Accouplements 44

Affiche du film Casablanca de Michael Curtiz (1942)

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Pour quelques semaines encore, l’Oreille tendue dirige un département universitaire. En assemblée, hier après-midi, elle citait à ses collègues une réplique du film Casablanca de Michael Curtiz (1942) : «My dear Rick, when will you realize that in this world, today, isolationism is no longer a practical policy ?»

Plus tard en soirée, elle tombe sur un tweet de @Maggyw519 reproduisant une déclaration du président américain Barack Obama au sujet de la position du Parti républicain devant la candidature de Donald Trump.

https://twitter.com/Maggyw519/status/708461821418541056

La phrase «they’re shocked ! That gambling’s going on in this establishment» renvoie, toujours dans Casablanca, à un échange entre les personnages de Rick Blaine (Humphrey Bogart) et de Louis Renault (Claude Rains), qui se termine par «I am shocked, shocked to find that gambling is going on in here !»

Ce matin, enfin, dans la Presse+, cette caricature, par Bado, du premier ministre du Canada Justin Trudeau et de Barack Obama, évoquant précisément la scène finale du film de Curtiz.

Caricature de Bado, la Presse+, 12 mars 2016

La phrase «Je pense que ceci est le début d’une brève aventure !» reprend, en l’inversant, la phrase finale du film, de Blaine à Renault : «Louis, I think this is the beginning of a beautiful friendship

Voilà un film classique

P.-S. — Il n’est aucun film que l’Oreille tendue n’a vu plus souvent que Casablanca.

Le principe de Dallas

Logo de la série House of Cards[Ô toi, lecteur obsessionnel du rapport de la commission Warren, tu peux passer ton chemin.]

Il y avait ce que l’on peut appeler le principe de Montgomery. On en trouve une définition dans une lettre du romancier Raymond Chandler à Alex Barris du 16 avril 1949 au sujet d’un film de Robert Montgomery :

…La technique œil-de-caméra dans Lady in the Lake, c’est un vieux truc à Hollywood. Tous les jeunes scénaristes et les jeunes metteurs en scène s’y sont essayés. «Faisons de la caméra un personnage»; à un moment ou à un autre, on a entendu ça à toutes les tables de Hollywood. J’ai connu un type qui voulait que la caméra soit l’assassin; et ça ne pourrait marcher qu’à condition de tricher énormément. La caméra est trop honnête (éd. française de 1970, p. 145).

Traduction par l’Oreille tendue : voilà un truc de scénariste en mal d’inspiration.

Il y a l’équivalent à la télévision : appelons cela le principe de Dallas.

Souvenez-vous. Le comédien Patrick Duffy, qui y tenait le rôle de Bobby Ewing, souhaite quitter la série Dallas au terme de la huitième saison (1984-1985); on fait donc mourir son personnage. On décide toutefois de le faire revenir quelques mois plus tard. Ça pose un problème de vraisemblance ? Si peu. Victoria Principal (qui joue Pamela Barnes Ewing) a rêvé tout cela. Bobby n’est jamais mort.

Traduction par l’Oreille tendue : un scénariste en mal d’inspiration peut toujours se rabattre sur l’onirisme.

On avait vu cela dans Six Feet Under, quand David James Fisher, joué par Michael C. Hall, s’était mis à délirer à la suite d’une agression. C’était grand-guignolesque.

On vient de le voir dans les premiers épisodes de la quatrième saison de la série House of Cards : inconscient, le personnage de Frank Underwood (Kevin Spacey) se met à imaginer une réalité parallèle, ou plusieurs.

Quand le principe de Dallas se manifeste, c’est généralement mauvais signe pour une série.

 

Référence

Chandler, Raymond, Lettres, Paris, Union générale d’éditions, coll. «10/18», 794, 1970, 309 p. Traduction de Michel Doury. Préface de Philippe Labro.

Langue de crise

Dans une récente biographie, Yves Lever avance que le cinéaste québécois Claude Jutra était pédophile. Les médias ne cessent de débattre la chose depuis cette «révélation».

Le malaise est palpable, jusque dans le style des journalistes de la Presse+.

Yves Boisvert : «Les gens des Jutra ne peuvent pas rester les bras croisés à astiquer la statue de Claude Jutra.»

