23 mars 1944

Tableau de Jack Reppen, «#5 in the Prudential Collection “Great Moments in Canadian Sport”», 1961

Le 23 mars 1944, pendant les séries éliminatoires, au Forum de Montréal, dans une victoire de 5 à 1, Maurice Richard marque les cinq buts de son équipe, les Canadiens — c’est du hockey —, contre les Maple Leafs de Toronto et il obtient les trois étoiles du match.

Un publiciste des Canadiens, Camil DesRoches, affirme dans le documentaire Peut-être Maurice Richard de Gilles Gascon (1971) que le Forum recevait «des milliers de téléphones à tous les ans» de gens qui voulaient vérifier le résultat de ce match.

Le même DesRoches a consacré une strophe d’un long poème à ce match :

Et nous voilà rendus aux séries pour la coupe,
D’abord contre Toronto, en premier une défaite,
Richard décide d’y voir et dans la second’ joute,
Maurice compte les cinq buts… Les Maple Leafs sont «frets».

(On appréciera la rime «défaite» / «frets».)

Une bande dessinée évoque ce haut fait d’armes dans Babe Ruth Sports Comics en février 1950. De même, la soirée est rapportée par des dizaines de commentateurs, en français comme en anglais.

Elle est souvent l’objet de récits erronés. Ainsi, dans le cadre de «La rue Sainte-Catherine fait la une», une exposition présentée au Musée Pointe-à-Callière du 7 décembre 2010 au 24 avril 2011, on pouvait lire : «5 buts et 3 passes en un seul match; il obtient les 3 étoiles de la rencontre !» Les concepteurs de l’exposition confondaient les événements du 23 mars avec ceux (à venir) du 28 décembre 1944. (Dans la Presse du 15 mars 1998, Stéphane Laporte fait la même confusion.) Rien là d’étonnant : on ne prête qu’aux riches.

La soirée du 23 mars 1944 est une des pièces essentielles du mythe de Maurice Richard : déjà jeune (il a 22 ans), il est l’homme des grandes occasions. Il le restera longtemps.

P.-S. — Certains disent que les trois étoiles ont été attribuées à Richard par Foster Hewitt ou par Elmer Ferguson. Le plus souvent, on parle toutefois de Charles Mayer, même si celui-ci ne revendique pas explicitement ce choix dans Dow présente l’épopée des Canadiens (1956, p. 183).

Illustration : tableau de Jack Reppen, «#5 in the Prudential Collection “Great Moments in Canadian Sport”», 1961. Une reproduction de ce tableau était offerte aux nouveaux clients de la compagnie d’assurances Prudential Life au début des années 1960.

[Ce texte reprend des analyses publiées dans les Yeux de Maurice Richard (2006).]

 

Références

Dow présente l’épopée des Canadiens (par Charles Mayer) de Georges Vézina à Maurice Richard. 46 ans d’histoire. 1909-1955, Montréal, Brasserie Dow, 1956 (nouvelle édition revue et corrigée), 198 p. Ill. Préface de Léo Dandurand. L’édition originale date de 1949.

Laporte, Stéphane, «Mes oncles et Maurice Richard», la Presse, 15 mars 1998, p. A5.

«Maurice “The Rocket” Richard. Hockey’s Battling Terror», Babe Ruth Sports Comics, 1, 6, février 1950, [s.p.]. Bande dessinée. Reproduite par Paul Langan dans Classic Hockey Stories. From the Golden Era of Pulp Magazines, 1930s-1950s (Chez l’Auteur, 2021, p. 219-221).

Melançon, Benoît, les Yeux de Maurice Richard. Une histoire culturelle, Montréal, Fides, 2006, 279 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Nouvelle édition, revue et augmentée : Montréal, Fides, 2008, 312 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Préface d’Antoine Del Busso. Traduction : The Rocket. A Cultural History of Maurice Richard, Vancouver, Toronto et Berkeley, Greystone Books, D&M Publishers Inc., 2009, 304 p. 26 illustrations en couleurs; 27 illustrations en noir et blanc. Traduction de Fred A. Reed. Préface de Roy MacGregor. Postface de Jean Béliveau. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2012, 312 p. 42 illustrations en noir et blanc. Préface de Guylaine Girard.

Peut-être Maurice Richard, documentaire de 66 minutes 38 secondes, 1971. Réalisation: Gilles Gascon. Production: Office national du film du Canada.

«Poésie à la “Jean Narrache” due à la plume de Camil DesRoches et dédiée à Maurice “Record” Richard. — Cette poésie fut débitée à la Parade Sportive le 14 janvier 1945 au poste CKAC», poème sur feuille volante, s.d.

