La clinique des phrases (aa)

La clinique des phrases, logo, 2020, Charles Malo Melançon

(À l’occasion, tout à fait bénévolement, l’Oreille tendue essaie de soigner des phrases malades. C’est cela, la «Clinique des phrases».)

Soit deux phrases de la Presse+ :

«M. Beaudet cherche toujours à conclure des contrats de gestion. Il regarde maintenant du côté de Québec, où le nombre de clubs de golf par personne y est plus bas que dans la région de Montréal.»

«Là-bas, elle y reçoit les traitements nécessaires afin de terminer sa rééducation.»

Soit deux tweets :

«Connaissez-vous notre Espace documentaire ? C’est un endroit où vous y trouverez diverses informations intéressantes et importantes sur nos projets.»

«Greg’s Story, est un film où on y raconte l’histoire de Greg Price mort à 31 ans d’un cancer des testicules après d’interminables délais administratifs.»

Soit un passage d’un texte savant :

«Il s’agit bien de mener un combat, là où précisément le terrain y est à la fois et le moins favorable et le plus efficace par sa capacité de mobilisation d’un public extrêmement large.»

Enlevez partout le «y» et le tour est joué : cinq phrases correctes.

À votre service.

La clinique des phrases (z)

La clinique des phrases, logo, 2020, Charles Malo Melançon

(À l’occasion, tout à fait bénévolement, l’Oreille tendue essaie de soigner des phrases malades. C’est cela, la «Clinique des phrases».)

L’Oreille tendue a déjà eu l’occasion de le dire : elle n’aime guère le verbe effectuer.

Nouvel exemple : «Michel Marc Bouchard effectue son retour à l’Opéra de Montréal.»

Simplifions : «Michel Marc Bouchard de retour à l’Opéra de Montréal.»

À votre service.

La clinique des phrases (y)

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(À l’occasion, tout à fait bénévolement, l’Oreille tendue essaie de soigner des phrases malades. C’est cela, la «Clinique des phrases».)

Soit la phrase suivante, dans un éloge d’un ancien premier ministre du Québec, mort récemment, Bernard Landry :

Monsieur Landry aimait la vie et les êtres goulûment, passionnément, ardemment d’un amour doux et brûlant. Il était lui-même enveloppé d’amour. Celui de trois femmes exceptionnelles, sa mère Thérèse Granger, ses deux épouses consécutives, Lorraine Laporte et Chantal Renaud et celui de ses enfants, Pascale, Julie et Philippe, ses petits-enfants et ses arrière-petits-enfants.

Il faut, évidemment, ajouter trois virgules, une après «ardemment», une après «mère», une après «Renaud» :

Monsieur Landry aimait la vie et les êtres goulûment, passionnément, ardemment, d’un amour doux et brûlant. Il était lui-même enveloppé d’amour. Celui de trois femmes exceptionnelles, sa mère, Thérèse Granger, ses deux épouses consécutives, Lorraine Laporte et Chantal Renaud, et celui de ses enfants, Pascale, Julie et Philippe, ses petits-enfants et ses arrière-petits-enfants.

Il faut, évidemment, ajouter une conjonction avant «ses deux épouses» :

Monsieur Landry aimait la vie et les êtres goulûment, passionnément, ardemment, d’un amour doux et brûlant. Il était lui-même enveloppé d’amour. Celui de trois femmes exceptionnelles, sa mère, Thérèse Granger, et ses deux épouses consécutives, Lorraine Laporte et Chantal Renaud, et celui de ses enfants, Pascale, Julie et Philippe, ses petits-enfants et ses arrière-petits-enfants.

Il faut, évidemment, ajouter deux prépositions, avant «ses petits-enfants» et avant «ses arrière-petits-enfants» :

Monsieur Landry aimait la vie et les êtres goulûment, passionnément, ardemment, d’un amour doux et brûlant. Il était lui-même enveloppé d’amour. Celui de trois femmes exceptionnelles, sa mère, Thérèse Granger, et ses deux épouses consécutives, Lorraine Laporte et Chantal Renaud, et celui de ses enfants, Pascale, Julie et Philippe, de ses petits-enfants et de ses arrière-petits-enfants.

