Dictionnaire des séries 09

«There’s always room on our team for a goon
Son, we’ve always got room for a goon»
Warren Zevon, «Hit Somebody ! (The Hockey Song)», 2001

 

Il faut le constater : toutes les équipes de hockey comptent maintenant en leurs rangs des joueurs engagés plus pour leur talent pugilistique qu’hockeyistique.

On les désigne de plusieurs façons : homme fort, bagarreur, policier. Venus de l’anglais, on voit aussi goon ou bully (ce qui donne, dans la langue de Pierre Bouchard, boulé).

Ces fiers-à-bras se battent généralement entre eux, après une invitation à valser.

Il faut constater la présence de ces joueurs et la déplorer.

P.-S. — Un des plus intéressants romans écrits sur le hockey dans la langue de Dave Semenko, The Last Season, de Roy MacGregor, suit le parcours jusqu’en Finlande d’un de ces redresseurs de torts, Felix Batterinski. Parmi ses surnoms, on trouve Kovanaama (bully en finlandais).

 

[Complément du 19 octobre 2015]

Comment Shayne Corson, 239 combats en 18 ans de carrière, se définit-il ? «On soumet notre corps à beaucoup de coups. On a pu observer l’état du cerveau des joueurs qui sont morts. C’est inquiétant. Ils étaient des pacificateurs, appelons les choses par leur nom.» Pacificateur : c’est dans la Presse+ du jour.

 

[Complément du 6 juin 2019]

Gaétan Barrette a été ministre de la Santé du gouvernement du Québec. S’il a fait l’unanimité, ce n’est probablement pas en sa faveur. Devenu député d’opposition, il ne fait toujours pas l’unanimité. Aujourd’hui, à l’Assemblée nationale, le premier ministre de la province l’a traité de «goon de La Pinière», La Pinière étant la circonscription électorale que Gaétan Barrette représente. François Legault a dû retirer ses propos : on ne parle pas au parlement comme sur la glace.

 

[Complément du 18 juin 2019]

En 2017, un tweet de Jean-François Bégin, de la Presse+, a attiré l’attention de l’Oreille tendue sur le neuvième chapitre, «L’empire des brutes» (p. 215-250), de l’ouvrage les Nordiques. 10 ans de suspense, de Claude Larochelle. La fureur synonymique qui enflamme l’auteur en matière de goon est belle à voir, avec ou sans guillemets : «brutes» (p. 215, p. 218, p. 226, p. 249), «hercules de foire» (p. 215), «matraqueurs» (p. 216, p. 228), «dérouilleurs» (p. 216), «pugiliste» (p. 216), «équarisseur» (p. 216), «boulés» (p. 216), «taupins» (p. 216, p. 217, p. 218, p. 243), «tueurs à gages» (p. 217), «animals» (p. 217), «tueurs» (p. 217), «justiciers» (p. 217, p. 246), «policiers» (p. 217), «coupeurs de têtes» (p. 218), «hommes forts» (p. 218), «redresseurs de torts» (p. 219), «pans de mur» (p. 219), «dur à cuire» (p. 243, p. 248), «joueurs robustes» (p. 245), «bagarreur» (p. 245), «casseurs» (p. 245), «rudes gaillards» (p. 246), «gros bras» (p. 246), «gardes du corps» (p. 247), «vandales» (p. 250). On applaudit.

 

[Complément du 14 octobre 2019]

«Yves-François Blanchet. Pour en finir avec le “goon”», titre aujourd’hui la Presse+, dans un article faisant le portrait du chef du Bloc québécois. On peut notamment y lire ceci : «“Casseur (au service de quelqu’un)”. C’est la traduction du mot goon que propose le dictionnaire Larousse. C’est aussi l’épithète qui colle à la peau du chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet.» Le principal intéressé le reconnaît : «En juin dernier, à la table de La Cabosse d’Or, Yves-François Blanchet l’avait bien dit. “Ça arrive de temps en temps que je juge à propos de sortir le goon de sa cage cinq minutes et de le renvoyer dedans ensuite. Ça peut servir encore”, a-t-il prophétisé.» Le goon serait-il un animal, lui qu’il faudrait garder en cage ?

