Résolument «résolument» ?

Soit le tweet suivant, de @RemiMathis : «De même qu’un esquif est toujours “frêle”, ce qui est contemporain l’est toujours “résolument” #Galeries #Communicants.»

Laissons voguer le frêle esquif — non sans citer la définition que donne le Petit Robert (édition numérique de 2010) de ce substantif : «Littér. Petite embarcation légère. Un frêle esquif» — et attachons-nous à résolument.

Résolument contemporain est en effet fort populaire. Résolument moderne ne l’est pas moins, ainsi que l’attestent ces jours-ci les pages sportives du quotidien la Presse : «Le style de Bergevin est résolument […] moderne» (14 juin 2012, p. 1); «Sylvain Lefebvre sera un entraîneur-chef résolument moderne» (15 juin 2012, p. 3).

On sera sensible aussi au résolument urbain, qui n’est peut-être, en définitive, qu’un synonyme de résolument contemporain et de résolument moderne : «un restaurant résolument urbain, aux allures branchées et décontractées» (le Devoir, 3 juillet 2009, p. B7).

On ne saurait être résolument contre cet adverbe, même si l’on rappellera qu’il ne devrait s’appliquer qu’à des personnes, dans la mesure où sa définition est la suivante : «D’une manière résolue, décidée; sans hésitation»; «Avec une résolution qui dénote du courage, de l’intrépidité» (le Petit Robert, bis).

 

[Complément du 7 octobre 2018]

Image du jour, tirée de Twitter.

 

[Complément du 15 octobre 2018]

En France aussi.

Autoflagellation du jour

«Merci de votre compréhension», métro de Montréal, 2012Grève (étudiante) oblige, on entend beaucoup dans les médias Michelle Courchesne, la (nouvelle) ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport du gouvernement du Québec.

L’Oreille tendue a eu l’occasion de signaler sa créativité verbale ici.

Mais la ministre n’aime pas que le verbe s’asseoir. Elle a aussi une grande affection, comme beaucoup d’autres politiques, pour comprendre, comme dans vous comprendrez que. En apparence pédagogique — je vais vous expliquer que —, ce vous comprendrez que sert aussi de mise en garde à peine déguisée — les choses sont plus compliquées que vous ne le pensez, m’sieurs-dames des médias.

L’Oreille étant elle-même friande du ce qu’il faut comprendre, voire du il faut bien comprendre que, elle serait malvenue, en ce cas précis, de jeter la pierre à la ministre. En ce cas précis.

 

[Complément du 26 mai 2012]

Hypothèse : Vous comprendrez que serait une variante moins familière de ‘Garde, là.

Régler la grève avec ses fesses, pas avec sa bouche

Ce n’est pas d’hier que les Québécois ont remplacé les verbes parler ou négocier par s’asseoir, se rasseoir, voire s’attabler. L’actuelle grève étudiante en donne des preuves quotidiennes.

Vous ne croyez pas l’Oreille tendue sur parole ? Ci-dessous, bref journal de grève de deux verbes qui ne la font pas. (Heureusement, quelques-uns, notamment sur Twitter, ont décidé qu’il valait mieux en rire.)

23 avril

Les associations étudiantes «ont toutes trois accepté les conditions de la ministre pour s’asseoir à la même table, soit de respecter une trêve d’au moins 48 heures, le temps de mener une première ronde de discussions» (le Devoir).

8 mai

«Ministres et étudiants sont responsables de l’échec de l’entente. Ils doivent se rasseoir» (la Presse).

15 mai

«Pauline Marois réclame que le PM Charest s’asseoie auprès de sa nouvelle ministre pour rencontrer les leaders étudiants» (@KatLevesque).

19 mai

«Et dire que si Charest s’était assis avec les étudiants et avait négocié de bonne foi, il n’y en aurait plus de #manifencours et de #Loi78» (@jasonKeays).

21 mai

«RETWEETEZ si vous trouvez qu’il est grand temps que Jean Charest s’assoit avec les représentants étudiants. #ggi» (@sofecteau).

«Soyons clair ! Ceux qui ne veulent pas que Charest s’asseoit avec les étudiants… seront aussi responsables de la dérive du tissu social» (@DavidLaHaye).

23 mai

«Je pense sincèrement que nous pouvons se rasseoir positivement, constructivement» (Michelle Courchesne).

N.B. Sur son site, Radio-Canada — par grandeur d’âme — a remplacé le «se» fautif de la ministre par un «nous» de meilleur aloi.

Les associations étudiantes sont «prêtes à s’asseoir», disent la présidente de la Fédération étudiante universitaire du Québec Martine Desjardins (deux fois) et l’analyste politique Michel Pepin (une fois) à l’émission radiophonique Désautels de la Société Radio-Canada. Ni l’un ni l’autre ne parlent cependant de «se rasseoir».

«“Nous, on pense qu’il est encore possible de se rasseoir debout” #citationrêvée» (@moutarde_chou).

«Ils sont définitivement en mode “assis”» (@OursAvecNous).

«Donc, quand ça bout, il faut se rasseoir» (@jlratel).

«Depuis le temps que ça dure, ça sent plutôt le “rassis”…» (@_marc_etienne_).

Pour qui n’en aurait pas assez, les lecteurs du blogue «Mots et maux de la politique» d’Antoine Robitaille ne manquent pas d’imagination. À voir ici.