Surtout : que vient faire «consécutives» dans cette affaire ? L’auteure du texte avait-elle peur de laisser planer un soupçon de polygamie sur l’objet de son éloge ? Pourquoi prendre la peine de préciser que Bernard Landry n’a pas été marié en même temps à Lorraine Laporte et à Chantal Renaud ? On s’en doutait bien. Allégeons :

Monsieur Landry aimait la vie et les êtres goulûment, passionnément, ardemment, d’un amour doux et brûlant. Il était lui-même enveloppé d’amour. Celui de trois femmes exceptionnelles, sa mère, Thérèse Granger, et ses deux épouses, Lorraine Laporte et Chantal Renaud, et celui de ses enfants, Pascale, Julie et Philippe, de ses petits-enfants et de ses arrière-petits-enfants.

Cette histoire de polygamie potentielle vous embête toujours ? Voici une proposition de l’Oreille tendue, mais c’est bien parce que c’est vous :

Monsieur Landry aimait la vie et les êtres goulûment, passionnément, ardemment, d’un amour doux et brûlant. Il était lui-même enveloppé d’amour. Celui de trois femmes exceptionnelles, sa mère, Thérèse Granger, et ses deux épouses, Lorraine Laporte, puis Chantal Renaud, et celui de ses enfants, Pascale, Julie et Philippe, de ses petits-enfants et de ses arrière-petits-enfants.

À votre service.

La clinique des phrases (x)

La clinique des phrases, logo, 2020, Charles Malo Melançon

(À l’occasion, tout à fait bénévolement, l’Oreille tendue essaie de soigner des phrases malades. C’est cela, la «Clinique des phrases».)

Voici un cas lourd et un beau défi :

Par ailleurs, lorsqu’il dit que les enfants de Mme de Sabran ne font pas assez de cas d’elle, il met en valeur l’estime qu’elle mérite pour les qualités qui la distinguent, que lui-même ressent, voulant que Delphine et Elzéar le prennent pour modèle pour l’expression de l’estime due à Éléonore.

Par où commencer ? Enlevons un «de» inutile.

Par ailleurs, lorsqu’il dit que les enfants de Mme de Sabran ne font pas assez cas d’elle, il met en valeur l’estime qu’elle mérite pour les qualités qui la distinguent, que lui-même ressent, voulant que Delphine et Elzéar le prennent pour modèle pour l’expression de l’estime due à Éléonore.

Clarifions au moins une identité.

Par ailleurs, lorsqu’il dit que les enfants de Mme de Sabran ne font pas assez cas de leur mère, il met en valeur l’estime qu’elle mérite pour les qualités qui la distinguent, que lui-même ressent, voulant que Delphine et Elzéar le prennent pour modèle pour l’expression de l’estime due à Éléonore.

Économisons une relative.

Par ailleurs, lorsqu’il dit que les enfants de Mme de Sabran ne font pas assez cas de leur mère, il met en valeur l’estime qu’elle mérite pour ses qualités distinctives, que lui-même ressent, voulant que Delphine et Elzéar le prennent pour modèle pour l’expression de l’estime due à Éléonore.

Simplifions un peu le début de la phrase, histoire d’éviter une répétition («estime»).

Par ailleurs, lorsqu’il dit que les enfants de Mme de Sabran ne font pas assez cas de leur mère, il met en valeur ses qualités distinctives, que lui-même ressent, voulant que Delphine et Elzéar le prennent pour modèle pour l’expression de l’estime due à Éléonore.

Scindons, refaisons complètement la suite de la phrase et essayons de comprendre.

Par ailleurs, lorsqu’il dit que les enfants de Mme de Sabran ne font pas assez cas de leur mère, il met en valeur ses qualités distinctives. Il ressent ces qualités et il veut que Delphine et Elzéar le prennent pour modèle pour l’expression de l’estime qu’ils doivent à Éléonore.

Allons un peu plus loin — en employant un verbe plus expressif («déplorer» pour «dire»), puis en enlevant un adjectif inutile («distinctifs»), une évidence («Il ressent ces qualités») et un «pour» de trop.

Par ailleurs, déplorant que les enfants de Mme de Sabran ne fassent pas assez cas de leur mère, il met en valeur ses qualités. Il veut que Delphine et Elzéar le prennent pour modèle dans l’expression de l’estime qu’ils doivent à Éléonore.

À votre service.

Les vacances, c’est du travail (1/2)

Les vacances de l’Oreille tendue n’étaient pas encore commencées que la démolition de sa cuisine, si. Bref, des rénovations étaient à l’ordre du jour.

Cuisine en rénovation, Montréal, juillet 2018

Des ouvriers ont reconstruit ce que l’Oreille et consorts avaient détruit. Résonnaient alors les mots habituels de la construction : chimer (son emploi paraît universel, et ses emplois tout autant), drill (certaines perceuses seraient plus «viriles» que d’autres, dit-on) ou gléser (rendre un mur lisse, comme dans to glaze).

