroirs de la cuisine sont montés sur des roulements Blumotion. Cela rend — enfin — compréhensible un passage du roman Un parc pour les vivants de Sébastien La Rocque (2017) :

Elle fera glisser pour eux ses tiroirs de cuisine à fermeture automatique de style shaker d’un blanc laqué immaculé, qui s’ouvrent et se ferment grâce à la technologie du Blumotion de Blum, tout doucement, c’est ça, le progrès, la vie et la façon de concevoir la cuisine et ses objets sont révolutionnés — plus personne ne claquera une porte dans un excès de colère; régnera l’harmonie, et la médication s’occupera des malheureux (p. 35).

En effet, la colère devra désormais s’exprimer ailleurs que sur les tiroirs.


L’Oreille connaissait cette expression : «On n’avait pourtant pas toujours la pédale dans le tapis» (Maxime Raymond Bock, les Noyades secondaires, p. 176). Autrement dit : à fond. Sur Twitter, elle en découvre une variante locale.


«Mais, au moment où je m’y attendais le moins, je mis la main sur une merveille, je devrais dire sur une difformité naturelle, très-rare à rencontrer. Conseil venait de donner un coup de drague, et son appareil remontait chargé de diverses coquilles assez ordinaires, quand, tout d’un coup, il me vit plonger rapidement le bras dans le filet, en retirer un coquillage, et pousser un cri de conchyliologue, c’est-à-dire le cri le plus perçant que puisse produire un gosier humain» (Jules Verne, Vingt mille lieues sous les mers, p. 175).

Même en vacances, l’Oreille reste tendue. Pas une seule fois, pourtant, elle n’a entendu le «cri de conchyliologue». Du moins, elle ne le croit pas, et ce n’est pas par manque de coquillages.


«Passaient aussi de grands chiens de mer, poissons voraces s’il en fut. On a le droit de ne point croire aux récits des pêcheurs, mais voici ce qu’ils racontent. On a trouvé dans le corps de l’un de ces animaux une tête de buffle et un veau tout entier; dans un autre, deux thons et un matelot en uniforme; dans un autre, un soldat avec son sabre; dans un autre enfin, un cheval avec son cavalier. Tout ceci, à vrai dire, n’est pas article de foi. Toujours est-il qu’aucun de ces animaux ne se laissa prendre aux filets du Nautilus, et que je ne pus vérifier leur voracité» (Jules Verne, Vingt mille lieues sous les mers, p. 315).

L’Oreille n’a pas non plus croisé de grand chien de mer. Pourtant, elle était à la mer. C’est là où elle a vu, sans pousser de cri, des coquillages.


Dans l’État de New York, certains motels annoncent qu’ils ont des chambres pour fumeurs («Smoking Rooms»). Fidèle à ses saines habitudes de vie, l’Oreille évite résolument de telles chambres. Elle exige toujours une «Drinking Room».


Dilemme du jour. Se trouver sur la bonne route et lire, à l’arrière du camion qui nous précède, «Do not follow.» Suivre ou ne pas suivre, arriver à destination ou pas, telle est la question.


Elle a beau être vacancière, l’Oreille n’hésite jamais à se porter au secours des phrases malades, celle-ci, par exemple :

Tweet, le Devoir, 23 juillet 2018«Le suspect est Faisal Hussain» aurait suffi, non ?

À votre service.


Des sources conjugales proches de l’Oreille tendue en sont convaincues : les restaurants états-uniens sont sous-éclairés. Qu’ont-ils donc à cacher ?


Dans une précédente location, c’était Gérard de Villiers. Cette année, c’est Roger Angell. On n’arrête pas le progrès.

Bibliothèque, maison de location, Cape Cod, juillet 2018


A-t-on une personnalité différente quand on change de langue ? Cela peut arriver. L’Oreille le constate ces jours-ci. (Non, elle ne parle pas d’elle-même.)


Publicité du jour, en bord de route : «Clean Rest Room. New Seat.» Voilà qui est bien tentant.


