Au printemps dernier, le professeur et critique (au quotidien le Devoir) Louis Cornellier faisait paraître le Point sur la langue. Cinquante essais sur le français en situation.
Dans son «Avant-propos. Confession d’un converti», il expose son projet de la façon suivante :
Les essais qui suivent sont le résultat de ma conversion au discours orthographique et grammatical. Certains d’entre eux, dans une logique normative (dire et ne pas dire), s’adonnent au purisme pour en faire découvrir les voluptés. D’autres font appel à des notions de linguistique, dans le but de faire voler en éclats quelques idées reçues sur le français et même, au passage, sur l’anglais. L’approche sociolinguistique et politique, enfin, n’est pas absente du portrait, comme on le verra notamment en fin d’ouvrage dans quelques textes adaptés de mes chroniques qui évoquent les contributions d’essayistes qui se sont intéressés à cette importante question. La langue, en effet, est une réalité sociale. Au Québec, par exemple, il n’est pas concevable de se pencher sur l’enjeu de la qualité du français sans intégrer à la réflexion des considérations sur son statut, sans cesse menacé par l’omniprésence de l’anglais (p. 16).
L’Oreille tendue peut se reconnaître dans certaines des affirmations de cet avant-propos, comme dans des remarques sur tel ou tel fait de langue avancées par Louis Cornellier. Il y a pourtant des choses qui la distinguent de lui.
Ayant publié un livre l’an dernier pour s’en prendre à elles, ce n’est pas l’Oreille qui reprochera à l’auteur du Point sur la langue de vouloir combattre les idées reçues. Se réclamer de la sociolinguistique et de la politique ? L’Oreille répond elle aussi «Présente !» On ne saurait contester la démonstration du simplisme qui consiste à affirmer que «le niveau baisse» en matière de langue (p. 47-49, p. 151).
Préférer, dans certains cas, second à deuxième (p. 45) ? Oui. Se méfier de soi-disant (p. 64-66) et de renforcir (p. 83) ? Bis. Ne pas dire en quelque part (p. 88) ? Ter. Déplorer l’usage de je vous dirais (p. 33-34), cet envahissant décaleur ? Ne pas croire que «on» exclut toujours la personne qui parle (p. 111-113) ? Suggérer la lecture de l’article «L’effet Derome» d’André Belleau (p. 117-119) ? Encore et toujours.
Le riche herbier de Louis Cornellier rassemble des exemples venus de la télévision, du cinéma, de la chanson, de la radio, de la presse, du monde du sport, d’échanges avec ses collègues et même de sa participation à une dictée. Il n’est pas d’autre façon de saisir la langue, n’importe quelle langue, en ses incarnations multiples.
L’auteur n’hésite pas à se servir du registre populaire : «ça fesse», ne pas avoir «d’allure», «quétaine», «colon», etc. Là encore, la langue n’est pas une. Il faut savoir se servir de l’ensemble de ses ressources.
En revanche, sur plusieurs plans, il y a des différences assez considérables entre l’Oreille tendue et Louis Cornellier.
Chanter les mérites de Pierre Bourgault ou de Marie-Éva de Villers ? Certes. De Pierre Falardeau ? C’est bien plus difficile. On peut apprécier le travail de Guy Bertrand, le premier conseiller linguistique de Radio-Canada, sans constamment le porter aux nues.
Louis Cornellier dit aimer la langue française (quatrième de couverture, p. 175, p. 178), son «esprit» (p. 43, p. 137), voire son «génie» (p. 13, p. 153, p. 173). Ce n’est pas la position de l’Oreille, qui ne croit pas au génie des langues et qui n’accorde pas de statut affectif particulier à sa langue. Quand il lui arrive d’écrire en anglais, la nature de son plaisir ne change pas (ses moyens, si); il en allait de même quand, dans sa jeunesse, elle étudiait le latin et, brièvement, l’allemand. Toutes les langues sont des outils formidables, le français comme les autres. Autrement dit, c’est la langue qu’aime l’Oreille, plus qu’une langue. Elle parlerait tagalog que ce serait la même chose.