Une épiphanie littéraire est née de ces rénovations : les nouveaux tiroirs de la cuisine sont montés sur des roulements Blumotion. Cela rend — enfin — compréhensible un passage du roman Un parc pour les vivants de Sébastien La Rocque (2017) :

Elle fera glisser pour eux ses tiroirs de cuisine à fermeture automatique de style shaker d’un blanc laqué immaculé, qui s’ouvrent et se ferment grâce à la technologie du Blumotion de Blum, tout doucement, c’est ça, le progrès, la vie et la façon de concevoir la cuisine et ses objets sont révolutionnés — plus personne ne claquera une porte dans un excès de colère; régnera l’harmonie, et la médication s’occupera des malheureux (p. 35).

En effet, la colère devra désormais s’exprimer ailleurs que sur les tiroirs.


L’Oreille connaissait cette expression : «On n’avait pourtant pas toujours la pédale dans le tapis» (Maxime Raymond Bock, les Noyades secondaires, p. 176). Autrement dit : à fond. Sur Twitter, elle en découvre une variante locale.


«Mais, au moment où je m’y attendais le moins, je mis la main sur une merveille, je devrais dire sur une difformité naturelle, très-rare à rencontrer. Conseil venait de donner un coup de drague, et son appareil remontait chargé de diverses coquilles assez ordinaires, quand, tout d’un coup, il me vit plonger rapidement le bras dans le filet, en retirer un coquillage, et pousser un cri de conchyliologue, c’est-à-dire le cri le plus perçant que puisse produire un gosier humain» (Jules Verne, Vingt mille lieues sous les mers, p. 175).

Même en vacances, l’Oreille reste tendue. Pas une seule fois, pourtant, elle n’a entendu le «cri de conchyliologue». Du moins, elle ne le croit pas, et ce n’est pas par manque de coquillages.


«Passaient aussi de grands chiens de mer, poissons voraces s’il en fut. On a le droit de ne point croire aux récits des pêcheurs, mais voici ce qu’ils racontent. On a trouvé dans le corps de l’un de ces animaux une tête de buffle et un veau tout entier; dans un autre, deux thons et un matelot en uniforme; dans un autre, un soldat avec son sabre; dans un autre enfin, un cheval avec son cavalier. Tout ceci, à vrai dire, n’est pas article de foi. Toujours est-il qu’aucun de ces animaux ne se laissa prendre aux filets du Nautilus, et que je ne pus vérifier leur voracité» (Jules Verne, Vingt mille lieues sous les mers, p. 315).

L’Oreille n’a pas non plus croisé de grand chien de mer. Pourtant, elle était à la mer. C’est là où elle a vu, sans pousser de cri, des coquillages.


Dans l’État de New York, certains motels annoncent qu’ils ont des chambres pour fumeurs («Smoking Rooms»). Fidèle à ses saines habitudes de vie, l’Oreille évite résolument de telles chambres. Elle exige toujours une «Drinking Room».


Dilemme du jour. Se trouver sur la bonne route et lire, à l’arrière du camion qui nous précède, «Do not follow.» Suivre ou ne pas suivre, arriver à destination ou pas, telle est la question.


Elle a beau être vacancière, l’Oreille n’hésite jamais à se porter au secours des phrases malades, celle-ci, par exemple :

Tweet, le Devoir, 23 juillet 2018«Le suspect est Faisal Hussain» aurait suffi, non ?

À votre service.


Des sources conjugales proches de l’Oreille tendue en sont convaincues : les restaurants états-uniens sont sous-éclairés. Qu’ont-ils donc à cacher ?


Dans une précédente location, c’était Gérard de Villiers. Cette année, c’est Roger Angell. On n’arrête pas le progrès.

Bibliothèque, maison de location, Cape Cod, juillet 2018


A-t-on une personnalité différente quand on change de langue ? Cela peut arriver. L’Oreille le constate ces jours-ci. (Non, elle ne parle pas d’elle-même.)


Publicité du jour, en bord de route : «Clean Rest Room. New Seat.» Voilà qui est bien tentant.


[À suivre]

 

Références

La Rocque, Sébastien, Un parc pour les vivants. Roman, Montréal, Le Cheval d’août, 2017, 167 p. Ill.

Raymond Bock, Maxime, les Noyades secondaires. Histoires, Montréal, Le cheval d’août, 2017, 369 p.

Verne, Jules, Vingt mille lieues sous les mers, Paris, J. Hetzel et cie, 1871, 436 p. Illustré de 111 dessins par de Neuville.