Les Yeux de Maurice Richard, édition de 2012, couverture

Les 9 R

Grégoire Courtois, les Lois du ciel, 2016, couverture

Résumé. Une gastro, puis seize morts, dont une majorité d’enfants, en forêt, dans l’horreur maintenue mais renouvelée en ses formes.

Rouge : sang.

Représentativité. Cette phrase n’est pas du tout représentative du ton du roman : «Parfois les enfants aiment à se perdre dans la contemplation des choses simples» (p. 126). Surtout pas du ton des pages finales, plus gore que gore.

Répétitions. Grégoire Courtois aime beaucoup l’expression tendre l’oreille; il l’utilise au moins sept fois.

Rhétorique. L’amateur de zeugmes se régalera.

Réflexivité. La littérature n’est pas morale (p. 154-155). Pas du tout.

Recommandation. À lire. Ouf et ouf et ouf.

Restricted, comme on dit au cinéma. Âmes sensibles, cependant, s’abstenir. Vous aurez été prévenues.

 

[Complément du jour]

Allons-y pour un autre R.

Remarquable. L’écriture de ce roman l’est.

 

Référence

Courtois, Grégoire, les Lois du ciel. Roman, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 99, 2016, 195 p.

La néologIE du mercredi matin

Poétocratie, couvertureAthlétométrie : méthode d’analyse statistico-sportive défendue par Philippe Navarro (2014).

Cauchemarologie : étude cauchemardeuse (@franceculture).

Dette-cratie : la soumission par la dette (en vidéo).

Éphébophilie : est aux adolescents ce qu’est aux enfants la pédophilie.

Exomusicologie : «Qu’est-ce que l’exomusicologie ?» (@dcdb) La question se pose, en effet.

Extrêmophilie : «De + en +, on doit tenir compte que nos sondes pourraient contaminer les planètes qu’elles visitent : extrêmophiles. http://news.nationalgeographic.com/2016/09/mars-journey-nasa-alien-life-protection-humans-planets-space/» (@MatthieuDugal).

Ludothérapie : jouer pour guérir (@franceculture).

Nanarophilie : la passion du navet, pour Antonio D. Leiva et Simon Laperrière (2015). Pas le légume.

Néomanie : l’amour du nouveau (@franceculture).

Poétocratie : les poètes au pouvoir, chez Fabula.

Sociocratie : «un mode de gouvernance inventé par l’ingénieur Gerard Endenburg aux Pays-Bas, [qui] existe depuis les années 70. Tout comme l’holacratie, la sociocratie fonctionne selon des cercles de concertation et rejette la pyramide hiérarchique pour les prises de décision» (la Presse, 20 juin 2015, cahier Affaires, p. 9).

Teutomanie : l’amour de l’Allemagne, selon Victor Klemperer (1996, p. 307).

Tocophobie : la peur d’accoucher, dixit la Presse+ du 7 février 2017.

 

Références

Dominguez Leiva, Antonio et Simon Laperrière, Éloge de la nanarophilie, Neuilly-lès-Dijon, Le murmure, coll. «Borderline», 2015, 75 p.

Klemperer, Victor, LTI, la langue du IIIe Reich. Carnets d’un philologue, Paris, Albin Michel, coll. «Agora», 202, 1996, 372 p. Traduit de l’allemand et annoté par Élisabeth Guillot. Présenté par Sonia Combe et Alain Brossat.

Navarro, Philippe, La puck roulait pas pour nous autres… 44 saisons de la LNH décortiquées, Québec, Sylvain Harvey, 2014, 191 p. Préface de Mathias Brunet.

Cinéphilie(s)

André Habib, la Main gauche de Jean-Pierre Léaud, 2015, couverture

«Que reste-t-il de nos amours cinématographiques ?»

Cinéma Marseille (pourquoi ce nom ?), boulevard Industriel, Repentigny : découverte du kung-fu, de la peur des rats (Willard, de Daniel Mann, 1971), de parties anatomiques jamais vues.

Cinéma Granada, rue Ontario Est, Montréal, qui n’était pas encore le théâtre Denise-Pelletier : Ilsa, la louve des SS (de Don Edmonds, 1975), un samedi soir, tard, en bande.

Cinéma Outremont, rue Bernard, Outremont : Harold et Maude (de Hal Ashby, 1971), pour un journal étudiant, en 1976.

Cinéma Desjardins 2, rue Sainte-Catherine Ouest, Montréal : Possession (d’Andrej Zulawski, 1981), pour un autre journal étudiant. (Aucune image du film.)

