Oxymores citadins, la suite

Dans le même ordre d’idées que le billet d’hier, ceci, du site de l’Office francoquébécois pour la jeunesse (mais c’est aussi placardé en ville) :

Le Festival Montréal Electronic Groove (MEG), présente sa 12ème édition du 29 juillet au 1er août 2010. Il s’impose depuis plus de 10 ans comme un espace d’expression incontournable pour les talents de la scène musicale électronique, confirmant ainsi sa vocation de défricheur de musiques urbaines et faire de Montréal une plaque tournante des découvertes musicales les plus en vogue.

Défricher en ville : voilà un défi. Déchiffrer ce message : en voici un autre. (Une virgule en trop; 12ème pour 12e; une grosse faute de syntaxe.)

Chronique ornithologique

Soit la phrase suivante : «Après le CHUM [Centre hospitalier de l’Université de Montréal], la liaison ferroviaire entre [l’aéroport] Dorval et le centre-ville, le TGV [Train grande vitesse], alouette, la résignation ronchonneuse est devenue le trait distinctif des Québécois» (la Presse, 14 juillet 2010, p. A3).

Que vient faire là, près des trains, d’un aéroport et d’un hôpital, ce «Petit oiseau à plumage gris ou brunâtre» (le Petit Robert) ? Réponse : le mot alouette, au Québec, peut être synonyme d’etc.

Comment en est-on arrivé à cette équivalence ? Par la chanson traditionnelle, évidemment :

Alouette, gentille alouette,
Alouette, je te plumerai.
[…]
Je te plumerai les pattes (bis)
Et le dos (bis)
Et les ailes (bis)
Et le cou (bis)
Et la tête (bis)
Et les yeux (bis)
Et le bec (bis)
Alouette (bis) ah

Leçons d’anatomie

«Putamen», par Woutergroen

L’Oreille tendue a un peu de mal.

Selon son Petit Robert, le cerveau est la «Masse nerveuse contenue dans le crâne de l’homme, comprenant le  cerveau […], le cervelet, le bulbe et les pédoncules cérébraux» ou la «Partie antérieure et supérieure de l’encéphale des vertébrés formée de deux hémisphères cérébraux et de leurs annexes (méninges).» Il ne paraît donc pas être un muscle, cette «Structure organique contractile qui assure les mouvements.» Si tant est qu’une crampe soit bel et bien une «Contraction douloureuse, involontaire et passagère d’un muscle ou d’un groupe de muscles», on ne devrait donc pas avoir de crampe au cerveau.

Ce n’est pas l’avis du journal la Presse : «La crampe au cerveau [du Brésilien] Felipe Melo, dont l’expulsion pour avoir cramponné Arjen Robben a forcé les Auriverdes à finir le match à 10, a certes aidé les Néerlandais» (cahier Sports, 10 juillet 2010, p. 3).

Mais il y a plus délicat.

Les définitions du cerveau qu’on vient de lire sont classées sous la rubrique «Concret». Il y a aussi une rubrique «Abstrait», dans laquelle on trouve la définition suivante : «Le siège de la vie psychique et des facultés intellectuelles», laquelle est suivie des synonymes esprit, tête, cervelle.

Peut-on imaginer une crampe de l’esprit ? Oui, si l’on en croit Tanguy Viel, dans Insoupçonnable (p. 81).

Le cerveau de l’Oreille tendue, lui, n’arrive pas à tout bien suivre.

 

[Complément du 2 juillet 2014]

«Crampe au cerveau» est une chanson de Serge Fiori sur l’album qui porte son nom (étiquette Gsi musique, 2014), chanson peu amène envers le ROC (Rest of Canada).

 

[Complément du 7 mai 2015]

Hier soir, les Canadiens de Montréal — c’est du hockey — ont perdu leur match contre le Lightning de Tampa Bay. Andreï Markov, le défenseur de Montréal, lui pourtant si fiable depuis des années, a joué un mauvais match (ce n’est pas son premier des présentes séries éliminatoires). Cela a entraîné le commentaire suivant, sur Twitter, d’@ArponBasu : «If there was a brain farts/60 stat, I think Markov would be leading the playoffs.» Selon lui, si une statistique du nombre de «brain farts» par 60 minutes de jeu (la durée d’un match de hockey) existait, Markov y dépasserait tout le monde.

