En ce jour de la Fête nationale du Québec, deux mots.
Un néologisme
Gilles Duceppe, le chef du Bloc québécois, croit qu’il y a, chez les nationalistes francophones, des intolérants. (Profonde découverte.) Comment les appeler ? Sur le modèle des rednecks, il propose cous bleus. (Pourquoi bleus, demanderont les non-autochtones ? Parce que le bleu est, avec le blanc, la couleur officielle du gouvernement du Québec.) On permettra à l’Oreille tendue un pronostic : dans quelques mois, on ne souviendra guère de l’expression, car bien trop artificiellement construite et bien trop proche de col bleu.
Le d’ici
En 2004, au moment de faire paraître le Dictionnaire québécois instantané (2004), l’Oreille était frappée par le succès du d’ici. Cinq ans plus tard, il ne se dément pas.
Exemples — de la publicité, des journaux.
Le premier est (quasi) pléonastique : «Le Québec de demain : portraits de la relève d’ici» (la Presse, 18 juin, p. A22, publicité). Autrement dit : ici, la relève vient d’ici.
Le même jour, dans le même journal, une lettre ouverte dénonce la position de ceux qui croient inacceptable, pour ne pas dire pire, la présence d’artistes chantant en anglais à un spectacle tenu dans le cadre des festivités de la Fête nationale : «De précieux alliés. Toutes langues confondues, les artistes d’ici font partie intégrante de la culture québécoise et de notre identité nationale» (18 juin, p. A25). D’ici a le désavantage (l’avantage ?) de brouiller les critères d’identité («langues confondues», «d’ici», «culture québécoise», «identité nationale» : ça tient comment, tout ça ?). Il a l’avantage (le désavantage ?) de permettre de parler des anglophones sans les nommer. (L’article est moins pudique.)
Une publicité de l’Université McGill, en 2007, faisait preuve de la même discrétion : «Une université d’ici, d’envergure mondiale !»
La palme revient cependant à un article de la Presse du 20 juin (p. A24) : «Des gens d’avant-goût. Portrait de producteurs d’ici» (en surtitre); «Les microbrasseries pensent québécois. Des ingrédients d’ici pour la bière d’ici» (en titre). On a compris, merci.
[Complément du 30 mai 2012]
Il y aurait dorénavant des cous rouges au Québec. Du moins, ils ont leur site.
[Complément du 20 décembre 2012]
Vue hier, dans le métro de Montréal, cette publicité :
Deux questions. La prostate d’ici est-elle différente de celle de là ? Est-il bien recommandé de se représenter une prostate soutenue ?
[Complément du 12 août 2015]
Quels auteurs encourager aujourd’hui ?
Cela va pourtant de soi : «Pleins feux sur les créateurs d’ici» (le Devoir, 7 février 2012, p. A1); «Les créateurs d’ici en vedette» (le Devoir, 6 février 2012, p. B8).
(Merci à @NieDesrochers pour la photo.)
[Complément du 16 février 2016]
Même le pétrole pourrait être local. Le d’ici lui conférerait-il une plus grande acceptabilité sociale ?
[Complément du 18 septembre 2017]
Sur Twitter, @machinaecrire démontrait récemment que le succès du d’ici ne se dément pas.
[Complément du 11 janvier 2020]
Toujours sur Twitter, une autre salve de @machinaecrire (le Devoir, 11-12 janvier 2020).
[Complément du 11 septembre 2020]
Il y a deux universités anglophones à Montréal.
McGill est «Une université d’ici, d’envergure mondiale !»
Concordia vous offre «l’expertise d’ici».
Référence
Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.