[À suivre]

 

Références

La Rocque, Sébastien, Un parc pour les vivants. Roman, Montréal, Le Cheval d’août, 2017, 167 p. Ill.

Raymond Bock, Maxime, les Noyades secondaires. Histoires, Montréal, Le cheval d’août, 2017, 369 p.

Verne, Jules, Vingt mille lieues sous les mers, Paris, J. Hetzel et cie, 1871, 436 p. Illustré de 111 dessins par de Neuville.

Les littéracies universitaires

Écriture scientifique, écriture sous contraintes ?, ouvrage collectif, 2013, couverture

Depuis quelques jours, dans la rubrique Thèses sur la thèse, l’Oreille tendue a regroupé des comptes rendus d’ouvrages portant — sur le mode humoristique ou sous forme de conseils — sur la rédaction de la thèse de doctorat.

Quel que soit leur angle d’approche, ces ouvrages ont une visée commune : mettre au jour ce qui n’est que très rarement expliqué aux étudiants des cycles supérieurs. Comment formuler une hypothèse de recherche ? Comment préparer une présentation orale ? Comment rédiger une thèse ? Trop souvent, les étudiants doivent trouver des réponses à ces questions par la simple observation de ce qui se passe autour d’eux.

Pourtant, il existe un champ des sciences humaines qui étudie les formes de la lecture et de l’écriture universitaires. Les collaborateurs de l’ouvrage collectif Écriture scientifique, écriture sous contraintes ? (2014) présentent ces «littéracies universitaires».

Quelles questions se posent les gens qui travaillent dans ce champ neuf ? Lisons un passage de l’«Introduction» de Catherine Gravet (p. 5-8).

La rédaction d’une synthèse ou d’un rapport, d’un mémoire ou d’un travail de fin d’études, d’un texte de vulgarisation, d’un article scientifique, d’une thèse de doctorat demande des compétences stylistiques, peut ou doit répondre à des conventions ou des normes qui ne sont pas toujours explicites. Lesquelles ? Si ces normes existent, elles ne sont pas toujours comprises ni appliquées. Pourquoi ? L’objectif de communication varie-t-il ? Les publics auxquels ces textes sont destinés déterminent-ils l’application de conventions différentes ? Écrit-on pour des experts ou des pairs comme on écrit pour un plus grand public ? L’écrit scientifique est-il élitiste ? Quelle est la marge de liberté dont dispose l’auteur ou le scripteur ? L’écrit dit «scientifique» a-t-il un «style» ? Si oui, quelles sont ses caractéristiques ? Enseigne-t-on ce style ? Si oui, comment ? D’où viennent les prescriptions qui lui seraient applicables ? Ses caractéristiques répondent-elles à une nécessité ? Sont-elles constantes dans le temps et dans l’espace ? Changent-elles en fonction de la discipline concernée ou de la langue utilisée ? L’écrit «scientifique» s’immisce-t-il dans le littéraire ? Quelles fonctions remplit-il alors ? Peut-on comparer l’écriture scientifique à d’autres écritures ? Etc. (p. 6)

Ce qui n’est pas «explicite» doit donc le devenir. C’est à cela que s’attaquent les douze auteurs des articles contenus dans Écriture scientifique, écriture sous contraintes ? Exemples ci-dessous.

Jean-Marc Defays («Prolégomènes à l’“analyse du discours scientifique” : qu’est-ce ? pour quoi ? par qui ? comment ?», p. 11-14) indique la double contrainte devant laquelle se trouvent les professeurs : former les étudiants «au système ambiant», mais refuser de les «formater» (p. 14).

Dans «Un regard sur la subjectivité de l’objectivité — et sur l’objectivité de la subjectivité — dans la formation à l’écriture scientifique en sciences politiques» (p. 61-75), Serge Deruette passe de Pierre Bourdieu à Frank Zappa et de Max Weber au curé Meslier pour contester la «conception idéaliste» que l’on se fait trop souvent de la recherche (p. 65). Il se méfie, à juste titre, des «contraintes normatives» implicites (p. 71).