 

[Complément du 5 février 2014]

Les 57 textes du «Dictionnaire des séries» — repris et réorganisés —, auxquels s’ajoutent des inédits et quelques autres textes tirés de l’Oreille tendue, ont été rassemblés dans le livre Langue de puck. Abécédaire du hockey (Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p., illustrations de Julien Del Busso, préface de Jean Dion, 978-2-923792-42-2, 16,95 $).

En librairie le 5 mars 2014.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014)

 

Références

Larochelle, Claude, les Nordiques. 10 ans de suspense, Sillery (Québec), Lotographie, [1982], 358 p. Ill. Autre édition : Montréal, France-Amérique, 1982, 358 p. Ill.

MacGregor, Roy, The Last Season, Toronto, Macmillan of Canada, 1983, 310 p.

Dictionnaire des séries 03

Julie Snyder et Maurice Richard

«Ça sent la coupe.»

C’est le titre d’un roman de Matthieu Simard (2004), où la phrase est reprise une quinzaine de fois, sous des formes diverses.

Ce devrait être le nom d’un salon de coiffure près du Centre Bell.

C’est surtout l’expression de la croyance en la conquête nécessairement montréalaise de la coupe Stanley, le trophée remis au champion de la Ligue nationale de hockey, la «Coupe sacrée» chantée par Annakin Slayd en 2009, le «Graal» de Loco Locass (2009). À ce titre, c’est une des formes de la pensée positive.

C’est plus souvent encore le rappel d’une déception dans «la capitale d’la coupe Stanley» (Éric Lapointe) : «Ça sentait la coupe.»

 

[Complément du 5 février 2014]

Les 57 textes du «Dictionnaire des séries» — repris et réorganisés —, auxquels s’ajoutent des inédits et quelques autres textes tirés de l’Oreille tendue, ont été rassemblés dans le livre Langue de puck. Abécédaire du hockey (Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p., illustrations de Julien Del Busso, préface de Jean Dion, 978-2-923792-42-2, 16,95 $).

En librairie le 5 mars 2014.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014)

 

Références

Lapointe, Éric, «Hymne à Montréal (Ville-Marie)», la série Montréal-Québec – Single, 2010, 4 minutes 13 secondes.

Loco Locass, «Le but», 2009, 5 minutes 8 secondes, fichier audionumérique. Repris sur Le Québec est mort, vive le Québec, 2012, étiquette Audiogramme.

Simard, Matthieu, Ça sent la coupe. Roman, Montréal, Stanké, 2004, 270 p. Rééd. : Montréal, 10/10, 2008, 256 p.

Slayd, Annakin, «La 25ième», 2009, 3 minutes 32 secondes, single, étiquette Untimely Ripped Ent. SDTHE101.

Dictionnaire des séries 02

Tatouage, flambeau, Canadiens de Montréal

Comment reconnaître un vrai partisan des Canadiens de Montréal ? À une époque, c’était facile : il avait le CH tatoué sur le cœur.

Les artistes connaissent bien cette métaphore. Le poème «Canadien» (1991) de Bernard Pozier contient ces vers : «et cet emblème aux deux lettres entrecroisées / que l’on dit tatoué sur le cœur» (p. 11). Dans les Taches solaires (2006), Jean-François Chassay a la même formule pour caractériser un de ses «Jean Beaudry» : «le sigle du Canadien tatoué sur le cœur» (p. 345).

Clark Blaise abandonne la métaphore. Dans sa nouvelle «I’m Dreaming of Rocket Richard» (1974), le narrateur se souvient que son père s’était fait tatouer une scène de hockey dans le dos : «The tattoo pictured a front-faced Rocket, staring at an imaginary goalie and slapping a rising shot through a cloud of ice chips» («Le tatouage représentait le Rocket vu de face, dévisageant un gardien imaginaire et tirant sur lui dans un nuage d’éclats de glace», p. 69).

Aujourd’hui, si l’on doit en croire Réal Béland, cela ne suffit plus. Écoutez sa chanson «Hockey bottine» (2007) : «Tout l’monde dans l’temps avait l’CH tatoué / Ç’a ben changé / C’est dans nos mam’lons qu’i est percé.»

Autres temps, autres mœurs.