Elle a, comme tout un chacun en matière de langue, une série de lubies, auxquelles elle sait être attachée de façon irraisonnée. Pourtant, pour elle, la «logique normative» et le «purisme» — dont elle ne se défend pas de les pratiquer à l’occasion — ne contiennent pas de «voluptés» (p. 16). L’expression «purisme convivial» (p. 178) lui paraît plus juste que «conversion au discours orthographique et grammatical» (p. 16), avec ses accents religieux. (Un puriste — on est toujours le puriste de quelqu’un — pourrait d’ailleurs reprocher à Louis Cornellier quelques emplois de se vouloir et de faire en sorte que. On s’en gardera.)
En matière de rapport avec l’anglais, l’Oreille est moins portée que d’autres sur la chasse à l’anglicisme et aux manifestations de «colonisation linguistique» (p. 42), de «lâcheté linguistique» (p. 166) ou de «capitulation linguistique» (p. 170). Elle n’a pas de crainte devant l’enseignement intensif de l’anglais au primaire (p. 165-166). Elle s’interroge sur le bien-fondé de l’imposition, pour tous, du cégep en français (p. 38, p. 154, p. 161, p. 164-165). Elle ne sous-estime pas l’importance historique des relations entre le français et l’anglais, mais elle préconise une dépolarisation de la situation linguistique québécoise ou, plus justement, montréalaise. Il y a bien plus que deux langues dans le Québec d’aujourd’hui. Il est vrai que l’essai publié par VLB éditeur relève de la littérature de combat (on y met le point sur la langue, comme d’autres le poing) et que cela exige quelques oppositions binaires.
Il est encore un domaine où l’Oreille et Louis Cornellier ne pourraient pas être d’accord, le nationalisme, qui est un des socles de sa pensée; voyez, par exemple, le texte «Prophétiser le péril avec Vigneault» (p. 108-110), où il est question de «mort nationale» (p. 109). De même que pour le patriotisme, l’Oreille a du mal à comprendre pareil sentiment. (Comme l’enseignait André Belleau en 1983, on ne confondra pas nationalisme et indépendantisme.)
P.-S. — Louis Cornellier dit du bien du Langue de puck (2014) de l’Oreille tendue (p. 105-107). Elle serait malvenue de lui en tenir rigueur.
Références
Belleau, André, «L’effet Derome ou Comment Radio-Canada colonise et aliène son public», Liberté, 129 (22, 3), mai-juin 1980, p. 3-8; repris, sous le titre «L’effet Derome», dans Y a-t-il un intellectuel dans la salle ? Essais, Montréal, Primeur, coll. «L’échiquier», 1984, p. 82-85; repris, sous le titre «L’effet Derome», dans Surprendre les voix. Essais, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 1986, p. 107-114; repris dans Laurent Mailhot (édit.), l’Essai québécois depuis 1845. Étude et anthologie, Montréal, Hurtubise HMH, coll. «Cahiers du Québec. Littérature», 2005, p. 187-193; repris, sous le titre «L’effet Derome», dans Surprendre les voix. Essais, Montréal, Boréal, coll. «Boréal compact», 286, 2016, p. 105-112. https://id.erudit.org/iderudit/29869ac
Belleau, André, «Langue et nationalisme», Liberté, 146 (25, 2), avril 1983, p. 2-9; repris, sous le titre «Pour un unilinguisme antinationaliste», dans Y a-t-il un intellectuel dans la salle ? Essais, Montréal, Primeur, coll. «L’échiquier», 1984, p. 88-92; repris, sous le titre «Pour un unilinguisme antinationaliste», dans Surprendre les voix. Essais, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 1986, p. 115-123; repris, sous le titre «Langue et nationalisme», dans Francis Gingras (édit.), Miroir du français. Éléments pour une histoire culturelle de la langue française, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, coll. «Espace littéraire», 2014 (troisième édition), p. 425-429; repris, sous le titre «Pour un unilinguisme antinationaliste», dans Surprendre les voix. Essais, Montréal, Boréal, coll. «Boréal compact», 286, 2016, p. 113-121. https://id.erudit.org/iderudit/30467ac
Cornellier, Louis, le Point sur la langue. Cinquante essais sur le français en situation, Montréal, VLB éditeur, 2016, 184 p.
Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.
Melançon, Benoît, Le niveau baisse ! (et autres idées reçues sur la langue), Montréal, Del Busso éditeur, 2015, 118 p. Ill.