Mais nul souvenir de première fois pour Casablanca (de Michael Curtiz, 1942), pourtant vu plus de vingt fois. (Au Séville ?)

Pourquoi ces notations ?

Parce que l’Oreille tendue vient de lire un essai fascinant sur la «mémoire intime» des films, l’émotion cinématographique, la «phénoménologie cinéphilique». Cela s’appelle la Main gauche de Jean-Pierre Léaud (2015). Ce que son auteur, André Habib, dit de son amour («fou, déraisonnable») du cinéma, des conditions concrètes de projection et de réception des films, de la vie cinématographique au Québec depuis les années 1930 (par les souvenirs de cinéphiles amis), entre autres sujets abordés, est passionnant. C’est bourré d’informations, de noms propres, de titres, de dates, de noms de salles, cela mis au service d’une subjectivité, d’expériences, d’«actes de spectateur», et de hautes exigences d’écriture : «Je tente seulement de saisir, de décrire, de nommer, de faire parler, au plus proche, ces tessons de temps scintillants que je porte en moi, les faire tourner entre mes doigts. Décrire ces états de fascination qui me dépassent.» Voilà un essai qui force le lecteur à repenser (et à revivre, avec ses propres moyens) son passé de spectateur.

 

Référence

Habib, André, la Main gauche de Jean-Pierre Léaud, Montréal, Boréal, coll. «Liberté grande», 2015, 309 p. Ill.

Mise au point amicale

Bandeau du site fantomesduforum.net

L’Oreille tendue aime le journaliste sportif Jean Dion. La réciproque est-elle vraie ? On peut le penser : Dion a en effet préfacé un des livres de l’Oreille. (Merci encore.)

Mais l’amour ne doit pas rendre aveugle. Prenons un passage de son article du jour dans le quotidien montréalais le Devoir, «Durs temps pour les vieux» (p. C9) :

Oui, cela relevait déjà de l’insulte, mais en plus, [Aleksandr] Ovechkin s’est permis de venir enfiler ce 544e [but] à Montréal. Parfaitement : sous la bannière du numéro 9 [Maurice Richard] suspendue à la voûte du Centre Bell Téléphone. Où Canadien [les Canadiens de Montréal — c’est du hockey] faut-il le rappeler en italiques, n’a jamais remporté un traître championnat ni même un titre loyal. Il est abondamment clair, chers amis, qu’un tel affront ne se serait jamais produit au Forum. Les fantômes, qui ont refusé de déménager, se seraient chargés de voir à ce qu’Ovechkin s’enfarge dans la ligne bleue et soit envoyé au cachot purger une mineure pour avoir joué la comédie. Comme ça se faisait dans le temps, quand Red Storey ou Chaucer Elliott officiait.

S’il faut en croire Dion, les fantômes du Forum, là où jouaient les Canadiens jusqu’au 11 mars 1996, n’auraient pas suivi l’équipe lors de son déménagement au Centre Molson, devenu depuis le Centre Bell.

Qui sont ces fantômes du Forum ? L’Oreille a déjà écrit là-dessus; c’était le 24 janvier 2011. Pour résumer : il s’agirait des esprits des anciens joueurs des Canadiens, le Forum étant l’aréna où l’équipe a joué pendant plusieurs décennies. Ils aideraient, dans l’ombre, les joueurs venus après eux. Leur intervention expliquerait certaines victoires tout à fait imprévisibles de l’équipe de Montréal. (Certains de ces fantômes seraient encore vivants. Laissons cela de côté si vous le voulez bien.)

Le commentaire de Jean Dion entraîne deux remarques. D’une part, certains affirment — preuves à l’appui ? — que les fantômes du Forum sont bel et bien passés au Centre Bell : c’est le cas d’Éric Warin dans son court métrage d’animation Alex et les fantômes (2009). D’autre part, il ne faut peut-être pas confondre déménagement et efficacité : et si les fantômes étaient bel et bien déménagés, mais sans — encore — avoir été efficaces ? Jean Dion serait-il un homme de peu de foi ? (S’il a des preuves de ce qu’il avance, qu’il les produise.)

P.-S. — Avant de mettre en doute le déménagement des fantômes du Forum, Dion écrit : «Mais c’est oublier, évidemment, que des 544 buts du Rocket [toujours Maurice Richard], la moitié ont été marqués pendant qu’il avait la totalité des joueurs du Boston et du Detroit sur le dos, une deuxième moitié alors qu’un juge de lignes le retenait illégalement et une troisième après avoir déménagé son beau-frère au dernier étage d’un gratte-ciel sans ascenseur.» Ce déménagement-là est, en quelque mythique sorte, expliqué ici.

 

Référence

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014), couverture