Pour terminer, une définition : «Le champ des littéracies universitaires est un champ en construction qui traite de l’appropriation et de la maîtrise, par les étudiants, des discours universitaires, ce qui sous-tend non seulement l’apprentissage de pratiques lecturo-scripturales mais implique aussi la prise en compte d’un certain type de rapport à l’écrit universitaire» (Carole Glorieux, «La question du brouillage des désignations dans les mémoires d’application en journalisme», p. 119-133, p. 119 n. 2).

Allons plus loin. Le travail nécessaire sur les littéracies universitaires, qui portent sur l’écrit, ne peut suffire à lever le voile sur ce qu’est le monde de la recherche. Avec les étudiants des cycles supérieurs, il faut aussi traiter des pratiques de sociabilité (le colloque, la soutenance de thèse) et du fonctionnement des institutions universitaires (l’évaluation par les pairs, le monde de la publication savante, la structuration des carrières). Entrer en thèse, c’est se trouver devant tout cela.

P.-S.—Oui, on voit probablement plus souvent littératie.

P.-P.-S.—Proposition d’exercice pour les spécialistes en littéracies universitaires : montrer comment raccourcir les titres d’articles interminables.

 

Référence

Gravet, Catherine (édit.), Écriture scientifique, écriture sous contraintes ?, Mons, Université de Mons, Service de Communication écrite, coll. «Travaux et documents», 5, 2014, 145 p. Ill.

Tombeau d’Ella (12) : jouer

Ella Fitzgerald, timbre-poste, États-Unis, 2007

[Ce texte s’inscrit dans la série Tombeau d’Ella. On en trouvera la table des matières ici.]

Depuis 2007, février est officiellement, au Québec, le Mois de l’histoire des Noirs. Cette année, février est aussi un mois olympique. Or, en 1968, Ella Fitzgerald assistait, à Grenoble, aux jeux Olympiques d’hiver. Ella Fitzgerald et le sport ? L’association ne va peut-être pas de soi, mais elle existe. Allons-y jeter une oreille.

La chanteuse évoque divers sports dans ses chansons : la boxe («I’m Beginning to See the Light», «The Lady Is a Tramp»), les courses hippiques («You’re the Top»), le ski («Moonlight in Vermont»), la course à pied («Get Out of Town»).

Elle s’intéressait, à la télévision, au boxeur Muhammad Ali ou aux activités des Lakers de Los Angeles — c’est du basket. On l’entend chanter dans Raging Bull, le grand film de Martin Scorcese sur la boxe (1980). En 1972, elle a participé au spectacle de la mi-temps du Super Bowl, le VIe du nom, à la Nouvelle-Orléans.

Bing Crosby, voulant lui rendre hommage au cours de l’émission télévisée The Hollywood Palace (ABC, 18 février 1969), la présente en la comparant à deux grands baseballeurs : «The Sandy Koufax of Song, the Brooks Robinson of Rhythm, the All-Star of Timing — the Peerless One» (cité par Geoffrey Mark Fidelman, p. 178). Ce n’est que justice : Ella Fitzgerald était fan de baseball.

Ce sport est évoqué dans la chanson «The Lady Is a Tramp». À la télévision, on l’a vue avec le gérant des Dodgers de Los Angeles, Tommy Lasorda, l’équipe qu’elle suivait au petit écran. Elle aurait fréquenté Jackie Robinson et Willie Mays. Ainsi que l’a rappelé Marissa Del Toro en 2006, le Smithsonian Institution possède des artefacts liés au baseball ayant appartenu à Ella Fitzgerald, elle qui était souvent invitée à chanter l’hymne national états-unien au début des matchs.

L’Oreille tendue aurait aimé être là.

 

[Complément du 17 mai 2018]

L’histoire du timbre reproduit ci-dessus est racontée dans cette vidéo :

 

[Complément du 20 juin 2021]

Steven Jezo-Vannier a publié récemment Ella Fitzgerald. Il était une voix en Amérique. À la page 30, il est question d’Ella jeune, à Yonkers, dans «la cour de recréation» avec des garçons «dont elle partage le goût pour le baseball et le hockey.» Pour le baseball, on ne s’étonnera pas. Pour le hockey, l’Oreille, grande fan d’Ella et de hockey, est un peu plus sceptique, mais elle ne demande qu’à être convaincue.