Commentaire sur Twitter :

Paul Journet : «Si chaque auteur trempe son stylo dans un préservatif, on aseptisera l’art.»

Voilà une image troublante : «tremper son stylo dans un préservatif».

P.-S. — Les débats actuels rappellent un passage du Neveu de Rameau de Diderot.

Né le 31 janvier 1919

Dessin de Jackie Robinson par John Collins, The Gazette, 4 juin 1946

 

«Nobody’s Jackie Robinson.»
Robert B. Parker, Hush Money, 1999

L’Oreille tendue n’a jamais caché son admiration pour le baseballeur Jackie Robinson (1919-1972). Celui-ci étant né un 31 janvier, ci-dessous, pour rappel, les textes qu’elle lui a consacrés.

Sur le livre numérique «augmenté» ou «enrichi» — texte, photos, vidéos, liens — de Lyle Spencer, Fortitude. The Exemplary Life of Jackie Robinson, le 22 avril 2013.

Sur le film biographique 42 de Brian Helgeland, le 25 avril 2013.

Sur Robinson et Maurice Richard — c’est du hockey —, le 15 avril 2015.

 

[Complément du 31 janvier 2019]

Sur le documentaire consacré à Robinson par Ken Burns, le 11 avril 2016.

Sur Mohamed Ali et Robinson, le 4 juin 2016.

Sur l’exposition The Color Line. Les artistes africains-américains et la ségrégation, le 23 novembre 2016.

Sur la présence de Robinson à UCLA, le 25 mai 2017.

Sur Ella Fitzgerald et Robinson, le 2 février 2018.

Sur Robinson et Olympe de Gouges, le 13 décembre 2018.

L’Oreille a aussi été invitée à présenter Robinson aux auditeurs de l’émission de radio Aujourd’hui l’histoire (Radio-Canada), le 17 janvier 2019.

 

[Complément du 31 janvier 2021]

Chez l’ami Laurent Turcot :

 

[Complément du 28 juillet 2023]

Sur la biographie True. The Four Seasons of Jackie Robinson, le 5 mai 2022.

Sur l’ouvrage collectif 42 Today. Jackie Robinson and His Legacy, le 9 janvier 2023.

 

[Complément du 31 janvier 2025]

Sur la correspondance reçue par Robinson, le 3 mai 2022.

Sur un surnom de Branch Rickey, le 2 mai 2022.

Sur le Jackie Robinson Day, le 15 avril 2014.

 

Illustration : John Collins, «The Colored Comet», The Gazette, Montréal, 4 juin 1946.

 

Référence

Parker, Robert B., Hush Money. A Spenser Novel, New York, G. P. Putnam’s Sons, 1999, 309 p.

Ne me dites rien pour l’instant

L’Oreille tendue faisait du ménage dans son escarcelle à néologismes quand elle est tombée sur le mot intricide. Un moteur de recherche populaire renvoie à une première occurrence en 2013, sur un réseau social beaucoup fréquenté.

Pourquoi ce mot ? Pour traduire l’anglais spoiler, cette vilaine habitude de révéler à l’avance une scène à venir dans un film (par exemple). L’intricide renvoie à l’assassinat (-ide) de l’intrigue.

Ce mot n’a pas été retenu par l’Office québécois de la langue française, qui lui préfère divulgâcheur :

Définition
Information divulguant une partie importante de l’intrigue d’une œuvre de fiction, qui gâche l’effet de surprise ou le plaisir de la découverte.

Notes
L’œuvre de fiction peut être, par exemple, un film, une télésérie, un roman ou un jeu vidéo.
Dans le cas d’un jeu vidéo, la révélation d’éléments importants sur le déroulement du jeu (ex. : rebondissements, solutions des énigmes, dénouement de l’histoire) est considérée comme un divulgâcheur.
Sur Internet, les divulgâcheurs sont généralement signalés au lecteur, qui peut choisir de les lire ou non. Le divulgâcheur est notamment une fonction présente sur les forums, qui permet de cacher une partie du message afin que les autres ne la voient que s’ils le désirent.

Intricide ou divulgâcheur ? Spontanément, l’Oreille aurait penché pour le premier, qu’elle trouve moins artificiellement construit que le second. Ici et , sur Twitter, on a exprimé son désaccord.

P.-S. — D’un néologisme qui n’a pas été adopté doit-on dire qu’il a été victime d’un néologicide ?