Mais que sont ces flatuosités du cerveau ou de l’espritbrain farts») ? Parmi les 30 définitions que donne le Urban Dictionary de ce mot («brain fart» ou «brainfart»), beaucoup étant liées au défaut de mémoire, une retient particulièrement l’attention de l’Oreille : «An involuntary release of stupidity. Usually at the least opportune time» (Quelque chose d’involontairement stupide, au moment le moins opportun). N’est-ce pas aussi cela la crampe au cerveau ?

 

[Complément du 22 mars 2017]

Dans la Presse+ du jour, le journaliste Patrick Lagacé traduit «ce que les Anglais appellent joliment un brain fart» par pet de / du cerveau.

 

[Complément du 10 décembre 2020]

La crampe au cerveau ne serait pas qu’individuelle si l’on en croit le quotidien le Devoir : «Même en retenant l’hypothèse d’une crampe au cerveau collective, l’Assemblée nationale a eu de multiples occasions de s’amender» (8 décembre 2020, p. A4).

 

[Complément du 24 mai 2023]

Ni crampe ni pet, la bulle : «Après avoir donné une mise en échec à Mark Stone, le capitaine des Stars [Jamie Benn] a eu ce qui s’apparente à une bulle au cerveau : il a asséné un inutile et brutal double échec au visage de son adversaire déjà étendu à ses pieds» (la Presse+, 24 mai 2023).

 

Illustration : partie externe du noyau lentiforme du cerveau, image déposée sur Wikimedia Commons

 

Référence

Viel, Tanguy, Insoupçonnable, Paris, Éditions de Minuit, coll. «Double», 59, 2009, 138 p. Édition originale : 2006.

Littérature concrète

François Bon, Bob Dylan, 2007, couverture

Après tout le monde, l’Oreille tendue vient de lire Bob Dylan. Une biographie de François Bon (2007).

Parmi toutes les choses à retenir de ce livre, un mot : gravier, et ses trois occurrences.

«Dans The Times They Are a-Changin’, cette déconstruction de la syntaxe, traitée comme du gravier, passe pour la première fois à l’avant-plan, devient la matière même de la voix […]» (p. 240).

«Des textes qu’il appelle, comme nous-mêmes écrivains ne l’oserions jamais, des “objets rythme”, just rhythm things : si on se lance dans une biographie, c’est aussi pour y recueillir, à suffisant grossissement de microscope, ces graviers qu’on garde, et qui nous déplacent dans notre propre rapport au langage» (p. 392-393).

«L’immense gravité des chansons de 1963 : pas seulement les paroles, mais l’enregistrement musical (Rocks And Gravel, Moonshiner) et le gandin de vingt-deux ans qui s’agite, rit, fume et boit plus qu’il ne faudrait, fait la fête et écrit dans les bistrots» (p. 465-466).

Syntaxe, rapport au langage, paroles — et gravier : les mots sont des choses dures.

P.-S. — FB aime le mot gravier.

P.-P.-S. — Dans ce cas-là, garnotte ferait moins bien l’affaire.

 

Référence

Bon, François, Bob Dylan. Une biographie, Paris, Le grand livre du mois, 2007, 485 p.

Un accent chanté

Gaële, Diamant de papier, 2010, pochette

Elle est née en France, elle vit au Québec, elle pousse la chansonnette : Gaële.

Sur son album Diamant de papier (Productions de l’onde, 2010), elle chante «L’accent d’icitte», avec Richard Desjardins, en ouverture et en clôture, dans le rôle de l’accent.

Cet accent, elle déplore ne pas le maîtriser : «J’aurai jamais l’accent d’icitte / Pourtant c’est pas faute d’avoir essayé.» En effet : elle parsème ses paroles de «tout p’tit boutte» (trois fois), de «pas pantoute», de «vingt-cinq cennes» et de «pis».

Comme il se doit, les jurons ont leur place :

De la bouche serrée
À la mâchoire slaque
Du putain d’merde
À l’ostie d’tabarnak
Au fil des années
J’ai tissé les trésors
De ma langue bric-à-brac

Linguistiquement, c’est assez prévisible. Musicalement, plus d’entrain aurait été bienvenu. Bref, on ne peut pas tout avoir.