P.-S. — Si la grève se termine un jour, il faudra penser à revoir l’enseignement des verbes au Québec.

Ricardo au Dollarama

Nicolas Dickner, le Romancier portatif, 2011, couverture

À compter du 26 avril, Ricardo, l’homme privé de patronyme, animera, à la télévision de Radio-Canada, une nouvelle émission, le Fermier urbain. Le voilà donc «gentleman-farmer urbain» (la Presse, 18 avril 2012, cahier Arts, p. 3).

Urbain ?

Lisons Nicolas Dickner : «Pourtant, le concept même de “valeur” est volatil. Prenez le mot “urbain”, un terme bien coté depuis trois ou quatre ans. D’abord avant-gardiste, il est vite devenu commun, avant de tomber dans l’utilisation à outrance, puis dans l’impropriété excessive. En ce moment, il se trouve quelque part dans le Dollarama du langage, à côté des napperons en bambou et des potiches pseudo-asiatiques» (éd. de 2011, p. 82).

Le décor de l’émission est déjà tout trouvé.

 

Référence

Dickner, Nicolas, «Vaut mieux rester calme», Voir, 19 mars 2008, repris dans le Romancier portatif. 52 chroniques à emporter, Québec, Alto, 2011, p. 81-84, p. 82.

Fais-moi vibrer

Nicolas Dickner, le Romancier portatif, 2011, couverture

Dans l’hebdomadaire Voir, le 31 août 2006, Nicolas Dickner, sous le titre «De la barbe à papa pour l’âme», signe une chronique sur la rentrée littéraire, et plus précisément encore sur le communiqué de presse, ce «genre littéraire fascinant» qui présente «les mêmes difficultés qu’un sonnet en alexandrins» (éd. de 2011, p. 40).

Il dresse la liste des adjectifs récurrents — l’adjectif est une «gazoline émotive» (p. 40) — dans ce genre de prose publicitaire (p. 40-42). L’histoire du texte à paraître est surprenante, bouleversante, émouvante, explosive, voire cataclysmique, hilarante, humaine, inspirante, palpitante, percutante, cauchemardesque, terrifiante, picaresque. Son auteur est attachant, brillant, cynique, énigmatique, fondamental, inouï, inspirant, intelligent, intrigant, jubilatoire, lucide, majeur, inconnu, obstiné, remarquable, sensible. Sa plume est acerbe, décapante, sobre, vive, incisive, viscérale, efficace, intelligente (bis), jubilatoire (bis), lumineuse, maîtrisée «ou tout bonnement vertigineuse». «Quant au livre, il est toujours luxueux, superbe et écologique.»

Sur le podium ? Mention honorable : inattendu. Médaille de bronze : captivant, fascinant, stupéfiant «et autres termes tout droit sortis d’un manuel d’hypnose». Médaille d’argent : exceptionnel, singulier et imprévisible. Médaille d’or : incontournable.

S’il récrivait ce texte aujourd’hui, Nicolas Dickner pourrait reprendre la même litanie d’épithètes, mais il lui faudrait faire quelques ajouts : urbain, festif, gourmand, extrême, métissé, décalé — et vibrant.

C’est Pierre Popovic qui le faisait remarquer dans une entrevue au Devoir le 8 juillet 2011 : «Sur les étagères des librairies, je n’ai aucune peine à trouver les derniers best-sellers en vogue. Une grosse bandelette aguicheuse capsule ledit opuscule : le montant des exemplaires vendus accompagne souvent l’épithète valorisante (“vibrant” a la cote).» Il donnait l’exemple suivant : «une héroïne vibrante s’aventure avec une blessure décoiffante dans un monde devenu sans repères».

D’autres ?

Un livre ? «L’auteur, Bénédicte Froger-Deslis, signe son premier roman. Elle a vécu et vibré en Afrique, sur tous les continents, s’est frottée aux cultures et sensations» (L’Harmattan).

Un film ? The Raid : Redemption est «Violent et vibrant» (la Presse, 7 avril 2012, cahier Cinéma, p. 9).

Une ville ? À un bout de l’autoroute Jean-Lesage : «Du même souffle, cette publication est née du désir de raconter Montréal autrement et de fixer sur papier les images de ce spectacle en les présentant dans un écrin à la dimension d’une métropole tout aussi vibrante» (Signé Montréal, p. 9). À l’autre : en excursion dans la Vieille Capitale — pour les non-autochtones : Québec —, l’Oreille tendue a été accueillie dans son «hôtel alternatif» par une liste d’activités intitulée «Ce qui fait vibrer Québec…».

On peut donc vibrer à vibrer, en attendant la prochaine mode.

 

Références

«Avant-propos», dans Signé Montréal, Montréal, Pointe-à-Callière. Musée d’archéologie et d’histoire de Montréal, 2010, 159 p., p. 9. François Hébert : auteur. Moment Factory : visuels. Avec la collaboration de Sylvie Dufresne, Paul-André Linteau et Raymond Montpetit. Existe aussi en version anglaise.

Baillargeon, Stéphane, «Entrevue avec Pierre Popovic. Portrait de l’asservissement économiste», le Devoir, 8 juillet 2011.

Dickner, Nicolas, «De la barbe à papa pour l’âme», Voir, 31 août 2006, repris dans le Romancier portatif. 52 chroniques à emporter, Québec, Alto, 2011, p. 39-42.