 

[Complément du 2 mai 2022]

Kostya Kennedy a publié récemment une nouvelle biographie du baseballeur Jackie Robinson. On y apprend qu’Ella Fitzgerald a chanté dans un des concerts-bénéfice qu’il organisait chez lui, à Stamford au Connecticut («The Afternoon of Jazz Concerts»), pour aider des organismes de défense des droits des Noirs, la Southern Christian Leadership Conference et la National Association for the Advancement of Colored People (p. 213-214).

Une fois encore, l’Oreille tendue aurait aimé être là.

 

Références

Del Toro, Marissa, «The Queen of Jazz and Her Love of Baseball», blogue O Say Can You See ? Stories from the National Museum of American History, 4 avril 2016.

Fidelman, Geoffrey Mark, First Lady of Song. Ella Fitzgerald. For the Record, New York, A Citadel Press Book, Carol Publishing Group, 1996, xx/379 p. Ill. Édition originale : 1994.

Jezo-Vannier, Steven, Ella Fitzgerald. Il était une voix en Amérique, Marseille, Le mot et le reste, 2021, 367 p. Ill.

Kennedy, Kostya, True. The Four Seasons of Jackie Robinson, New York, St. Martin’s Press, 2022, viii/278 p. Ill.

Épistoliers d’aujourd’hui

Projet «Lettre à toi», Québec, 2017-2018

L’Oreille tendue n’a pas peur de se répéter. Depuis plus de 20 ans, elle raconte à qui veut l’entendre (ou pas) que la forme épistolaire, malgré le discours ambiant, n’est pas appelée à disparaître. On écrit moins de lettres qu’auparavant ? Évidemment. On va cesser d’écrire des lettres ? Pas du tout. Ce qui a changé, c’est le contexte dans lequel l’épistolarité paraît s’imposer comme la forme de communication la plus appropriée. Pour le dire dire d’un mot : devant la mort, par exemple, la lettre garde tout son poids.

Des exemples ? Quand meurent le chanteur John Lennon en 1980, la princesse Diana en 1997 ou le joueur de hockey Maurice Richard en 2000, leurs admirateurs leur dressent des autels spontanés où ils déposent des objets et par lesquels ils s’adressent à leur idole disparue : on écrit à un mort, auquel on confie sa peine. Ce n’est donc pas d’hier qu’on se livre à cette forme d’hommage, mais cela continue à se faire, en cette ère du tout-numérique (dit-on). Quand un train déraille au cœur de Lac-Mégantic le 6 juillet 2013, faisant 47 morts, l’église de cette petite ville québécoise réserve un espace où punaiser des courts messages destinés tant aux survivants qu’aux victimes. On fera la même chose en Corée du Sud, au moment du naufrage du Sewol le 16 avril 2014 (plus de 300 disparus), et on l’avait fait lors de la tuerie de l’école états-unienne Sandy Hook en 2012. À la mort de l’écrivain Gabriel García Márquez (2014), on met à la disposition de ses admirateurs une murale à Barcelone : les témoignages manuscrits affluent. Il est manifestement des moments où le courriel, le SMS, Twitter, Instagram, Snapchat et Facebook ne suffisent pas; il faut revenir à l’écriture manuscrite, et à une écriture manuscrite partagée.

Cela a encore été le cas dans la ville de Québec l’an dernier. Après un attentat dans sa grande mosquée, le 29 janvier 2017, des citoyens se sont mobilisés pour lutter contre l’intolérance. Ils ont d’abord organisé une vigile de solidarité en servant des réseaux sociaux. Puis autre chose leur est apparu nécessaire.

