Accouplements 40

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux textes d’horizons éloignés.)

Sur son blogue, l’excellent @machinaecrire a publié récemment deux billets au sujet de l’écriture de la poésie, l’un sur le code, l’autre sur les recettes (oui, celles de cuisine). Il ne répond pas à la question «La recette de cuisine est-elle de la poésie ?». Il laisse plutôt à son lecteur le soin de trancher, recette de Ricardo à l’appui («Tilapia et sauté de légume. Poème»).

Quelques jours plus tôt, le non moins excellent @dancohen publiait, lui aussi sur son blogue, un texte intitulé «What It’s Worth : A Review of the Wu-Tang Clan’s “Once Upon a Time in Shaolin”». Il part d’un album réservé à un seul auditeur pour s’interroger sur la nature de l’art aujourd’hui. Parlant de l’artiste visuel Sol LeWitt, il écrit : «LeWitt liked to be a recipe writer, not a chef.»

Puis, hier, le quotidien montréalais le Devoir présente une exposition à venir à la Galerie de l’Université du Québec à Montréal, Do It Montréal. Il n’y est pas question de «recettes», mais d’«instructions» et de «directives» (c’est plus noble).

Récapitulons. En 1993, Hans Ulrich Obrist, après une conversation à Paris avec les artistes Christian Boltanski et Bertrand Lavier, décide de créer une exposition qui prévoit l’interprétation à l’infini de directives artistiques données. Il demande à dix artistes de rédiger des instructions pour la création d’une œuvre. Les œuvres produites à partir de ces instructions seront documentées, par des photos, des textes ou des vidéos, puis détruites. Ces instructions seront ensuite traduites en neuf langues, et l’exposition sera reproduite ailleurs dans le monde. Alors, d’autres instructions et d’autres artistes s’ajouteront aux premiers pour former un livre de 250 instructions supervisé par l’ICI (Independent Curators International), à New York.

À Montréal, la jeune commissaire Florence-Agathe Dubé-Moreau a puisé soixante instructions dans cet imposant corpus, et en a commandé dix autres à des artistes québécois. À partir de là, c’est à vous de jouer.

De l’art d’apprêter la culture.

Les sons de la famille Boulay

Le compositeur Pierre Boulez vient de mourir. Annonçant la nouvelle, le quotidien la Presse+ du jour commet toute une boulette.

«Boulay» pour «Boulez», la Presse+, 7 janvier 2015

La boulette est évidemment orthographique : Boulay pour Boulez.

Elle est cependant intéressante, en quelque déprimante sorte, sur le plan phonétique. Selon la Presse+, on ne dirait pas Boulaize, mais Boulai, voire Boulé.

Comme pour Les sœurs Boulay, auteures-compositrices-interprètes québécoises de leur état.

P.-S. — L’Oreille tendue s’en veut de ne pas avoir pensé à boulette quand elle a annoncé icelle sur Twitter. Sa collègue @LucieBourassa a eu l’oreille plus fine. Il est vrai qu’elle est mélomane, elle.

 

[Complément du 8 janvier 2015]

«Précision» parue dans la Presse+ du 8 janvier 2015

Cette «Précision», publiée dans la Presse+ du jour, devrait être, évidemment, un «Rectificatif».

Accouplements 39

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux textes d’horizons éloignés.)

Hier soir, les Canadiens de Montréal — c’est du hockey — jouaient à Tampa Bay, contre le Lightning. (Ils ont — enfin — gagné.) Le responsable de la musique à l’Amalie Arena, en deuxième période, a fait tourner un extrait de «Radar Love» — oui, oui, la chanson de 1973 de Golden Earring.

Ce matin, l’Oreille lisait le plus récent recueil de textes de Roger Angell, This Old Man (2015) — oui, oui, le Roger Angell dont il était question ici l’autre jour. Dans un article de 1994, «Storyville», il raconte ce qu’est le travail d’éditeur de fiction à l’hebdomadaire The New Yorker. Il évoque alors le talent de Bobbie Ann Mason pour trouver le «down-home detail». Un exemple ? «[Her] people […] know that “Radar Love” is a great driving song» (p. 162).

Voilà une partie de l’adolescence de l’Oreille en quelques mots.

 

Référence

Angell, Roger, This Old Man. All in Pieces, New York, Doubleday, 2015, xii/298 p. Ill.

 

 

Singularité(s) musicale(s)

Pochettes : Mes aïeux et Réal Béland

La chanson est un art singulier. Sur des musiques séduisantes, on peut dire des horreurs — et l’auditeur reste séduit.

Voici deux cas, qui ont toujours intrigué l’Oreille tendue.

Depuis 2003, le groupe Mes aïeux connaît un succès considérable avec «Dégénérations». Le titre le dit : tout va à vau-l’eau chez les jeunes. Ils ont quitté «la terre» (quatre fois) pour se retrouver dans un «p’tit trois et demi ben trop cher frette en hiver». L’avortement est devenu leur mode de contrôle des naissances («Quand tu fais des conneries tu t’en sauves en avortant»). Les pères ont privé leurs fils d’héritage en plaçant leur argent dans des REER. Leurs descendants ne savent plus s’amuser comme dans le temps des «veillées». C’était tellement mieux avant ! «Dégénérations» est une chanson réactionnaire. Pourtant, plein de gens l’ont entonnée et l’entonnent encore, entraînés d’abord par ses percussions, puis par son reel, comme l’indique le sous-titre («Le reel du fossé»).

En 2007, Réal Béland lance la chanson «Hockey bottine». Le texte en est à la fois misogyne, homophobe et ethnocentré. Misogyne : «Asteur les fans écoutent le hockey / À cause de Chantal Machabée / On va aller voir les games au Centre Always» — le féminin, c’est les menstruations (Always est une marque de produits d’hygiène féminine). Homophobe : «Les joueurs sont rendus des hommes d’affaires / Faudrait leur faire peur dans l’vestiaire / Envoyer deins douches André Boisclair» — l’homosexualité, c’est le trouble sexuel dans le vestiaire (l’ancien homme politique André Boisclair est homosexuel). Ethnocentré : «I reste pus beaucoup d’joueurs francophones / Qui nous donnent le deuxième effort […] Pis si t’es tanné des caprices d’Ovechkin / Ben ferme ta tévé / Pis viens jouer au hockey bottine» — l’étranger, c’est le caprice (Alexander Ovechkin est russe). «Tout l’monde dans l’temps avait l’CH tatoué / Ç’a ben changé / C’est dans nos mam’lons qu’i est percé» : c’était tellement mieux avant ! Pourtant la chanson est entraînante.

Comment résister ?

P.-S. — L’Oreille tendue a beaucoup écrit sur les chansons du hockey, par exemple ici.

 

Références

Béland, Réal, «Hockey bottine», Réal Béland Live in Pologne, 2007, 4 minutes.

Mes aïeux, «Dégénérations / Le reel du fossé», En famille, 2003, 5 minutes 24 secondes.