Langue de campagne (22)

La campagne électorale québécoise s’achève : on vote aujourd’hui.

On s’est plaint, plus à gauche qu’à droite, de l’absence de la culture durant cette campagne. C’est largement exagéré.

Jean Charest n’a jamais hésité à exposer l’étendue de sa culture classique. Lors du débat des chefs du 19 août, il a parlé d’«Éole, le vent». Le lendemain, toujours à la télévision, il évoquait «un épée de Démoclès».

Les électeurs ont aussi eu droit à deux chansons, «À nous de choisir», la chanson-thème du Parti québécois, et «Dans les yeux de Léo», de Dominique Beauchamp, alias DouceRebelle, un hymne à la gloire de Léo Bureau-Blouin, candidat du même parti dans la circonscription de Laval-des-Rapides.

Ce n’est quand même pas rien.

À tu et à vous et à toi et à vous et à tu, bis

La chanson est interprétée par le duo Brigitte sur son album Et vous, tu m’aimes (2012) et s’appelle «Monsieur je t’aime».

Monsieur je t’aime
Monsieur je t’aime
Rendez-vous au cinéma
Impatiente, infidèle
Je ne vous résiste pas

C’est moins radical que «Rendez-vous courtois» de Jérémie Kisling, sur le Ours (2006), mais ça permet de rappeler que les pronoms personnels de la deuxième personne en français offrent de jolies occasions de jeux linguistico-amoureux.

Fortune de la tchén’ssâ

«Ah vous dirais-je scie à chaîne
M’as te présenter Courchesne.»
Mise en demeure, «Ah vous dirais-je maman», 2012

 

C’était le 19 mai : l’Oreille tendue proposait de regrouper quelques écrivains québécois sous l’étiquette d’École de la tchén’ssâ. La formule a été reprise.

Par Mélikah Abdelmoumen, sur le site Mediapart, le 3 juin, dans un texte intitulé «Cousins de personne (la France, le Québec et les “francophonies”)». Dans sa lettre — «Chère France — surtout la littéraire» —, elle ne fait pas dans la complaisance, c’est le moins qu’on puisse dire. Elle reproche notamment à son interlocutrice de méconnaître la diversité de la littérature québécoise.

Il y a le résolument expérimental où se croisent l’ombre de Joyce, le rire de Céline, la folie de Novarina, le joual, la poésie, les novlangues, et j’en passe; il y a le bucolique trash ultra-contemporain, «l’école de la tchén’ssâ», il y a un roman que tu considérerais plus «classique», dans une langue finement ciselée qui, non, tu vois, ne t’est pas exclusivement réservée; il y a ce polar ou ce noir déjantés, grinçants, écrits dans un style laconique ou aquinien (Hubert Aquin, un de nos immenses écrivains, que tu devrais avoir honte de ne pas connaître; cache-toi, vilaine !)… et tant d’autres mouvances encore.

Par Samuel Archibald, au micro de Marie-Louise Arsenault, dans le cadre de Plus on est de fous, plus on lit !, à la radio de Radio-Canada, le 12 juin. Un des autres invités de l’émission, Raymond Bock ou William S. Messier, préférait d’ailleurs «École de la tchén’ssâ» à «néoterroir», expression utilisée par… Samuel Archibald dans la revue Liberté.

Par Luba Markovskaia, sur le site la Recrue du mois, qui, en juin 2012, se demande, avec le plus grand sérieux, si Sur la 132, le roman de Gabriel Anctil, relève, ou pas, de l’École de la tchén’ssâ.

Par @Saint_Henri qui, le 29 juin, en offre, sur Twitter, une adaptation-traduction : «#FF Mon pote @WilliamSMessier quasi fondateur du néo terroir et de la tchenn’sa school of alphabetics.» Réponse de l’auteur de Townships : «Much obliged. Mais y a à peu près juste le “quasi” qui est factuel là-dedans. Je préfère “alt-terroir”.»

Par le romancier Jean-François Caron (@jfrancoiscaron), enfin, qui, en deux tweets, le 13 juillet, découvre, non sans étonnement, que l’Oreille a évoqué son nom dans sa présentation de l’école : «Ma démarche correspondrait à l’école de la tchén’ssâ, “composée de jeunes écrivains contemporains caractérisés par une présence forte de la forêt, la représentation de la masculinité, le refus de l’idéalisation et une langue marquée par l’oralité.” Eh bin» (premier tweet, deuxième tweet). Il parle également de cette appartenance supposée sur Facebook.

L’Oreille rosit jusqu’aux oreilles de ce succès d’estime.

 

[Complément du 25 janvier 2013]

Participant à l’émission Plus on est de fous, plus on lit ! sur les ondes de la radio de Radio-Canada, le professeur de littérature Jonathan Livernois croit que chainsaw sera un des mots de 2013.

Un des «treize événements littéraires de l’année 2013» du site Littéraires après tout, celui du mois de mars, n’est pas exempt de violence : «Afin de défendre l’honneur de son Cheuf [Samuel Archibald], l’École de la tchén’ssâ n’a d’autre choix que de faire irruption un jeudi soir au Radio Lounge du Quartier 10-30.»

Sur Facebook, on apprend qu’il serait question de cette école dans un cours de littérature donné à l’Université de Sherbrooke.

Les amis de Poème sale viennent de mettre en ligne une série de «photos souvenirs des membres de l’École de la tchén’ssâ» (merci à eux). «Collectionnez-les.» Oui.

 

Sucette et tronçonneuse

Précisions démolinguistiques

Selon des sources filiales proches de l’Oreille tendue, on pourrait vedger dans la solitude, mais il faudrait être au moins deux pour chiller. (Attention : il serait aussi possible de vedger à plusieurs.)

Dans un cas comme dans l’autre, on glandouille — on fait le légume (vegetable, dans la langue de Julia Child), on relaxe (to chill) —, mais l’un se pratique seul, alors que l’autre, jamais.

Exercice

Quand Grand Corps Malade chante «j’ai chillé sur Sainte-Catherine» («À Montréal», 3ème temps, 2010), veut-il dire qu’il n’était pas seul ou commet-il une faute d’usage (il était seul, donc il ne pouvait pas chiller) ?

N.B. Chiller est un verbe, mais l’adjectif chill est attesté : «“Full Chill”…» (la Presse, 17 avril 2004, p. S5); «full pas chill» (le Devoir, 13 janvier 2004, p. B6). Son sens ? Bien, cool, gentil, planant : «Papa, ça dépend du contexte…» Ah ! le fossé des générations !