À la suite de la veillée, le groupe s’est réuni de nouveau pour en prolonger l’effet. Est née alors l’idée d’envoyer des lettres de réconfort aux familles des victimes et à leurs proches. Baptisée «Lettre à toi», cette initiative a permis de recueillir au sein du public plus de 350 lettres manuscrites en provenance de partout. «Malgré mes faibles moyens, je te promets de mettre tout en œuvre pour faire tomber autour de moi les préjugés qui divisent et pour bâtir les ponts qui nous unissent», peut-on lire dans l’une d’entre elles. «S’il te plaît ne perds pas espoir.»

«Les lettres ont été photocopiées et on a fait une quinzaine de cartables, raconte Annie Demers-Caron. On les a distribués dans des mosquées, mais aussi dans des lieux non religieux [comme des organismes communautaires]. Parce qu’on l’oublie, mais il y a seulement 40 % des personnes de confession musulmane qui fréquentent les mosquées.»

Le groupe a aussi conçu 11 boîtes à partir des 100 plus belles lettres à l’intention des familles des victimes et des blessés. Certains les ont reçues tout récemment. «L’idée, c’était de faire perdurer la solidarité dans le temps», résument Annie et Tommy [Bureau] (Isabelle Porter, «Des lettres pour panser les plaies», le Devoir, 20-21 janvier 2018, p. B2).

La lettre reste utile.

Illustration : détail de la photo de Renaud Philippe qui accompagnait l’article d’Isabelle Porter dans le Devoir.

P.-S.—Ce texte reprend un passage d’un texte publié par l’Oreille il y a quelques années : Melançon, Benoît, «Le cabinet des curiosités épistolaires», Épistolaire. Revue de l’AIRE (Association interdisciplinaire de recherche sur l’épistolaire, Paris), 40, 2014, p. 257-259.

 

[Complément du 26 novembre 2020]

Sur Twitter, que suggère la (future) vice-présidente des États-Unis, Kamala Harris, en ce jour de l’Action de grâce (Thanksgiving) ? D’écrire, enfin, la lettre dont on ne cesse de différer l’écriture.

 

[Complément du 5 décembre 2020]

L’Oreille tendue est citée dans le Devoir du jour, au sujet de l’envoi des cartes de Noël et de ce que cela révèle de la lettre aujourd’hui : «Dès qu’une tragédie se produit, qu’il s’agisse de la mort de la princesse Diana ou celle de Lac-Mégantic, les gens ont le réflexe d’écrire des lettres […]. Et disons-le : la pandémie actuelle est sans aucun doute LA circonstance spéciale, d’autant que les gens se voient beaucoup moins.»

Dans la Presse+, au même moment, elle découvre l’existence du projet «Le moment de votre lettre», «ce courrier du cœur pandémique» : «Lancée en avril dernier, l’initiative est à la fois toute simple et lumineuse : en ces temps si difficiles, il s’agit de permettre à des personnes âgées esseulées de recevoir gratuitement chaque semaine, pendant un an, une lettre rédigée pour elles par des artistes québécois.» Cela circule par courriel, photocopieuse, Facebook.

CQFD.

Le zeugme du dimanche matin, de Radiohead et de Stéfanie Clermont

Stéfanie Clermont, le Jeu de la musique, 2017, couverture

«Nous sommes allés nourrir les canards au parc Strathcona et avons ri en retrouvant, sur une table de pique-nique, un message que nous avions gravé ensemble à l’époque pas si lointaine où nous venions presque tous les jours dans ce parc après l’école pour fumer des joints et chanter nos chansons préférées en essayant de faire des harmonies. Le message à deux mains disait : “One day, I am going to grow wings, a chemical reaction, hysterical and useless”. Les lettres qu’elle avait gravées étaient bien formées et stylisées, les miennes à peine lisibles et trop grosses.

— Ça fait longtemps, a dit Julie. On dirait que ça fait longtemps.

— Pas si longtemps que ça, ai-je dit en haussant les épaules, j’écoute encore Radiohead.

— Moi aussi, et je fume encore du pot.»

Stéfanie Clermont, «Dans l’industrie», dans le Jeu de la musique. Nouvelles, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 15, 2017, 340 p., p. 143-156, p. 155.

P.-S.—L’Oreille tendue a présenté ce texte le 27 décembre 2017.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)