Du nouveau dans la sacristie

L’Oreille tenduec’est de notoriété publique — aime sacrer. Elle a, entre autres penchants, un faible pour tabarnak. Criss ne lui déplaît pas non plus.

Elle ne connaissait toutefois pas tabarcrisse, qu’elle découvre dans «J’use d’la langue» (2008), une chanson d’Arseniq33 : «J’use d’la langue que j’m’expresse le mieux avec tabarcriss.»

Même si la chanson cite Nelligan et évoque Gérald Godin, Gaston Miron et Félix Leclerc, il n’est pas sûr qu’elle trouverait grâce aux oreilles de Mathieu Bock-Côté et de Christian Rioux. C’est comme ça.

Gainsbourg du jour

Le jour où l’Oreille tendue se cherchera un indicatif musical, elle pourrait le trouver chez le Serge Gainsbourg de la chanson, de 1961, «Les mots inutiles», aussi appelée «De Vienne à Vienne» ou «Le dernier souvenir».

Refrain :

Les mots sont usés jusqu’à la corde
On voit l’ennui au travers
Et l’ombre des années mortes
Hante le vocabulaire
Par la main, emmène-moi hors des lieux communs
Et ôte-moi de l’idée
Que tu ne peux t’exprimer
Que par des clichés

 

Onomastique estivale

Sauf erreur de l’Oreille tendue, ce devait être ici, au cours de l’entretien donné par Sébastien Fréchette, alias Biz, du groupe Loco Locass, à René Homier-Roy, dans le cadre de l’émission radiophonique la Bibliothèque de René, le 30 mai 2014.

L’animateur voulait savoir : pourquoi «Biz» ? Réponse de l’intéressé : au Québec, trois métiers supposent l’emploi d’un surnom, danseuse topless, moniteur de camp de jour et rappeur. Or Biz fait partie de la troisième catégorie.

L’Oreille prolongerait doublement cette fort pertinente remarque.

Ne faudrait-il pas ajouter à ces catégories socioprofessionnelles les motards criminels (pas criminalisés) ?

Le fils aîné de l’Oreille, à leur grand plaisir, est moniteur dans un camp de jour cet été. Malheureusement, du moins pour lui, on n’utilise pas de surnom dans ce camp. Padthaï, ce sera donc pour une autre fois.

La crise (supposée) du «franglais» : post-scriptum

Jeudi dernier, l’Oreille tendue proposait huit commentaires (brefs) sur la crise (supposée) du «franglais». Ci-dessous, trois autres, en guise de post-scriptum.

9.

En matière de langue, les contextes — sociaux, politiques, culturels, économiques, démographiques, etc. — sont fondamentaux.

La langue de Lisa LeBlanc ou de Radio Radio n’est pas celle des Dead Obies. La situation linguistique des Acadiens n’est pas celle des Québécois.

Ce que pensaient Étienne Parent en 1830 et Hubert Aquin en 1962 risque de pas s’appliquer parfaitement à l’actualité de 2014. (Attention : euphémisme.) Sur son blogue, Mario Asselin a des propos justes sur ce type d’anachronisme dans l’argumentation de certains.

10.

Dans le débat des derniers jours, il a beaucoup été question de bilinguisme, en l’occurrence d’un seul type de bilinguisme (anglais / français). Or il se trouve que la situation linguistique québécoise, comme n’importe quelle autre situation linguistique, est faite du contact de plusieurs langues, pas uniquement de deux. Ainsi que l’a montré Rainier Grutman en 1997, c’était déjà vrai au Québec au XIXe siècle. Démographie oblige, ce l’est encore plus aujourd’hui, et tout particulièrement à Montréal. Pierre Nepveu, dans des textes de 2012 et de 2013, a souligné les enjeux, sociaux et esthétiques, de ces formes de colinguisme. La ville : lieu de toutes les langues et de leurs interactions.

11.

Les langues naissent et les langues meurent.

Il est théoriquement possible d’assister à la mort d’une langue, par exemple quand disparaît son dernier locuteur. (Ainsi que le faisait remarquer en 2013 Louis-Jean Calvet, il faut se méfier de cette métaphore de la mort des langues, mais faisons comme si.)

En revanche, la naissance d’une langue prend du temps. Les choses ne changent pas du jour au lendemain.

 

Références

Calvet, Louis-Jean, «Quelles langues parlera-t-on demain ?», dans François Gaudin (édit.), la Rumeur des mots, Rouen, Presses universitaires de Rouen et du Havre, 2013, p. 61-75.

Grutman, Rainier, Des langues qui résonnent. L’hétérolinguisme au XIXe siècle québécois, Montréal, Fides — CÉTUQ, coll. «Nouvelles études québécoises», 1997, 222 p.

Nepveu, Pierre, «Langue. Au-delà du français menacé», le Devoir, 22 septembre 2012.

Nepveu, Pierre, «Une apologie du risque», Liberté, 300, été 2013, p. 8-9. https://id.erudit.org/iderudit/69406ac

Titre du jour

Lisant un texte de Dena Goodman sur l’orthographe à l’âge classique, l’Oreille tendue tombe sur ce titre de l’abbé Louis Barthélemy : la Cantatrice grammarienne, ou l’art d’apprendre l’Orthographe française seul, sans le secours d’un Maître, par le moyen des Chansons érotiques, pastorales, villageoises, anacréontiques, &tc. (À Genève; et se trouve à Paris : chez Briand, 1788, xvi/416 p.).

Cela donne à rêver.

 

Référence

Goodman, Dena, «L’ortografe des dames : Gender and Language in the Old Regime», French Historical Studies, 25, 2, printemps 2002, p. 191-223.