 

[Complément du 3 mai 2013]

Il existe nombre de chansons consacrées au hockey. Le jour même où l’Oreille tendue publiait le texte qui précède, Les jumeaux Tadros en lançaient une, «La game (go)». Sur YouTube, où on peut l’entendre, on affirme qu’il s’agit de «La chanson Officielle des séries éliminatoires de Hockey» (majuscules certifiées d’origine). On y trouve l’expression «le hockey tatoué su’l cœur». Le monde du hockey est petit.

 

[Complément du 5 février 2014]

Les 57 textes du «Dictionnaire des séries» — repris et réorganisés —, auxquels s’ajoutent des inédits et quelques autres textes tirés de l’Oreille tendue, ont été rassemblés dans le livre Langue de puck. Abécédaire du hockey (Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p., illustrations de Julien Del Busso, préface de Jean Dion, 978-2-923792-42-2, 16,95 $).

En librairie le 5 mars 2014.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014)

 

Références

Béland, Réal, «Hockey bottine», Réal Béland Live in Pologne, 4 minutes, disque audionumérique, 2007, étiquette Christal Musik CMCD9954.

Blaise, Clark, «I’m Dreaming of Rocket Richard», dans Tribal Justice, Toronto, General Publishing Co. Limited, coll. «New Press Canadian Classics», 1984, p. 63-72. Édition originale : 1974.

Chassay, Jean-François, les Taches solaires. Roman, Montréal, Boréal, 2006, 366 p. Ill.

Pozier, Bernard, Les poètes chanteront ce but, Trois-Rivières, Écrits des Forges, coll. «Radar», 60, 1991, 84 p. Ill. Réédition : Trois-Rivières, Écrits des Forges, 2004, 102 p.

Autopromotion 065 et esprit d’escalier

Dans le champ lexical, émission de radio, logo

L’Oreille tendue sera à l’émission Dans le champ lexical cet après-midi, entre 13 h et 14 h, sur les ondes de CIBL, pour parler murs. Il sera question de Montréal, Paris et Bangkok; de Maurice Richard, de Charles Baudelaire, de Jean-François Vilar et de Jean Echenoz; de graffitis, d’affiches et de publicités; de mots, d’images et de sons; de la ville comme livre, bref.

 

[Complément du 30 avril 2013]

On peut (ré)entendre l’émission ici ou sur iTunes.

***

Ce n’est pas la première fois que l’Oreille a le plaisir de collaborer à cette émission. Le 24 janvier 2012, elle y a lu un texte sur les clichés du sport. Le voici.

On pourrait avoir l’impression que les choses sont simples. D’un côté, il y aurait les gens qui aiment le sport, les amateurs de sport, comme on dit à la radio, voire les gérants d’estrade, quand ce ne sont pas carrément des puck bunnies. De l’autre, il y aurait ces personnes qui ont tort de ne pas aimer le sport, qui pensent que le stade a remplacé l’église, bref que nous sommes soumis à un nouvel opium du peuple.

Mais les choses, vous le savez, ne sont jamais simples. Cette opposition entre croyants et mécréants masque une vérité fondamentale : nous baignons tous, que nous le voulions ou non, dans la culture du sport. C’est même elle qui nous unit parfois.

On pourrait faire savant et prouver cela en remontant à l’Antiquité et en dissertant sur les représentations d’athlètes qui ornent les vases grecs ou romains. Concentrons-nous plutôt sur le sport moderne, celui qui a été institutionnalisé à compter du XIXe siècle grosso modo. Plus précisément encore, parlons des images, des sons et des mots du sport professionnel d’aujourd’hui.

Souvenez-vous. C’était le 16 avril 1953. Au Forum de Montréal, les Canadiens remportent 1 à 0 leur match contre les vilains Bruins de Boston, et par le fait même la coupe Stanley. Elmer Lach marque le but gagnant tôt au cours de la première période de prolongation, sur une passe de nul autre, évidemment, que Maurice «Le Rocket» Richard. Le photographe Roger Saint-Jean rate le but lui-même, mais sa photo de Lach et Richard en train de s’envoler pour se féliciter va devenir célèbre. La preuve ? Quand le quotidien le Devoir choisit huit photos «connues par la grande majorité des Québécois», la première retenue est celle prise par Saint-Jean. Vous avez bien entendu : «la grande majorité des Québécois», pas «la grande majorité des Québécois de souche» ni «la grande majorité des amateurs de hockey» — non : «la grande majorité des Québécois».

Souvenez-vous maintenant du dernier match de baseball auquel vous avez assisté. Qu’est-ce que vous avez fait au milieu de la septième manche ? Vous avez fait comme tout le monde : vous vous êtes levé et vous vous êtes mis à chanter : «Take me out to the ball game / Take me out with the crowd.» Vous faussez ? Peu importe. Vous ne connaissez pas les paroles ? Tournez-vous vers le tableau d’affichage : elles sont là. Mais surtout regardez autour de vous, regardez vos semblables, vos frères, tous unis dans une même chanson parfaitement banale et parfaitement nécessaire.

Voici le moment venu d’ouvrir votre journal. Vos joueurs favoris, ceux du bleu blanc rouge, ne sont pas en déplacement; ils font un périple de quelques matchs. Vous êtes déçu de leurs résultats ? Soyez indulgent : ils donnent leur 110 %, mais la puck ne roule pas pour eux; leur gardien paraît mal et il donne des buts douteux; il contrôle mal son biscuit et il a une faiblesse entre les jambes. L’entraîneur, quelle que soit sa langue, a bien essayé de couper son banc, mais sans succès : personne n’est capable de déjouer le cerbère de l’autre équipe. Il va falloir vous faire une raison : la sainte flanelle n’est plus ce qu’elle était, les glorieux sont une espèce en voie de disparition et ça ne sent plus du tout la coupe dans la Mecque du hockey. Les bras meurtris des joueurs du tricolore ne sont plus capables de passer le flambeau; les fantômes du Forum sont inconsolables.

Vous venez d’entendre une série de clichés. Vous les avez compris ? Allez allez : dites la vérité. Ces lieux communs jouent exactement le même rôle que les images et que les sons dont il a été question tout à l’heure. Ils servent à créer des communautés : la communauté des partisans d’une équipe; la communauté des passionnés d’un sport; la communauté soudée derrière un joueur; la communauté d’une ville, d’une province, d’un pays.

Vous pouvez bien essayer de vous isoler de cette communauté, mais vous n’y arriverez pas. Que vous y croyiez ou non, que vous le vouliez ou non, que vous le sachiez ou non, le sport, c’est vous.

L’être, ne pas en avoir l’air ni le faire

Soit les possibilités suivantes.

Être smatte : être aimable, attentionné, gentil.

Avoir l’air smatte : faire bonne impression.

Exemple : Ta nouvelle dulcinée a l’air smatte; Justin Trudeau n’a pas l’air smatte.

Avoir l’air smatte : se retrouver dans une position désavantageuse, souvent par sa propre faute.

Exemple : «Moi qui ne sais même pas réparer une crevaison. J’ai l’air smatte. #velomtl #smatte #flat http://t.co/IyesdYW0PG» (@LucieBourassa).

Faire son smatte : rouler les mécaniques.

«Au Québec, désigne quelqu’un qui se considère très supérieur et qui ne se gêne pas pour le faire savoir» (Un Québec si lointain, p. 211).

On ne les confondra pas.

Remarques grammatico-orthographiques

On peut employer le mot smatte comme nom ou comme épithète.

«@PimpetteDunoyer Que dire des smattes qui sortent déjà, à 8 degrés, en short (version cuissarde ou standarde) et en camisole ? #VeloMtl» (@LucieBourassa).

Le mot vient de l’anglais smart (intelligent, malin, futé, astucieux, habile, etc.).

À côté de smatte, on trouve donc, à l’occasion, la graphie smarte.

Albert Chartier et Claude-Henri Grignon mêlent les deux («smarte», p. 171; «smatte», p. 207).

Albert Chartier, Séraphin

Albert Chartier, Séraphin

 

[Complément du 29 avril 2013]

Daniel Lavoie a interprété une «Danse du smatte».

 

Références

Dubois, Richard, Un Québec si lointain. Histoire d’un désamour, Montréal, Fides, 2009, 213 p.

Grignon, Claude-Henri et Albert Chartier, Séraphin illustré, Montréal, Les 400 coups, 2010, 263 p. Préface de Pierre Grignon. Dossier de Michel Viau.